Services engorgés ou fermés temporairement, plans blancs réactivés, soignants épuisés, vagues d’arrêts maladie ou même de départs : rien ne va plus, à nouveau, dans de nombreux services d’urgence.
Selon le collectif inter-hôpitaux (CIH), pas moins de 70 établissements étaient fin avril dans l’une des trois situations suivantes : urgences (adultes ou pédiatriques) complètement saturées, services provisoirement fermés ou plans blancs redéployés pour amortir le choc. Parmi eux, des hôpitaux de référence à Bordeaux, Toulouse, Grenoble, Strasbourg, Orléans, Versailles, etc.
« Jusqu’à présent, seuls des établissements de petite taille étaient touchés. Aujourd’hui, ce sont de très grands hôpitaux qui craquent. La situation est grave », alerte le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). L’AP-HP n’est pas épargnée, puisque les personnels des urgences adultes de l’hôpital Louis-Mourier (Colombes) se sont mis en grève le 25 avril pour dénoncer des conditions de travail dégradées, un manque d'effectifs et de moyens et de nombreux lits fermés.
Grève dure à Orléans
Au CHR d’Orléans, plus de 90 % des infirmiers et aides-soignants des urgences étaient en arrêt maladie pour cause d’épuisement fin mars, selon SUD Santé. Le 8 avril, une trentaine de praticiens du service ont entamé une grève « dure » pour réclamer la libération de lits pour les urgences ou la mise en place d’une cellule de gestion ad hoc. Contacté par « Le Quotidien », le Dr Matthieu Lacroix, praticien des urgences au CHR, explique que l’activité a augmenté depuis plusieurs années tandis que le nombre de lits disponibles a « énormément diminué ». Résultat : certains patients restent parfois sur des brancards « 3, 4 ou 5 jours ». Début mai, l’accès aux urgences était toujours restreint. « En temps normal, on pouvait monter jusqu’à 70 patients à l’instant T, contre 10 à 12 maximum aujourd’hui », affirme l’urgentiste orléanais. Conséquence : la plupart des malades sont réorientés vers les maisons médicales et la clinique la plus proche. Celle-ci aurait « doublé son activité depuis fin mars », selon le Dr Lacroix. La direction a certes proposé un protocole de sortie de crise mais les mesures sont jugées insuffisantes et l’urgentiste craint une « vague de départs de médecins » au cœur de l’été.
Inquiétude
Ce médecin n’est pas le seul à être inquiet. « C'est la première fois qu'on constate au mois d'avril, au printemps, un absentéisme aussi fort. Qu'est-ce que ça va être cet été ? », s'interroge déjà Frédéric Valletoux, patron de la FHF. Et de proposer une réorganisation des congés « pour que tout le monde ne parte pas en même temps » dans trois mois.
Étienne Martinot, secrétaire départemental de FO Santé dans le Pas-de-Calais, redoute « des vacances terrifiantes ». Dans sa région des Hauts-de-France, l'hôpital de Roubaix a déclenché mi-avril son plan blanc, en raison d’un taux d'absentéisme de 14 %, ce qui a provoqué l’ire des syndicats. Deux jours plus tard, c'est l'hôpital de Tourcoing qui faisait de même. Un scénario similaire s’est produit au CH de La Rochelle ou encore en Vendée, où le plan blanc a été déclenché pour soutenir des services débordés.
Au CHU de Bordeaux, fin avril, les urgences fonctionnaient depuis dix jours en « mode dégradé ». « La fermeture de la salle de réveil a provoqué la fermeture de lits dans la salle d'accueil des urgences vitales [SAUV] », confie Gilbert Mouden, représentant de SUD Santé. Conséquence, la « SAUV s’est déportée sur les soins d’urgence » où quatre boxes étaient toujours « bloqués » fin avril, précise le syndicaliste. Dans un contexte où « 20 % des infirmiers et des aides-soignants du CHU sont arrêtés », où « la moitié des médecins urgentistes vont bientôt partir », l’été s’annonce « catastrophique ». Selon l’infirmier bordelais, si les effectifs n’augmentent pas rapidement, « on ne va pas s’en sortir. C’est un peu comme transfuser un patient : si on n’arrête pas l’hémorragie, il finit par mourir ». Cerise sur le gâteau, l'intersyndicale Sud-FO-CGT a lancé (depuis le 21 avril) un appel à la grève pour dénoncer le manque de personnel aux urgences pédiatriques.
Stopper l'hémorragie ?
Aux urgences du CH de Versailles, 30 paramédicaux se sont mis en arrêt maladie en quelques jours pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail, avant de débrayer le 2 mai à minuit.
C’est aussi « la catastrophe » à Toulon, Rouen, Angers ou Grenoble, affirme Amélie Boully, interne aux urgences de Dijon et membre de l’Association des jeunes médecins urgentistes (AJMU), qui a des référents sur tout le territoire. Certaines gardes seraient devenues « ingérables » depuis deux mois. « Beaucoup plus de passages, un temps d’attente qui augmente, beaucoup d’arrêts maladie chez les paramédicaux, donc on est moins nombreux pour faire un travail nettement plus conséquent », raconte-t-elle. Son association va lancer une campagne intitulée le « Tour de France de la loose ». Objectif : diffuser des statistiques comme le temps d'attente moyen ou le nombre de passages par jour.
Comment sortir de l'impasse ? Pour le Dr Prudhomme (Amuf), « nous n’inventerons pas les médecins qui n’existent pas ». À ses yeux, la solution à court terme serait de « rétablir l’obligation de permanence des soins pour l’ensemble des médecins en ville et à l'hôpital, toutes spécialités confondues, comme cela se fait dans de nombreux pays riches ». L’urgentiste est persuadé que « 80 % des médecins » pourraient participer aux gardes, à condition de leur fournir « des moyens logistiques et financiers » dignes de ce nom.
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