Perte auditive, utilisation d’aides auditives et risque de démences chez les sujets âgés
Hearing Loss, Hearing Aid Use, and Risk of Dementia in Older Adults
Cantuaria ML, Pedersen ER, Waldorff FB, & al.
JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2024;150:157-64.
https://doi.org/10.1001/jamaoto.2023.3509
CONTEXTE
Environ 20 % des femmes et 30 % des hommes âgés de 70 ans et plus vivant en Europe ont une altération de leur acuité auditive d’au moins 30 décibels (30 dB) à leur meilleure oreille. Ces taux passent à 45 % pour les femmes et 55 % pour les hommes âgés de 80 ans et plus (1).
Une telle altération interdit d’entendre les sons de faible intensité (chuchotement, froissement, son « normal » de la télévision) et de suivre les conversations dans un environnement bruyant (2). Par ailleurs, plusieurs études de cohortes prospectives (2-4) ont montré que cette altération était statistiquement associée à une augmentation de la prévalence des démences et des états dépressifs. De plus, une étude transversale menée chez des sujets presbyacousiques a suggéré que le risque de démence était plus important chez ceux qui n’avaient pas d’aides auditives (5). À l’inverse, un essai randomisé en ouvert a montré (à 3 ans) que comparativement à un programme d’éducation en santé, les aides auditives ne freinaient pas le déclin cognitif des sujets presbyacousiques à l’exception d’un sous-groupe de personnes à très haut risque de démences (6).
OBJECTIFS
Examiner la relation statistique entre l’altération de l’acuité auditive et l’apparition d’une démence ainsi que le potentiel effet des aides auditives sur cette relation.
MÉTHODE
Étude de cohorte prospective (de janvier 2003 à décembre 2017) chez des sujets âgés de 50 ans ou plus souffrant ou non de perte auditive issus de 4 bases de données (BDD) différentes (BDD de trois cliniques gouvernementales dans le sud du Danemark recueillant systématiquement des données audiométriques, BDD de sujets ayant demandé un remboursement d’aides auditives ou de piles pour ces dispositifs, enregistrés dans le registre national des patients vivant au Danemark, BDD de sujets ayant un diagnostic de perte auditive enregistrés dans le même registre et BDD de sujets ayant consulté dans une polyclinique ORL privée inscrite au registre national des soins de santé).
Le critère de jugement principal était le rapport entre la perte auditive et l’apparition de démences. Ces dernières étaient définies selon les classifications internationales des maladies version 8 (ICD-8) et 10 (ICD-10) ou parce que les sujets inclus avaient reçu une prescription de médicaments indiqués dans le traitement de la maladie d’Alzheimer disponibles au Danemark (rivastigmine, donépézil, mémantine ou galantamine).
Une analyse en sous-groupe des personnes malentendantes portant des aides auditives versus un échantillon aléatoire de sujets similaires mais non appareillés était également prévue au protocole.
L’analyse statistique a utilisé un modèle de Cox proportionnel avec corrections (ajustements) multiples pour tenir compte de l’âge, du sexe, des comorbidités cardiométaboliques (diabète de type 2, insuffisance cardiaque ou coronaire, antécédent d’accident vasculaire cérébral) et d’autres variables médicales et socio-économiques pertinentes.
RÉSULTATS
La population incluse dans la cohorte comprenait 573 088 personnes dont 52 % de femmes. L’âge moyen était de 60,8 ans (± 11,3) et le suivi médian était de 10 ans. Parmi les inclus, 41 104 patients (7,2 %) ont développé une perte auditive ≥ 20 dB, dont 3 020 (7,3 %) ont bénéficié d’aides auditives. Au cours du suivi de l’ensemble de la cohorte, 23 023 (4,01 %) cas de démence ont été identifiés.
Globalement, une perte auditive ≥ 20 dB était corrélée à une augmentation modérée du risque de démence : HR ajusté = 1,07 ; IC95 % = 1,04-1,11 comparativement aux personnes ayant une audition normale. Quand elle était sévère (≥ 60 dB à la meilleure oreille), le risque de démence était encore plus élevé : HR ajusté = 1,20 ; IC95 % = 1,09-1,32. Enfin, au sein d’un échantillon de 8 147 sujets ayant une audition normale à l’inclusion, le risque de démence à 10 ans était plus élevé chez ceux qui n’avaient pas porté d’aides auditives à la suite d’une audiométrie anormale faite au cours du suivi : HR ajusté = 1,20 ; IC95 % = 1,13-1,27, que chez ceux qui en avaient porté : HR ajusté = 1,06 ; IC95 % = 1,01-1,10.
