NEJM Evidence
Smoking Cessation and Short- and Longer-Term Mortality
Cho ER, Brill IK, Gram IT, Brown PE, Jha P.
NEJM Evid 2024;3. https://doi.org/10.1056/EVIDoa2300272
CONTEXTE
La consommation de tabac est le principal (et de loin) facteur de risque de décès lié au cancer bronchopulmonaire (CBP) et de maladies cardiovasculaires en Amérique du Nord et en Europe (1, 2). Par exemple, en France, l’incidence du CBP en 2023 était de 52 777 nouveaux cas (145 par jour), d’âge médian = 68 ans pour les hommes et 66 ans pour les femmes (3). Globalement, le tabac est responsable d’environ 5 à 7 millions de décès annuels dans le monde (4-6). L’arrêt du tabac avant l’âge de 40 ans réduit de 90 % la mortalité attribuable à cette addiction comparativement à la poursuite de la consommation (3-6). Cependant, l’ampleur et la vitesse avec lesquelles l’arrêt du tabac diminue la mortalité due aux maladies liées au tabagisme restent incertaines.
OBJECTIF
Quantifier le bénéfice du sevrage tabagique selon le sexe, l’âge du sevrage et l’ancienneté de l’arrêt sur les causes de mortalité spécifiquement liées au tabac et sur la mortalité totale.
MÉTHODE
Méta-analyse de quatre « cohortes santé » de quatre pays industrialisés (États-Unis, Royaume-Uni, Canada et Norvège) disposant en plus d’un accès au registre des décès de chaque pays. Les sujets inclus étaient âgés de 20 à 79 ans selon les pays. Ils ont été suivis entre 1974 et 2018. Cette analyse a comparé la survie et les risques de décès spécifiques d’origine vasculaire, oncologique, respiratoire et la mortalité totale (classification ICD-10) entre les fumeurs, les anciens fumeurs et les jamais-fumeurs au moment de l’inclusion, ajustée sur le sexe, l’âge au moment de l’arrêt potentiel du tabac, et stratifiée sur l’ancienneté de cet arrêt (< 1 an, < 3 ans, entre 3 et 9 ans, et ≥ 10 ans). Les sujets ayant migré dans un autre pays et dont la date de survie ou la cause du décès était inconnue n’ont pas été inclus dans l’analyse finale. L’analyse statistique a été faite à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel pour chaque pays, ajustée sur le niveau d’éducation, la consommation quotidienne faible ou forte d’alcool (en nombre de verres) et l’indice de masse corporelle (IMC < 25, ou 25 à < 30, ou ≥ 30 kg/m2). Les hazard ratios concernaient les comparaisons fumeurs en cours vs jamais-fumeurs (HRc) et anciens fumeurs sevrés vs jamais-fumeurs (HRa). Comme la date de l’éventuel sevrage tabagique post-inclusion n’était pas spécifiée dans les cohortes, les chercheurs ont estimé une proportion de sujets sevrés à partir de l’âge et du sexe de ceux ayant arrêté de fumer dans les trois ans précédents l’inclusion dans leur cohorte.
RÉSULTATS
Les quatre cohortes ont regroupé 1,48 million d’adultes suivis en moyenne pendant 14,8 ans. Durant cette période, il y a eu 122 697 décès (8,3 %). À l’inclusion, dans chacune des cohortes, les fumeurs avaient un plus faible niveau d’éducation, un IMC moindre et consommaient plus d’alcool que les jamais-fumeurs. De leur côté, les anciens fumeurs avaient un niveau d’éducation plus faible, une consommation d’alcool plus importante et un IMC plus élevé que les jamais-fumeurs. Les principaux résultats sont les suivants :
· Les fumeurs ont un risque de décès multiplié par 2,8 (IC95 % = 2,2-3,6) chez les femmes et 2,7 (IC95 % = 2,2-3,4) chez les hommes comparativement aux jamais-fumeurs.
· La survie des fumeurs âgés de 40 à 79 ans est amputée de 13 ans chez les hommes et de 12 ans chez les femmes comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé.
· Les anciens fumeurs ont un risque de décès multiplié par 1,3 (IC95 % = 1,1-1,5) comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé.
· Le nombre d’années de vie gagnées à l’arrêt du tabac est de :
- 4 ans en cas d’arrêt entre 55 et 64 ans,
- 5 ans en cas d’arrêt entre 45 et 54 ans,
- 9 ans en cas d’arrêt entre 35 et 44 ans,
- 10 ans en cas d’arrêt entre 25 et 34 ans.
