Dix ans après le mouvement des Bonnets rouges, né sur cette terre bretonne où la défense de l'emploi et des services publics semble chevillée aux corps, Carhaix a été cet automne le théâtre d'une nouvelle vague de tensions sociales, cette fois-ci pour la survie de son hôpital.
Le dernier (jusqu'au prochain ?) acte de cette nouvelle lutte s'est soldé le 17 octobre par la signature d'un protocole de sortie de crise. Signé par l'État, les élus locaux et le CHU de Brest (dont dépend l'hôpital de Carhaix), le document acte le maintien du service d'urgences de cette petite ville de 7 300 habitants nichée en plein cœur de la Bretagne, à une heure de route de Brest. Publié le 30 octobre, le nouveau plan régional de santé 2023-2027 le confirme : au regard de la promesse de l'État de maintenir un accès aux soins urgents de la population en moins de 30 minutes, il est « préconisé de ne pas modifier l'offre existante » en Bretagne.
Au-delà de l’inscription dans le marbre de cet engagement, le protocole renforce l'attractivité médicale de l'hôpital de Carhaix avec la prise en charge des frais de transport, du logement et de la restauration. Objectif premier : recruter un urgentiste pour conserver les deux lignes existantes (une pour le Smur et une pour l'accueil hospitalier). Objectif second : garantir la présence d'un médecin généraliste en complément. « Ce protocole, c'est une grande victoire pour l’hôpital de Carhaix », se félicite la Dr Hanna Charles, médecin généraliste et membre du comité de défense de l’hôpital. « C’est une première avancée, ajoute Annie Le Guen, coprésidente. L’État s’engage concrètement par écrit à maintenir les services de l’hôpital. »
Longue lutte
Ce succès est le résultat d’une longue lutte de la population pour préserver son offre de soins. Le conflit remonte à l’été 2023. Comme dans un hôpital français sur cinq, la régulation par le 15 devient la norme à Carhaix faute d'urgentistes en nombre suffisant. Le retour à la normale (des urgences 24 heures/24 reposant sur la présence de deux médecins) était prévu pour septembre. Impossible. Un appel aux médecins retraités et aux généralistes en activité est alors lancé, qui fait chou blanc. Les 40 généralistes du territoire refusent en bloc d’ouvrir la maison de garde adossée à l’hôpital de 18 heures à 22 h 30 pour pallier la fermeture partielle des urgences.
La tension monte alors d'un (gros) cran. À Quimper, la directrice de l'ARS locale porte plainte pour séquestration après l'occupation de son bureau par des défenseurs de l'hôpital de Carhaix. L'ambiance se détériore avec le CHU de tutelle. « La directrice générale du CHU de Brest n’a pas été bonne du tout dans ce dossier », regrette la Dr Charles. Ayant exercé en Guyane, Florence Favrel-Feuillade (qui n'a pas souhaité répondre à nos questions) indique pendant l'été que « si les femmes de Guyane mettent trois jours de pirogue pour aller accoucher, les Centre-Bretonnes peuvent bien faire une heure de route pour en faire autant ». Pour la Dr Charles, le CHU aurait attisé les braises de la contestation en expliquant que les urgentistes de Brest refusaient de venir à Carhaix par « peur de se faire crever les pneus ».
La cardiologie menacée
En réalité, Carhaix souffre d'un manque de médecins de toutes spécialités depuis plus de dix ans. En 2008, la population se mobilise massivement contre la fermeture de la maternité et remporte la partie. Rebelote... 15 ans plus tard, en mars 2023, avec une manifestation monstre de 7 000 personnes à Carhaix qui porte là encore ses fruits. Mais jusqu'à quand ?
Si le protocole (que les syndicats n'ont pas signé) a apporté de l'air à Carhaix, rien n'est joué. Aux urgences, encore faut-il réussir à recruter. Pour l'instant, rien ne laisse présager l'arrivée imminente d'un nouveau médecin. La situation de pénurie médicale reste gravissime sur l'ensemble du territoire, où manquent 13 urgentistes sur 45 postes, rapporte le Pr Éric Stindel, président de la commission médicale du CHU de Brest, à Ouest-France le 9 octobre. Si la contestation récente s'est focalisée sur les urgences, d'autres services de l'hôpital vivent eux aussi sous une épée de Damoclès. Le maintien de la cardiologie pourrait bien être la prochaine grande bataille des Carhaisiens.
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