« Certains urgentistes sont en burn-out, d’autres ont été arrêtés, mais ont repris alors qu’ils auraient dû être prolongés. Des médicaux et des paramédicaux pleurent en garde. Certains prennent des médicaments pour dormir ou pour aller mieux dans la journée. Des consommations de toxiques ont aussi fait leur apparition. Je ne serais pas surprise qu’il y ait des suicides dans les semaines qui viennent ». C’est notamment pour cette dernière raison qu’Isabelle*, médecin urgentiste à Pellegrin (CHU de Bordeaux), a accepté de témoigner de manière anonyme au « Quotidien ». Selon elle, « les soignants qui travaillent à l’hôpital Pellegrin depuis 8 à 10 ans disent aujourd’hui n'avoir jamais connu un été aussi catastrophique de leur vie et vouloir partir ». Trois urgentistes auraient annoncé qu’ils étaient sur le départ.
Manque de personnel
C’est Sud Santé sociaux Solidaires qui a tiré la sonnette d’alarme le 31 août dans un communiqué. Selon le syndicat, la ligne rouge a été franchie cet été aux urgences de Pellegrin. Principalement en raison du manque de personnel (médical et paramédical) et de fermetures massives de lits : plus de 700 certains jours sur environ 3 000 lits au total (contre environ 300 les étés précédents). Sud réclame l’arrêt immédiat de ces fermetures de lits ainsi que l’augmentation des effectifs et la création d’un « pool de remplacement » de personnel pour pallier les absences et arrêts maladie.
L’été 2021 a été particulièrement difficile en raison des difficultés des structures d’urgence de la région qui se sont répercutées sur Pellegrin. « Les urgences de Marmande ont fermé 15 jours en juillet, celles de l'Hôpital d'instruction des armées Robert Picqué ont fermé la nuit », précise Gilbert Mouden, infirmier anesthésiste et représentant Sud Santé. Conséquence : « le flux de patients a quasiment doublé cet été. Or, quand on a 200 patients par jour qui arrivent – contre 100 en temps normal – et qu’on a 10 places hospitalisation, on sait déjà que cela va mal se passer », poursuit Isabelle.
Perte de chance
Et d’ajouter que des patients sont fréquemment installés sur des brancards dans les couloirs, faute de places. « Or, on sait qu’ils ne seront pas bien pris en charge, affirme Isabelle. Parce qu’on aura une infirmière pour 20 à 25 patients des urgences qui sont souvent dans des états graves. C’est souvent une perte de chance pour eux. Et malheureusement, sans doute des décès ».
Et de citer le cas d'« une patiente qui a attendu quatre jours et demi aux urgences une place en neuro-réanimation, avec un hématome dans la tête ». Isabelle se souvient aussi d’un patient avec un AVC hémorragique contraint d’attendre dans un box durant 48 heures. Des boxes où le personnel a dû aussi « gérer des patients extrêmement graves » qu’il s’agisse de chocs septiques ou de patients Covid sous oxygène. « Cela nous met dans une difficulté folle parce qu’on gère de la réa dans un endroit où on n’a ni le matériel, ni le personnel pour cela, poursuit Isabelle. Ce sont des situations extrêmement dégradées, pour les patients comme pour les soignants. »
Impuissance
Quand on l’interroge sur son cas personnel, Isabelle vide son sac : « Quand je commence ma journée de travail, je sais que, quoi qu'il arrive, quelle que soit la force et l’énergie que je vais y mettre, cela ne sera pas satisfaisant, que mes prises en charge ne seront pas correctes toute la journée. C’est ça qui est épuisant psychologiquement, cela rend fou d’impuissance et de colère. On est tous à fleur de peau, dans une espèce d’anxiété permanente, d’épuisement permanent. »
Ce qui exaspère ce médecin, c’est que la situation n’évolue pas malgré de multiples alertes. Une réunion de crise s’est certes tenue le 17 août entre le personnel, l’ARS et la direction de l’hôpital. « On nous a dit qu’on allait essayer de nous aider, mais rien n’a bougé, alors que la situation est urgentissime. » Sollicitée par « Le Quotidien », la direction du CHU de Bordeaux n'a pas souhaité réagir.
*Le prénom a été modifié pour des raisons de confidentialité
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