Ce n’est pas tous les jours que la prestigieuse revue Science s’intéresse aux relations médecins-patients. Stephen Schwab et Manasvini Singh (San Antonio, États-Unis) ont choisi l’angle du pouvoir du médecin et du statut du patient dans une publication qui fera date. Pour poser le problème, ils expliquent que dans toute relation entre deux personnes, une asymétrie dans l’accès aux ressources (matérielles ou intellectuelles) crée une dynamique de pouvoir. Cette dynamique peut influencer les interactions entre individus avec des conséquences positives (dans le domaine de la santé meilleure prise en charge, choix thérapeutique concerté…) ou négatives (abus, coercition, discrimination…).
En santé, quels facteurs influencent cette dynamique à risque d’asymétrie et de disparité ? L’idée des auteurs est d’analyser si le niveau de « pouvoir » du patient peut influer sur sa relation avec son médecin. En d’autres termes, si le patient est d’un même niveau social que son praticien, leur relation sera-t-elle plus égalitaire et plus bénéfique qu’en cas d’inadéquation « de classe » ?
Pour ce faire, ils ont mis en place une grande étude dans l’armée américaine au sein des services d’urgence sur plus de 1,5 million de consultations. Les patients étaient assignés au premier médecin disponible, sans possibilité de choisir, garantissant ainsi un appariement aléatoire. Tous les aspects du traitement et des soins, y compris les demandes d'examen, les diagnostics, la durée des consultations, les ordonnances, les suivis et les résultats des traitements, étaient enregistrés dans un système électronique.
Au total, 1 547 851 interactions médecin-patient, impliquant 856 357 patients (âgés de 18 à 64 ans) et 1 340 médecins, ont été analysées. Dans tous les cas, médecins et patients étaient militaires, ce qui offre une occasion unique d'examiner l'impact des différences de pouvoir hiérarchique sur les soins médicaux.
Patient moins ou plus gradés que leur médecin
Les différences de pouvoir hiérarchiques ont été quantifiées comme suit :
– Si les deux avaient le même rang, la différence de puissance était nulle.
– Si le patient avait un rang supérieur à celui du médecin, la différence de puissance variait de + 1 à + 3 points, selon le rang.
– Si le patient avait un rang inférieur à celui du médecin, la différence de puissance variait de − 1 à − 5 points, selon le rang.
Plus la différence de pouvoir hiérarchique entre le patient et le médecin était importante (en positif ou en négatif), plus le temps de la prise en charge était important
Les résultats ont révélé que plus la différence de pouvoir hiérarchique entre le patient et le médecin était importante (en positif ou en négatif), plus le temps de la prise en charge était important. Néanmoins, les patients de rang supérieur étaient plus susceptibles d'obtenir un rendez-vous de suivi par un spécialiste dans les 30 jours et ils présentaient un taux de réussite plus élevé dans la guérison des maladies diagnostiquées.
L'étude a révélé que des patients plus puissants pouvaient involontairement détourner des ressources en temps et en investissement intellectuel de patients moins puissants. Ces résultats contredisent l'idée selon laquelle l'altruisme d'un médecin empêcherait la discrimination et la distorsion des ressources causées par les différences de pouvoir. Il convient de noter que les disparités en matière de santé en dehors des forces armées pourraient être encore plus importantes, les civils étant généralement en moins bonne santé physique.
Discrimination ethnique
En France, les travaux relevant des discriminations à la prise en charge par les médecins fondées sur une disparité sociale sont inexistants. Les discriminations le plus souvent étudiées sont liées au sexe du patient, à leur condition sociale (précarité CMU (2), appartenance à la communauté Rom), et à certaines pathologies (l’obésité en particulier (3)). Plus récemment, la Dr Marie Bernard s’est intéressé dans sa thèse au sentiment de discrimination des patients noirs dans quatre dimensions : âge, poids, ethnicité, orientation sexuelle (4). Dans ce travail, un tiers des patients a rapporté un sentiment de discrimination lié au poids – souvent en lien avec la précarité - et 4,6 % du fait de leur origine ethnique. Mais ils ont quand même souligné qu’ils se sentaient souvent plus à l’aise avec des soignants ayant la même couleur de peau par crainte de préjugés qui pourraient fausser leur prise en charge (l’affaire Naomi Musenga était souvent citée).
(1) Schwab S, Singh M. How power shapes behavior: Evidence from physicians. Science. 2024 May 17;384(6697):802-8. doi: 10.1126/science.adl3835.
(2) Fau A. Explorations des discriminations ressenties par les patient(e)s de la part de professionnel(le)s de santé en France. Étude transversale exploratoire par autoquestionnaire en ligne réalisée auprès de 1 340 personnes. Thèse 2021 Clermont Ferrand.
(3) Le Merle A, Payeur R. Étude des expériences vécues comme grossophobes par les patients en surpoids ou obèses dans le milieu des soins, et les conséquences sur leur prise en charge médicale. Thèse 2022, Grenoble
(4) Benard M. Sentiment de discrimination des patients noirs en médecine générale : étude qualitative par entretiens semi-dirigés dans le Gard et l’Hérault. Thèse 2023 Montpellier.
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