Comment l’hôpital peut-il générer une gouvernance aussi éloignée du soin et du patient ? Comment fait-il pour prendre des décisions aussi déconnectées de la réalité de notre travail ?
Telles étaient les questions posées par le Dr Nicole Smolski, anesthésiste-réanimatrice à l’hôpital lyonnais de la Croix-Rousse (Hospices civils de Lyon) et membre du syndicat de praticiens SNPHARe, en préambule d’une conférence-débat sur l'impact des réformes hospitalières. Étaient invités le sociologue de la santé Frédéric Pierru et le Pr André Grimaldi, diabétologue à la Pitié-Salpêtrière (Assistance publique – Hôpitaux de Paris).
Dérives de la tarification à l'activité (T2A), pression budgétaire sur les résultats, management autoritaire, démographie médicale en souffrance… À l'heure où le malaise hospitalier, protéiforme, s'exprime fortement dans l'actualité, Frédéric Pierru recadre : « Le mouvement de réforme qui affecte l’hôpital dans un contexte budgétaire tendu a une longue histoire. Toutes les réformes qui se déploient aujourd’hui étaient déjà pensées dans les années soixante-dix », assure-t-il. « Par exemple, il y avait déjà une réflexion sur la tarification à l’activité bien avant 2007 ».
Les années 2000 ont marqué un tournant dans le rythme des réformes hospitalières avec une accumulation de décisions verticales. « La T2A était le premier étage de la fusée. Le deuxième étage, c’est la réforme de la gouvernance des hôpitaux avec le transfert des pouvoirs aux chefs d’établissement [par la loi HPST, NDLR], ce qui a promu la vision d’un hôpital dirigé de main de maître par un directeur chef d’entreprise. Enfin, le troisième étage de la fusée, c’est la fin du statut de l’hôpital public, qui commence par l’arrivée des ESPIC (établissements de santé privés d’intérêt collectif) », analyse le sociologue.
Part de marché et service client
« Avant, le système de santé était pensé par les médecins, se souvient pour sa part le Pr André Grimaldi. Désormais, on pense que le seul bon management, c’est le management privé. Cette logique s’étend jusqu’à l’adoption de termes du commerce à l’hôpital. On ne dit plus répondre à des besoins, mais gagner des parts de marché. On ne parle plus de patients mais de service client. Les hôpitaux recrutent même des salariés pour optimiser le codage des actes, c’est-à-dire pour augmenter la facture à la Sécu ! Nous sommes pourtant face à deux défis majeurs, le premier de répondre aux progrès technologiques très coûteux et le second de prendre en charge 20 millions de patients atteints de maladies chroniques. Or, notre système de santé n’a pas été conçu pour la maladie chronique. Nous demandons à la ministre une dotation pour ces maladies », réclame-t-il.
Pour le médecin, « on en est arrivés à vouloir transformer les hôpitaux en cliniques commerciales et c’est un échec, qui génère souffrance au travail, et dégradation de la qualité des soins ». De son côté, Frédéric Pierru note que « cet échec est de plus en plus évident. Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, l’a même reconnu officiellement ». « La ministre a fait le bon diagnostic mais il n’y a aucun acte », regrette le Pr Grimaldi. « Le problème, reprend Frédéric Pierru, c’est qu’on ne peut pas changer de politique aussi facilement. La T2A a étouffé toutes les réflexions alternatives. Si elle continue voire accélère, c’est parce que c’est un instrument de pouvoir. Pour la direction générale de l’organisation des soins (DGOS), c’est le moyen de gouverner à distance la profession médicale », estime-t-il.
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