Le dossier des praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) promet à nouveau d’être explosif cette année. Les syndicats de ces médecins sont remontés à bloc depuis la parution, fin décembre, de deux décrets entérinant des mesures de la loi Valletoux, votée en décembre 2023 et très clivante au sein de la communauté des Padhue. Estimés à près de 18 000 en France, ces médecins exercent principalement dans les petits hôpitaux périphériques des départements du centre de la métropole et autour du bassin parisien.
Le texte du député Horizons de Seine-et-Marne avalise le statut de Praticien associé contractuel temporaire (Pact). Cette nouvelle disposition permet aux Padhue non lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC, créées en 2021 et unique voie d’accès à l’autorisation de plein exercice pour tous les Padhue depuis 2024) de continuer de travailler à titre dérogatoire et temporaire en France. Mais, au regard des vives critiques du secteur, cette tentative de l’ancien ministre de la Santé de trancher le nœud gordien du statut des Padhue semble loin d’être suffisante.
Statut « indigne »
Sur la forme, « ce statut a été catapulté aux Padhue sans aucune concertation », s’agace la Dr Kahina Hireche Ziani, secrétaire générale et porte-parole du syndicat SOS Padhue. Et sur le fond, « ces décrets n’apportent rien, au contraire, ils accentuent notre précarité », s’émeut de son côté le Dr Abdelhalim Bensaidi, vice-président de l’association pour l’intégration des praticiens à diplôme étranger engagés contre la crise (Ipadecc). « On parle là d’un statut dérogatoire et temporaire, a enchéri la Fédération des praticiens de santé (FPS), dans une lettre ouverte aux ministres Catherine Vautrin (Santé, Travail, Solidarités, Familles) et Yannick Neuder (Santé, Accès aux soins). [C’] est indigne pour des médecins et praticiens déjà diplômés dans leur pays d’origine. »
Sans concours, passé 26 mois maximum, c’est dehors
Dr Ayoub Mdhafar, président de la FPS
Dans le détail, les décrets définissent les conditions de recrutement et d’exercice des médecins étiquetés Pact. Il est entendu que ces praticiens, n’ayant pas encore passé leurs EVC avec succès, « exercent leurs fonctions par délégation, sous la responsabilité directe du praticien responsable de la structure dont ils relèvent ou de l'un de ses collaborateurs médecin, chirurgien, odontologiste ou pharmacien », souligne le premier décret. « Le but est de recruter des médecins à l’étranger pour combler les trous dans les déserts médicaux avant même de passer les EVC », interprète le Dr Ayoub Mdhafar, président de la FPS.
C’est le second décret qui pose le plus problème. Les médecins recrutés en tant que Pact bénéficient d’une attestation d’exercice provisoire d’une durée de treize mois maximum. Celle-ci est renouvelable une fois « en cas d'échec aux EVC ou lorsque son titulaire fait valoir un motif impérieux l'ayant empêché de se présenter à ces épreuves, sous réserve qu'il s'engage à s'y présenter lors de la session suivante ». Autrement dit : « sans concours, passé 26 mois maximum, c’est dehors », traduit le président de la FPS dans un soupir.
Une réforme des EVC sur les rails
Pour ne rien arranger, l’arrivée du statut Pact cogne avec une réforme des EVC en cours de réflexion. Début décembre, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère de la Santé) a reçu les syndicats de Padhue, le Centre national de gestion (CNG) ainsi que l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) pour présenter une première esquisse du concours revisité, qui pourrait entrer en application dès cette année.
À lire le support présenté par la DGOS aux différents syndicats – que Le Quotidien s’est procuré – il est proposé de scinder le concours en deux. Une voie interne, comportant « des épreuves simplifiées », s’adresserait ainsi aux « praticiens déjà en poste sur le territoire ». Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), ils étaient près de 7 000 Padhue non régularisés à travailler sous un statut précaire (faisant fonction d’interne ou stagiaire associé) en 2023.
Avec cette réforme, ces derniers n’auraient au final à passer qu’une seule et unique épreuve dont les modalités restent encore à définir. Le ministère s’interroge en effet sur le format, hésitant entre le QCM ou des questions écrites semblables à celles du concours actuel. L’autre voie, externe cette fois-ci, concernerait les Padhue en provenance de l’étranger et conserverait les deux épreuves écrites des EVC actuels.
La deuxième partie de la réforme porterait sur une refonte du parcours de consolidation des compétences (PCC), cette période transitoire de deux ans post-EVC que le ministère pourrait là encore adapter davantage au profil des lauréats.
Pour l’instant, rien n’est décidé, d’autant que la DGOS continue de concerter les ordres et les fédérations hospitalières. Mais la copie présentée aux praticiens ne satisfait pas leurs syndicats, qui attendent davantage de gages de la part du ministère de la Santé au regard des difficultés que les Padhue rencontrent pour régulariser leur situation. En l’état, il est vrai que le concours est très sélectif : en 2024, 4 000 postes étaient ouverts pour 19 691 inscriptions. Mais seulement 10 594 médecins se sont effectivement soumis aux EVC, beaucoup travaillant dix demi-journées par semaine à l’hôpital, assurant des gardes, ne trouvant pas le temps pour réviser le concours.
Désaccord sur la marche à suivre
Autre problème de taille : les syndicats de Padhue n’arrivent pas à accorder leurs violons sur le sens à donner à la réforme. SOS Padhue, tout comme la FPS, plaident pour transformer ce concours en examen, considérant que des questions théoriques ne reflètent pas vraiment les compétences des praticiens candidats. Mais dans ce cas, à partir de quelle note pourrait-on considérer que le Padhue a réussi ses EVC ? « 10/20, c’est suffisant pour qu’un médecin qui travaille soit retenu sur un poste », assure la Dr Hireche Ziani. Le sujet fait débat.
De son côté, l’Ipadecc réclame une régularisation sur dossier – et non pas par concours, ni examen – pour les Padhue qui exercent en France. « Qu’on impose un concours interne à ceux qui sont là depuis moins de deux ans, c’est tout à fait normal. Mais pour les praticiens qui travaillent ici depuis des années, qui sont parfois seniors dans leur service, exercent en autonomie et ne sont pas encore régularisés, c’est honteux », jette le Dr Bensaidi.
Des revendications loin d’être bien accueillies par le président de l’intersyndicale de praticiens hospitaliers (PH) APH, le Dr Jean-François Cibien : « Moi, quand j’ai passé mon concours de PH, à l’époque j’avais 48 ou 72 heures de garde, et les épreuves étaient un peu plus compliquées que celles des Padhue », argumente-t-il. L’urgentiste d’Agen considère qu’une simple régularisation sur dossier ou la transformation du concours en examen ne serait pas équitable par rapport aux internes. La sécurité des soins est aussi régulièrement mise en avant par les PH partisans d’une régulation rigoureuse de leurs confrères diplômés hors de France, dont la qualité de la formation diffère d’un pays à l’autre. Des arguments que les Padhue, médecins seniors qui ont parfois en commun avec les internes d’être rémunérés comme des juniors, rejettent en bloc.
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