« Pour la première fois, des dizaines de services d’urgence et de SMUR ont été fermés temporairement cet été », se désole le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et délégué CGT santé.
Pénurie d'urgentistes, départ de praticiens intérimaires, postes vacants, saturation : au moins 22 hôpitaux ont fermé leur SU ou leur antenne SMUR – selon des modalités variables, le jour et/ou la nuit – au cours de l’été, ont calculé à fin août « La Gazette des communes » et le collectif Inter-Urgences (CIU). Clamecy (Nièvre), Senlis (Oise), Toul (Meurthe-et-Moselle) ou encore Montaigu (Vendée)…: l'arrêt ponctuel des urgences ou des SMUR (comme à Nérac) a jalonné la chronique estivale. Et l’arrivée de l’automne n'infléchit pas la tendance.
À l’hôpital de Saint-Calais (Sarthe), les fermetures ponctuelles des urgences se sont poursuivies en septembre et en octobre, faute d'urgentistes. À Bourges (Cher), le SMUR était à l’arrêt la nuit du 8 au 9 octobre, toujours faute de médecin, si bien que les maires de Bourges, Saint-Amand-Montrond et Vierzon ont porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui. « On considère qu’il y a faute des autorités régionales et nationales dès lors qu’il est établi la récurrence de la désorganisation du service, confie au « Quotidien » Magali Bessard, première adjointe au maire de Bourges. Nous se sommes pas dans une situation exceptionnelle. » Olivier Véran a promis dans la foulée l’arrivée de quatre médecins étrangers qui pourront prochainement exercer à temps plein comme PH. Un docteur junior et un assistant spécialiste viendront épauler les équipes du CH en temps partagé. Une réponse qui « ne nous permettra pas de sortir la tête de l’eau », juge Magali Bessard.
Catastrophe dans la Sarthe
La situation est particulièrement dégradée au Bailleul (Sarthe), où les urgences ferment régulièrement la nuit depuis des mois, tandis que le SMUR fonctionne de manière aléatoire. Urgentiste et directeur médical de crise à l’hôpital du Mans, le Dr Joël Pannetier pointe « 40 équivalents temps plein (ETP) manquant dans le département, soit 50 % des ressources nécessaires ». Pour ce praticien, la situation, déjà « ultra-critique depuis plusieurs années », s'est aggravée depuis l'été dernier. Il travaille à la mise en place d’une équipe territoriale d’urgentistes partagée sur plusieurs établissements.
Emblématique, la crise sarthoise a un écho national. Si rien n'est fait, il n'y aura bientôt « plus de bloc opératoire, ni d'urgence, ni de maternité » au pôle santé Sarthe Loir, s’est alarmée le 9 octobre Sylvie Tolmont, députée de la Sarthe, avant d’interpeller Jean Castex à l’Assemblée sur la « survie » des hôpitaux de proximité. Selon elle, « la fermeture de ces services entraînera une réorientation des patients sur des établissements éloignés, eux-mêmes déjà en difficulté dans certaines disciplines ».
Dans les Hautes-Pyrénées, la fermeture des urgences de la polyclinique de l'Ormeau, prolongée en septembre, se traduit « par 30 à 40 passages supplémentaires par jour aux urgences de Tarbes », explique Stéphane Lère, chef du pôle des urgences de l'hôpital. Le médecin décrit « un cercle vicieux : moins les conditions de travail sont bonnes, plus on s’épuise, plus on a de difficultés à recruter, et plus on ferme de lits ». Une situation qui ne cesse d'empirer. « Depuis janvier, on avait 8 ETP manquant à Tarbes. Mais on a eu deux arrêts maladie cet été, donc il nous manque aujourd’hui 10 ETP. » Les urgentistes de Tarbes ont menacé de démissionner au 1er novembre, avant de suspendre provisoirement leur mouvement suite à l'annonce d'un renfort de personnel.
À Laval cette fois (Mayenne), les urgences sont en grève depuis le 9 octobre pour dénoncer des conditions de travail inadmissibles et le manque de moyens…
100 à 150 hôpitaux menacés ?
« On a tellement tiré sur la corde que le système est en train de s’effondrer », résume le Dr Prudhomme. Face à la pénurie médicale, les revalorisations du Ségur sont jugées loin du compte pour restaurer l’attractivité des carrières. Résultat, « les urgentistes démissionnent pour pouvoir maîtriser leur temps de travail et se dirigent vers l’intérim où la rémunération est plus attractive », constate le porte-parole de l’AMUF qui craint des fermetures d’urgences dans « 100 à 150 hôpitaux ».
Dans ce contexte, l’entrée en vigueur fin octobre de la loi Rist, qui impose le plafonnement des rémunérations des praticiens intérimaires – conduisant certains d'entre eux au départ – est perçue comme une autre épée de Damoclès. Pour éviter la catastrophe, plusieurs syndicats de PH ont réclamé une revalorisation des praticiens en poste – ancienneté, gardes et temps de travail additionnel.
Dernier élément d’inquiétude : la réforme dans les tuyaux des régimes d'autorisations des soins urgents prévoyant la création d'antennes de médecine d’urgence. Ces structures – ouverte 7 jours sur 7 mais pas 24h/24 – fonctionneraient grâce à une équipe médicale territoriale, mouvante et rattachée à un hôpital support. Les détracteurs de cette évolution y voient le cheval de Troie pour fermer plus facilement les urgences la nuit ou le week-end… Avec le risque de concentrer les moyens sur un nombre de sites toujours plus limité.
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