LE QUOTIDIEN : La médiation à l’hôpital, c’est quoi ?
DANIELLE TOUPILLIER : Mon poste a été créé à la suite du suicide du Pr Jean-Louis Mégnien, ce cardiologue hospitalier qui s’est défenestré de son bureau en décembre 2015. J’ai succédé en 2021 à Édouard Couty, qui a été le premier médiateur national. Le dispositif national de médiation est spécifique aux établissements publics de santé sociaux et médico-sociaux. Leur autonomie est un droit et se caractérise par trois éléments ainsi réunis : un directeur administratif, qui a un budget spécifique et qui peut ester en justice [se défendre juridiquement, NDLR]. En contrepartie, son obligation d’employeur le rend légalement responsable de la protection et de la mise en sécurité de ses salariés. C’est là que commence le début de l’histoire de la conciliation et de la médiation.
Chaque établissement a l’obligation réglementaire de mettre en place un dispositif de conciliation pour prévenir risques psychosociaux, burn-out, stress, conflits entre soignants et/ou entre chefs. Nous entrons dans le jeu quand la conciliation locale échoue.
Comment s’organise votre travail ?
Le médiateur qui intervient dans un hôpital est un tiers extérieur, qui va être à l’équilibre des parties pour les amener à trouver en eux-mêmes les solutions au conflit qui les anime. Dix médiateurs régionaux et interrégionaux nous remontent les informations indispensables du terrain.
Une médiation est constituée de plusieurs entretiens individuels. Nous sommes toujours présents à deux voire plus. Confidentialité, liberté, indépendance, neutralité, impartialité et équité nous guident. Nous faisons la navette jusqu’à arriver à un point de bascule pour parvenir à une confrontation où les parties prenantes pourront libérer leurs émotions. Certaines personnes sont tellement en souffrance qu’elles ne supportent plus l’autre. Nous travaillons sur le retour en estime, à la compréhension.
Qu’est ce qui déclenche une médiation ?
Souvent, un événement révélateur a précipité et dégradé une relation entre deux directeurs ou deux chefs de service. Mais le mal est en règle général plus profond. Chaque partie est convaincue d’être la victime de l’autre. Finalement, ces conflits sont souvent fondés sur des malentendus, des non-dits, voire des trop-dits. Notre rôle est de leur faire admettre une vérité acceptable qui va être le début de la restauration de la relation. Parfois, ce n’est pas possible et notre rôle consiste aussi à préparer la sortie. Les parties signent alors, dans un protocole, un engagement à ne pas critiquer la partie adverse dans leur suite de carrière.
Avez-vous constaté un type de conflit récurrent ?
Un conflit sur deux implique effectivement deux « institutionnels » : directeurs, patrons de CME, chef de pôle ou de service. Dans 29 % des cas, la demande de médiation concerne des personnels sans rapport de hiérarchie entre eux. C’est une médiation de type « interpersonnel ». Et dans 21 % des cas, il s’agit de conflits entre un personnel et un manager.
Dans quelle mesure la médiation concerne les médecins ?
En 2024, nous avons enregistré 403 demandes de médiations de la part de praticiens hospitaliers, de PU-PH et d’internes. Ce sont les soignants qui font le plus appel à nous. Ils représentent 64 % des saisines en 2024, soit six points de plus qu’en 2023. Suivent les paramédicaux (16 % des demandes en 2024) et les directeurs (12 % en 2024 contre 5 % en 2022). Nous constatons dans les requêtes une sous-représentation des femmes.
On observe également qu’en 2024, près d’une saisine sur deux (48 %) provient d’un CHU et 38 % des centres hospitaliers. En revanche, seules 6 % des demandes émanent des établissements médico-sociaux. Il nous reste vraiment un effort de communication à destination de ces structures.
Combien d’internes ont saisi votre médiation ?