COMMENTAIRES
Même si une très récente étude transversale française (méthodologiquement moins convaincante) montrait des résultats un peu différents en termes d’efficacité des aides auditives sur la cognition (7), l’étude de cohorte Danoise particulièrement complexe, et fidèle aux recommandations STROBE (8), confirme la corrélation statistique entre perte auditive et démences, déjà suggérée dans une thèse de médecine générale Française (9) en 2007 et deux cohortes Américaines (10,11).
Par ailleurs, cette étude danoise a essayé de démontrer que les aides auditives pouvaient prévenir et/ou freiner le déclin cognitif des sujets malentendants. Malheureusement, l’effectif portant des aides auditives dans cette cohorte était trop petit pour apporter une preuve statistique de cet effet et surtout, en l’absence de randomisation, une étude de cohorte ne peut pas apporter une preuve causale et tangible de cet effet, car les HR sur des populations non randomisées ne sont pas comparables. De plus, la définition de l’utilisation d’aides auditives ne tenait pas compte de la mauvaise observance bien connue de ces dispositifs. Le seul moyen de démontrer la capacité des aides auditives à prévenir et/ou freiner le déclin cognitif serait de conduire un essai randomisé en double insu en sélectionnant des patients « déclineurs rapides » (pour éviter une durée d’essai interminable d’au moins 10 ans), même si le double insu est très difficile à respecter dans cette situation clinique. Cette dernière particularité d’essai en ouvert impose de choisir un critère de jugement principal le plus objectif possible, ce qui, en termes d’évaluation cognitive, est un choix particulièrement épineux.
En pratique, il est utile de tester systématiquement par audiométrie (12) l’acuité auditive des sujets âgés de 70 ans et plus (surtout s’ils ne se plaignent de rien) et de leur conseiller des aides auditives (maintenant au moins partiellement remboursées) en cas d’altération gênante de leur audition. Même s’il n’y a pas de preuve formelle de l’efficacité des aides auditives sur l’état cognitif, restaurer une audition déficiente est utile à la qualité de vie des sujets âgés (13) et aux relations avec leur entourage.
Références
(1) Roth TN, Hanebuth D, Probst R. Prevalence of age-related hearing loss in Europe: a review. Eur Arch Otorhinolaryngol 2011;268:1101-7. https://doi.org/10.1007/s00405-011-1597-8
(2) Lin FR, Metter EJ, O'Brien RJ et al. Hearing loss and incident dementia. Arch Neurol 2011;68:214-20. https://doi.org/10.1001/archneurol.2010.362
(3) Loughrey DG, Kelly ME, Kelley GA et al. Association of age-related hearing loss with cognitive function, cognitive impairment, and dementia: a systematic review and meta-analysis. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2018;144:115-26. https://doi.org/10.1001/jamaoto.2017.2513
(4) Liang Z, Li A, Xu Y et al. Hearing loss and dementia: a meta-analysis of prospective cohort studies. Front Aging Neurosci 2021;13:695117. https://doi.org/10.3389/fnagi.2021.695117
(5) Huang AR, Jiang K, Lin FR et al. Hearing loss and dementia prevalence in older adults in the US. JAMA 2023;329:171-3. https://doi.org/10.1001/jama.2022.20954
(6) Lin FR, Pike JR, Albert MS et al. Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): a multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2023;402:786-97. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(23)01406-X
(7) Grenier B, Berr C, Goldberg M et al. Hearing Loss, Hearing Aids, and Cognition. JAMA Network Open 2024;7:e2436723. https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2024.36723
(8) The Strengthening the Reporting of Observational Studies in Epidemiology (STROBE) Statement: guidelines for reporting observational studies. http://www.equator-network.org/reporting-guidelines/strobe/
(9) Pouchain D, Dupuy C, Vergnon L et al. La presbyacousie est-elle un facteur de risque de démence ? Étude AcouDem. La revue de gériatrie 2007;32:439-45.
(10) Lin FR, Metter EJ, O’Brien RJ et al. Hearing loss and incident dementia. Arch Neurol 2011;68:214-20. https://doi.org/10.1001/archneurol.2010.362
(11) Deal JA, Betz J, Yaffe K et al. Health ABC Study Group. Hearing impairment and incident dementia and cognitive decline in older adults: the health ABC study. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2017;72:703-9. https://doi.org/10.1093/gerona/glw069
(12) Carl AC, Hohman MH, Cornejo J. Audiology pure tone evaluation. In: StatPearls [Internet]. StatPearls Publishing 2024. Disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK580531/
(13) Organisation Mondiale de la Santé. Surdité et déficience auditive 2024. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/deafness-and-hearing-loss
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