LE QUOTIDIEN : Comment définissez-vous l'architecture en santé ?
Gérard Huet : C'est avant tout un acte serviciel. L'architecture en santé n'a pas à faire preuve d'héroïsme formel. Elle est assignée à apporter une réponse claire aux attentes des maîtres d’ouvrage et des utilisateurs, qu'ils soient patients ou personnels hospitaliers. Mais serviciel ne veut pas dire pour autant asservi. Les architectes gardent une capacité à réinterroger les questions qui leur sont posées, à travers leur propre culture.
Michel Beauvais : La difficulté des architectes de la santé, c'est d'avoir la capacité d'écoute pour comprendre et traduire tout ce que cette communauté attend d'eux. Il faut être au service mais aussi proposer. Nous ne sommes pas dans une démarche d'architecture de prestige ou nombriliste. C'est aussi un domaine extrêmement vaste. Cela touche toutes les disciplines, de la MCO aux spécialités en passant par la logistique, l'hôtellerie et bien sûr tout le médico-social ainsi que la psychiatrie.
En quoi le monde de la santé est-il complexe selon vous ?
GH : C'est complexe car nous sommes confrontés à des temporalités très différentes. J'en distingue trois principales. Il y a le fait technologique qui bouge de manière permanente. Le système d'information qui préside entre les occupants et les utilisateurs de l'hôpital. Et enfin, il y a la mobilisation de l'ensemble des ressources humaines pour concourir à donner du soin. Or, il est très rare, voire impossible, de donner sens et de spatialiser tout cela.
MB : On a quand même un grand privilège de pouvoir travailler autour de la santé. Car on est dans un monde sensible, avec un public extrêmement en attente de ce que leur outil va pouvoir leur offrir. On prend souvent comme exemple la différence qui existe entre un bâtiment de MCO avec un plateau technique très complexe où on n'a pas le droit à l'erreur et la psychiatrie où l'outil, c'est l'architecture, c'est l'espace.
En quoi l'architecture en psychiatrie est-elle si particulière ?
MB : D'abord parce qu'il y a deux types de psychiatrie. L'une que l'on pourrait dire contrainte, car elle peut aller jusqu'à la contention. Et puis il y a la psychiatrique ouverte, de jour. C'est une discipline passionnante mais très impressionnante car il est beaucoup plus compliqué d'échanger avec les patients, alors que dans le MCO il y a cette possibilité. Qui plus est, les psychiatres, parfois au sein d'un même établissement, ne sont pas d'accord entre eux sur la manière dont doit être conçu l'espace, c'est aussi ce qui rend cette discipline passionnante.
GH : En psychiatrie, il y a une distanciation me semble-t-il assez importante entre la structure bâtie, le spatial et le niveau de la connaissance. On pourrait dire une certaine inadéquation. Alors que dans le MCO il y a une dimension beaucoup plus large, plus technique, une communauté extrêmement complexe, en psychiatrie c'est une autre pratique où presque tout est à inventer.
Échangez-vous beaucoup avec les professionnels de santé lors de la réalisation d'un projet ?
GH : Il y a en réalité deux mondes. Celui du public est très normé : la communauté médicale formule un projet qui est traduit par ce qu'on appelle un état de programmation puis il y a un concours d'architecture. Cela aboutit à la désignation d'un lauréat. Mais dans ce parcours il n'y a aucun échange avec quiconque. Ce n'est qu'après qu'on peut être en contact avec la maîtrise d'ouvrage. Mais là encore, c'est très divers. Pour ma part, j'ai connu des maîtrises d'ouvrage réduites à la direction de l’établissement qui excluaient le personnel soignant ou tout à fait l'inverse.
MB : En Belgique, où je travaille aussi, la pratique n'a rien à voir et se rapproche de celle du privé en France. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de programme. On travaille avec une feuille de route et des objectifs notamment en termes d'activité ou de capacitaire. Dès le départ, nous avons des retours d'expérience avec la mise en place au plus vite de séances de concertation avec les utilisateurs. Mais qu'importe la situation, ce n'est que par le dialogue avec tous les acteurs à l'intérieur d'un hôpital que nous apprenons.
Ne vous sentez-vous pas trop contraints par le normativisme lié au monde de la santé ?
MB : En France, la programmation architecturale est très précise à la fois en matière d'espace mais aussi sur des questions médicotechniques. Et il va falloir compter de plus en plus sur la dimension numérique. L'hôpital de Lens sur lequel je travaille, qui se veut au degré digital le plus haut, est d'une extrême complexité.
GH : Mais nous les architectes, on sait aussi prendre des risques. Ce n'est pas un hasard si nous avons choisi de travailler dans la santé. On sait être les plus éclectiques possible tout en étant des grands spécialistes. On sait être à l'écoute des usagers car rien n'est figé. En fait, la traduction que l'on fait d'un programme donne naissance au projet. Et c'est là qu'on fait évoluer les choses ! Mais il faut que la dimension humaine reste le fil rouge. J'entends par dimension humaine des choses aussi concrètes que le geste du chirurgien ou la pratique de l'infirmière.
Quelle est la fonction d'un bâtiment hospitalier aujourd'hui ?
GH : L'hôpital doit prodiguer du soin mais aussi prendre soin, des patients, des personnels et des visiteurs. Ce qui n'a pas été le cas ces dernières décennies où c'est la volonté politique d'assainir la finance et de réduire le coût de la santé qui a présidé. L'hôpital doit se recentrer sur la personne plutôt que sur le tableau Excel de la rentabilité. L'épidémie de Covid-19 a exacerbé cette idée. Nous architectes, allons être amenés à nous renouveler et notamment à réfléchir à la fin du fonctionnement en silo des établissements.
MB : Clairement, la pandémie va amener les concepteurs à se remettre en cause. Avant, il y avait des filières infectieuses classiques. À partir de maintenant, il va falloir se demander par où on la fait passer, comment elle est prise en charge... Il y a des débats sur ce sujet entre les médecins, les hygiénistes et les ingénieurs. Le programme que je viens de gagner au CHU de Nîmes a été bouleversé par ces questionnements. Alors qu'on me demandait initialement de réduire le capacitaire, il faut aujourd'hui que j'y intègre 80 nouveaux lits.
À quoi ressemblera l'hôpital de demain selon vous ?
MB : L'hôpital public était déjà très malade avant la pandémie. Sous prétexte de virage ambulatoire, on réduisait de manière purement économique le nombre de lits. On réduisait aussi le nombre de personnels auprès du patient. Cela fait des années que ça dure. Le Ségur de la santé a eu le mérite de supprimer le COPERMO, mais tout n'est pas encore réglé. L'hôpital de demain doit retrouver ce qui faisait toute sa noblesse par le passé : le respect de son personnel. Et le confort passe par l'infrastructure. On a un système de santé extraordinaire en France mais il y a un problème de gestion et de bon équilibre financier.
GH : L'hôpital de demain, qu'il soit public ou privé, sera fatalement très hautement technologique. C'est inéluctable. Mais pour autant, l'hôpital reste un lieu de vie et il ne peut déroger à sa fonction sociale et humaniste. La clé de notre travail réside là-dedans.
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