Ils sont peu nombreux mais ce sont des cas significatifs. Nous avons 39 dossiers en 2024. Il s’agit souvent de situations extrêmes et très chronophages. Six demandes de médiation sur dix de la part des jeunes médecins sont considérées à très haut risque, au regard du risque suicidaire. C’est la raison pour laquelle nous répondons à leur demande en semaine et en week-end, de jour comme de nuit. Sur ce sujet, je ne peux que me féliciter de la parfaite coopération avec le syndicat Isni et les cabinets ministériels concernés.
Les services où la maltraitance sur un interne est avérée peuvent se voir retirer leur agrément de stage. Est-ce récurrent ?
Nous ne connaissons pas le nombre de retraits ou de suspension de stage car c’est la DGOS (ministère) qui gère cela, en lien avec les ARS. De notre côté, nous n’avons eu connaissance que d’un seul cas de suspension d’agrément, intervenu après une médiation que nous avons menée à la demande d’un interne.
Dans ces cas extrêmes, soit il s’agit d’un vrai conflit entre personnes, soit le malaise provient de l’isolement de l’interne dans son service. Nous sommes en capacité de les faire changer de subdivision ou de spécialité s’ils veulent partir dans une autre ville. Dans ce dernier cas, le « motif impérieux » pour des raisons médicales ou personnelles graves peut être invoqué. Nous faisons alors en sorte de rapprocher ces jeunes en souffrance de leurs proches afin qu’ils poursuivent leur cursus dans de meilleures conditions.
Constatez-vous une évolution de la saisine de médiation ces dernières années ?
Les cas de saisine ont progressé de 40 % chaque année à partir de 2021 jusqu’en 2024, année qui observe un léger recul (dix dossiers en moins) après cette intense période post-Covid. Dans le même temps, le nombre de conciliations au local augmente, ce qui réduit le nombre de saisines.
Il faut aussi dire qu’outre la médiation à proprement parler, notre rôle est amené à s’étoffer. Nous aurons dans les années à venir plus de missions d’appui, de conseil et d’accompagnement. Ce dispositif existe depuis 2023. Il permet à plusieurs autorités (ARS, préfets, ministres, directeurs d’hôpital, présidents de CME, doyens) de chercher une solution lorsqu’un groupe de personnels fait part de son mécontentement, par exemple en cas de déménagement des équipes dans un nouveau bâtiment. Mais contrairement à la médiation, il n’y a pas dans cette démarche d’engagement à la confidentialité.
Nous traiterons aussi davantage de demandes pour aider à réintégrer un professionnel longtemps absent pour burn-out, maladie ou conseil de discipline. Car même après une réintégration, les conflits persistent. Notre rôle est de les apaiser et de faire en sorte que le travail d’équipe continue.
Outre la médiation, vous êtes chargée de former les spécialistes de la conciliation locale…
Depuis 2019, tous les établissements de la fonction publique hospitalière doivent proposer un dispositif de conciliation. Cela prend forme, même si la crise sanitaire a ralenti les choses. En 2024, nous avons formé 187 conciliateurs. Médecins, directeurs, paramédicaux, administratifs : à l’image de l’hôpital public, les profils sont variés.
Vous avez été saisie par le Centre national de gestion et l’ARS PACA pour apaiser « des tensions exacerbées » entre le CHU de Nice et plusieurs centres hospitaliers du GHT tels Menton, Grasse, Cannes et Antibes. Où en est ce dossier ?
Très lourde, cette affaire implique 14 protagonistes dont des médecins, des présidents de CME et des doyens. Saisis en février, nous avons commencé notre médiation fin mars, avec deux jours en présentiel et deux séances à distance de 2 h 30 chacune. Il y a de l’espoir, rien n’est bloqué. Les acteurs ont besoin de temps. Nous allons les revoir en septembre.
Repères
1994-1998 : Secrétaire générale de l’Établissement français du sang
1998-2004 : Conseillère technique au ministère de la Transition écologique et solidaire
2004-2007 : Cheffe de service, adjointe au directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins
2007-2019 : Directrice générale du Centre national de gestion (CNG)
Depuis 2021 : Médiatrice nationale pour les personnels des établissements publics hospitaliers
Octobre 2024 : Deuxième mandat en tant que médiatrice nationale
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