· Tous les adultes qui cessent de fumer, quel que soit leur âge (préférentiellement < 40 ans), réduisent substantiellement et rapidement leur excès de risque de décès.
· En arrêtant de fumer avant l’âge de 40 ans et sans rechuter, le risque de décès (particulièrement cardiovasculaire et cancéreux) rejoint (virtuellement) celui d’un adulte n’ayant jamais fumé.
COMMENTAIRES
Ce travail est une publication davantage biostatistique que clinique. Ses résultats « bruts » pourraient aller à l’encontre des croyances de nombreux fumeurs qui considèrent qu’il est devenu inutile de se sevrer tellement ils ont fumé dans leur vie (7, 8).
Le nombre de sujets inclus, la durée moyenne de suivi et la qualité biostatistique de cette méta-analyse de 4 cohortes nationales différentes sont assez remarquables. Cependant, ce travail apporte peu de choses à la connaissance, car le risque santé lié au tabac et les bénéfices du sevrage étaient déjà solidement établis (4-6). Il ajoute toutefois quelques données chiffrées, mais de faible niveau de preuve, sur le gain en années de vie et l’âge optimal pour arrêter de fumer. Par ailleurs, regrouper des cohortes nationales non initialement constituées pour être complémentaires expose à un très haut risque de biais et à un grand nombre de données manquantes par rapport aux besoins des chercheurs. Enfin, la date d’arrêt de la consommation de tabac n’étant pas du tout identifiée dans chaque cohorte mais « estimée » sur les participants ayant cessé de fumer dans les trois ans (ou moins) précédant l’inclusion (9), les résultats sur les critères « âge d’arrêt du tabac » et « ancienneté » de cet arrêt son fortement sujets à (pré)caution(s), voire invraisemblables.
En pratique, lors d’une première consultation en médecine générale, il est indispensable de poser la question de la consommation de tabac (et d’alcool aussi). En cas de réponse positive, il est préconisé de s’informer sur le désir du patient de s’arrêter et de l’accompagner si tel est son souhait. En cas de réponse négative, il est également pertinent de conseiller au patient de ne pas commencer, surtout si elle ou il a moins de 20 ans. Dans tous les cas, il n’est jamais inutile de rappeler à un patient fumeur que l’arrêt de sa consommation de tabac est utile à sa santé, quels que soit son âge, la quantité consommée et l’ancienneté de son addiction.
BIBLIOGRAPHIE
1. Peto R, Lopez AD, Boreham J, Thun M. Mortality from smoking in developed countries, 1950–2010. Oxford, United Kingdom: Clinical Trial Service Unit and Epidemiological Studies Unit. http://www.ctsu.ox.ac.uk/~tobacco.
2. Jha P. Avoidable global cancer deaths and total deaths from smoking. Nat Rev Cancer 2009;655-64. https://doi.org/10.1038/nrc2703.
3. Institut national du cancer. Cancer du poumon : points-clés 2023. https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Les-cancers/Cancer-du-poumon/Les-points-cles.
4. Jha P, Peto R. Global effects of smoking, of quitting, and of taxing tobacco. N Engl J Med 2014;370:60-8. https://doi.org/10.1056/NEJMra1308383.
5. Jha P. The hazards of smoking and the benefits of cessation: a critical summation of the epidemiological evidence in high-income countries. eLife 2020;9:e49979. https://doi.org/10.7554/eLife.49979.
6. Jha P, Ramasundarahettige C, Landsman V, et al. 21st-century hazards of smoking and benefits of cessation in the United States. N Engl J Med 2013;368:341-50. https://doi.org/10.1056/NEJMsa1211128.
7. Le Foll B, Piper ME, Fowler CD, et al. Tobacco and nicotine use. Nat Rev Dis Primers 2022;8:19. https://doi.org/10.1038/s41572-022-00346-w.
8. Selby P, Zawertailo L. Tobacco addiction. N Engl J Med 2022;387:345-54. https://doi.org/10.1056/NEJMcp2032393.
9. Pirie K, Peto R, Reeves GK, Green J, Beral V. The 21st century hazards of smoking and benefits of stopping: a prospective study of one million women in the UK. Lancet 2013;381:133-41. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(12)61720-6.
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