Faut-il davantage se fier à l’instinct des parents aux urgences pédiatriques ? C’est ce que suggèrent les résultats d’une étude australienne publiée dans le Lancet Child and Adolescent Health.
« Il est souvent difficile pour les médecins de distinguer les cas potentiellement graves des pathologies bénignes avant que la pathologie ne soit avancée, écrivent les chercheurs de l’université Monash à Melbourne. Les parents et les personnes qui s’occupent des enfants au quotidien sont bien placés pour détecter les signes subtils de détérioration de leur état de santé. Toutefois, la relation entre la manière dont ils expriment leur inquiétude et l’état réel du malade reste à explorer. » De nombreux parents ont de plus le sentiment que les soignants aux urgences ne prennent pas avec suffisamment de sérieux leurs inquiétudes concernant au risque d’aggravation de leur progéniture.
Pour comprendre un peu mieux dans quelle mesure il faut prendre en compte les inquiétudes des parents, les chercheurs ont monté une cohorte prospective à partir de la file active du service d’urgence pédiatrique de l’hôpital pour enfant Monash à Melbourne, en Australie. En 26 mois de travail, les auteurs ont inclus 24 239 enfants ainsi qu’au moins un de leurs parents ou adultes responsables, à qui ils ont posé la simple question « avez-vous peur que l’état de votre enfant s’aggrave » au cours de leur séjour en service d’urgence.
Inquiétude justifiée
Selon les résultats de leur étude, un total de 189 708 réponses a ainsi été rassemblé, dont 8937, c’est-à-dire 4,7 % faisaient état d’une peur d’une détérioration clinique. Comparés à ceux dans les parents ou aidants familiaux n’étaient pas inquiets, les enfants dont au moins l’un des adultes accompagnateurs avait exprimé ses préoccupations présentaient plus de risque d’être admis en unité de soins intensifs (6,9 % contre 1,8 %), d’être mis sous assistance respiratoire (1,1 % contre 0,2 %), voire de décéder au cours de l’hospitalisation (0,1 % contre 0,02 %).
En restreignant l’analyse aux adultes non parents (nounou, baby-sitter, membre de la famille etc.), leur inquiétude était associée à un surrisque d’admission en soins intensifs et de mise sous assistance respiratoire, mais pas de décès.
Les auteurs ont même calculé que l’inquiétude des parents était plus étroitement associée à l’aggravation de l’état des enfants que les signes cliniques couramment utilisés en service d’urgences, tel qu’un rythme cardiaque anormal (17 % moins fiable) ou un rythme respiratoire anormal (26 % moins fiable). Les enfants dont les parents exprimaient une inquiétude étaient significativement plus susceptibles de développer une maladie grave, même lorsque les signes vitaux semblaient normaux. « Si un parent disait être inquiet, son enfant avait environ quatre fois plus de risques de nécessiter des soins intensifs. C’est un signal qu’on ne peut pas se permettre d’ignorer », insiste la Dr Erin Mills qui a codirigé l’étude.
Pour les auteurs, il doit être possible d’intégrer les inquiétudes des parents dans la prise en charge en service d’urgences, comme c’est déjà le cas dans les échelles d’évaluation de la douleur pédiatrique. « Les systèmes de réponse rapide devraient intégrer un questionnaire à destination des parents ou des adultes responsables pour leur demander s’ils sont inquiets », écrivent les auteurs. Ils estiment d'ailleurs que « l’inquiétude des parents à l’hôpital est un signal aussi important que les signes vitaux ».
Un sujet sensible en Australie
Les chercheurs plaident pour un « changement de culture nécessaire à l’hôpital ». Leurs conclusions interviennent en effet dans un contexte difficile, marqué par plusieurs affaires médiatisées en Australie où le manque de prise en compte des inquiétudes familiales a conduit à des issues tragiques. La plus emblématique : en septembre 2007, le jeune Ryan Saunders, âgé de deux ans, est décédé dans le Queensland, à la suite d’une infection bactérienne mal diagnostiquée et non soignée, malgré les inquiétudes exprimées par ses parents. Ce fait divers, très médiatisé, a conduit à la mise en place de la « Ryan’s Rule » dans les hôpitaux publics de cet État australien. Cette procédure permet aux patients, à leur famille ou à leurs proches de demander une réévaluation clinique rapide lorsqu’ils estiment que l’état de santé du patient se détériore ou n’évolue pas comme prévu, et que leurs inquiétudes ne sont pas prises en compte par l’équipe soignante. Les chercheurs proposent d’aller plus loin en responsabilisant directement les soignants et en les invitant à solliciter activement l’avis des parents.
« Beaucoup de familles ne connaissent pas ces dispositifs d’escalade, ou n’osent pas les utiliser dans des moments de stress, estime la Dr Mills. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer les systèmes, mais de changer notre façon d’écouter, poursuit l’urgentiste. En posant la question directement aux familles, on crée de la confiance et on agit plus tôt. »
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