Depuis l’entrée en vigueur de l'obligation vaccinale pour les professionnels de santé, le 15 septembre, les suspensions se multiplient avec parfois des conséquences pour les services et les établissements concernés. Dans la région Ile-de-France, plus de 1 400 salariés des hôpitaux, cliniques et maisons de retraite font l'objet d'une suspension pour non-respect de l'obligation vaccinale, a indiqué l'ARS francilienne en début de semaine. Parallèlement, différents référés sont jugés par les tribunaux administratifs sans remettre en cause le principe de l'obligation vaccinale.
Quelles sont les conséquences de ces suspensions pour les professionnels ? Peuvent-ils être licenciés ? Que risquent ceux qui tentent de contourner l’obligation vaccinale ? Entretien avec Anne-Lise Puget, avocate en droit social, associée au cabinet Bersay.
Le QUOTIDIEN : Le ministre de la Santé a précisé qu’un grand nombre des suspensions actuelles (pour non respect de l'obligation vaccinale) ne sont que « temporaires ». Qu'est-ce que cela signifie ?
ANNE-LISE PUGET : Depuis le 15 septembre, les professionnels de santé qui n’ont pas transmis les justificatifs requis peuvent voir leur contrat de travail suspendu. La suspension est « temporaire », tant que l’individu n’est pas en conformité avec son obligation vaccinale, justificatifs à l’appui.
Mais la suspension est une mesure très dure. On considère que ce n’est pas une période de travail effectif, la rémunération est suspendue et le salarié n’acquiert aucun congé, aucune ancienneté. Parallèlement, comme il est toujours salarié, il reste lié par les obligations attachées à son contrat de travail. Il est donc tenu par une obligation de loyauté, et éventuellement une obligation de non-concurrence, il ne peut donc pas travailler pour une autre entreprise. À noter également que le contrat de travail n’est pas rompu, empêchant le salarié de bénéficier des allocations chômage. C’est donc un dispositif extrêmement lourd pour le soignant concerné.
Des recours ont déjà été introduits par des soignants suspendus. Mais ils ont été rejetés par les tribunaux administratifs, comme cela a été le cas à Strasbourg le 27 septembre dernier.
Jusqu’où peuvent aller les sanctions ? Les établissements peuvent-ils, oui ou non, mettre fin au contrat de travail ?
À l’issue de 30 jours de suspension, l’employeur doit prévenir le conseil de l’Ordre [auquel appartient le salarié]. Mais on pourrait tout à fait imaginer que la suspension dure plus de 30 jours.
Par ailleurs, le projet de loi initial comportait la possibilité de procéder à des licenciements. La rupture anticipée d’un CDD [faute de pass sanitaire] a été censurée par le Conseil constitutionnel. Toutefois, la ministre du Travail a rappelé en août qu’en cas de blocage persistant de la situation, le droit commun recommençait à s’appliquer… Cela veut dire qu’il est tout à fait possible pour un employeur de licencier un salarié en CDI qui refuserait de présenter les justificatifs requis par la loi.
Il existe d'ailleurs une jurisprudence de 2012 (Cour de cassation, chambre sociale, 11 juillet 2012, 10-27.888) qui semble encore s’appliquer. Selon cette jurisprudence, lorsque la loi oblige un salarié à se faire vacciner, l’absence de vaccination est un motif de licenciement en soi, si le salarié n’est pas en mesure de démontrer qu’il est sujet à des contre-indications. En vertu de cette jurisprudence, il est possible que des salariés soient licenciés dans les semaines qui viennent. Si cela se produit, les salariés concernés seront susceptibles de saisir le conseil des prud'hommes pour contester ce licenciement.
Que risquent les soignants qui ont décidé de se mettre en arrêt maladie pour contourner l’obligation vaccinale ?
Un salarié en arrêt maladie peut être licencié à condition toutefois – notamment – de démontrer que l’absence du salarié liée à l’arrêt maladie porte préjudice au fonctionnement de l’établissement, et que l’employeur est donc contraint de procéder à une embauche en CDI pour compenser cette absence.
Est-ce que les médecins récalcitrants ont la possibilité de prendre des congés (durables) pour repousser les sanctions ?
Pour les PH soumis à l’obligation vaccinale, la loi encourage le dialogue en premier lieu. On a donc d’abord reçu les récalcitrants pour leur proposer de poser des congés, pour qu’ils puissent se faire vacciner. Mais on ne pourra pas leur proposer de prendre des congés de plusieurs mois ! La prise de congés, telle qu’elle est prévue par la loi, est un dispositif alternatif pour donner le temps à l’individu de compléter son parcours vaccinal. Mais ce n’est pas un dispositif qui lui permet de passer outre l’obligation vaccinale.
Les congés sont fixés en concertation avec l’établissement. Il ne me paraît pas du tout réaliste d’envisager que les établissements hospitaliers laissent les PH prendre plusieurs semaines de congés pour échapper à leurs obligations vaccinales. D’autant plus qu’il y a de fortes chances que le pass sanitaire soit prolongé après le 15 novembre. J’imagine que les établissements ne seront pas en mesure de laisser leurs salariés en congés aussi longtemps.
Dans le cadre du contrôle de cette obligation vaccinale, des établissements ont choisi de « court-circuiter la médecine du travail en imposant à leurs employés de transmettre directement à leur direction leurs certificats (vaccination, contre-indication, rétablissement) », dénonçait mi-septembre le SNPHARe. Est-ce que cela pourrait remettre en cause le secret médical à terme ?
En principe, les informations liées à la vaccination sont soumises au secret médical, donc l’employeur ne devrait pas savoir si les salariés sont vaccinés ou pas. Le secret médical est un droit subjectif. Celui qui en est titulaire, à savoir l’individu, est le seul susceptible de le lever. Il peut décider de lever le secret médical et de révéler sa situation vaccinale à son employeur. Dans ce cas, on ne peut pas vraiment considérer qu’il y a violation du secret médical.
Si des établissements demandent de façon autoritaire qu’on envoie des justificatifs de vaccination à la direction et non à la médecine du travail, il y a certainement des questions à se poser. Mais si le salarié donne son accord et transmet les informations à son employeur, on ne pourra pas reprocher à la direction d’un établissement d’avoir remis en cause le secret médical.
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