La communauté internationale fait face, depuis une décennie, à de nouveaux défis sanitaires. En France, un double dispositif (Apchi et AMI) piloté par le ministère de la Santé accompagne les établissements de santé publics et privés non lucratifs dans leurs projets de coopérations hospitalières internationales, notamment en zones de conflit.
Alors que le conflit s’intensifie en Ukraine, cela fait près de trois ans que les attaques contre des établissements de santé décident les spécialistes français investis dans des coopérations interhospitalières à se rendre auprès des populations. Neuf personnes ont été tuées le 28 septembre dans une double frappe russe visant un hôpital, dans la région de Soumy, dans le nord-est de l’Ukraine. La seconde attaque a eu lieu alors que l’évacuation des patients n’était pas terminée. Plus d’une dizaine de blessés graves a été comptabilisée.
Les annonces de bombardements et le tragique décompte des victimes tournent en boucle depuis des mois sur nos chaînes d’information occidentales. Le 8 juillet déjà, l’hôpital pour enfants de Kiev était la cible d’un missile russe, faisant plusieurs victimes et endommageant ses bâtiments, dont l’un abritant une maternité.
Je n’entends pas les alertes lorsque je suis au bloc en train d’opérer
Pr Philippe Menasché
Chirurgien cardiovasculaire à l’HEGP (Paris)
Des missions à haut risque, mais à haute valeur ajoutée
« Quelques jours avant cette frappe sur l’hôpital pour enfants, le Pr Roman Khonsari de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris y opérait de jeunes patients, intervenant avec les équipes locales », souligne Antonina Gain, chargée de mission au sein de la délégation aux Affaires européennes et internationales (DAEI) pour les ministères sociaux. Le Pr Khonsari n’est pas parti avec une ONG humanitaire mais dans le cadre d’une coopération interhospitalière organisée par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Sauf exception, par exemple pour Médecins sans frontières qui peut collaborer ponctuellement à certaines missions en France au sein de structures ministérielles, les ONG ne participent pas à des projets coordonnés par le ministère de la Santé ou le Quai d’Orsay. Neutralité géopolitique oblige, la plupart des associations humanitaires mènent leurs projets internationaux de manière autonome et sur fonds propres.
L’Apchi contribue à coordonner les initiatives éparses des établissements et à soutenir leurs actions à l’international
Sur le terrain, quelles que soient les modalités de leur mission, les médecins font face au conflit. « Je n’entends pas les alertes lorsque je suis au bloc en train d’opérer, élude le Pr Philippe Menasché, chirurgien cardiovasculaire de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). La nuit, par contre, elles me réveillent plusieurs fois, nous descendons aux abris en sous-sol. »
L’appel à projets de coopération hospitalière internationale (Apchi) contribue à coordonner les initiatives éparses des établissements et à soutenir leurs actions à l’international. « L’Apchi de la DGOS a été lancé en 2011, dans le contexte de la réforme du mode de financement des établissements de santé et de la mise en place de la tarification à l’activité, pour marquer l'importance attachée à la politique de coopération internationale et sa volonté de mieux l'organiser », souligne Gaëlle Papin, cheffe du bureau territoires, Europe et international à la DGOS. Cette coopération est développée par les établissements en application du code de la santé publique (article L. 6134-1), à leur initiative. Ils peuvent répondre à l’appel à projets de la DGOS ou les mener de manière autonome. « Ce dispositif a vocation à soutenir des interventions en zones de conflit, mais pas forcément au moment le plus aigu de crise, précise Gaëlle Papin. Ce qui explique, en partie, que nous ne soyons pas à Gaza aujourd’hui, malgré des contacts étroits avec l’Égypte. »
Le dispositif « allégé » AMI aide les établissements à trouver un partenaire local, l’Apchi exige qu’il soit identifié en amont
Des procédures simplifiées pour répondre à l’urgence
Le conflit en Ukraine illustre les procédures accélérées et simplifiées qui peuvent être déployées lorsque des liens préexistent avec des équipes locales et que les conditions le permettent. « Il était naturel que l’Ukraine, avec lequel la France a des liens soutenus, fasse partie de ces coopérations bilatérales hospitalières », souligne Antonina Gain. Grâce à la mise en place de l’appel à manifestation d'intérêt (AMI) spécifique l’an dernier, les projets se sont multipliés. L’objectif de ce dispositif « allégé » était de pouvoir aider les établissements, sur simple manifestation, à trouver un partenaire local. C’est l’une des différences avec l’Apchi, qui exige un partenaire ukrainien identifié en amont par les répondants. Ce lancement a permis de mobiliser des financements à hauteur de 300 000 euros pour cette année 2023 dédiée à l’Ukraine en raison de la guerre. En 2024, l'enveloppe dédiée à l’Ukraine (hors soins médicaux de réadaptation, qui fait l’objet d’un AMI dédié) a été réintégrée dans l'Apchi classique. « Nous avons actuellement 14 projets en cours et des demandes de renouvellement », précise-t-elle.
Depuis ses débuts et jusqu’en 2022, « le dispositif d’Apchi a octroyé 856 dotations pour un budget total de 11 732 620 euros, avec une augmentation constante des candidatures, sauf en 2020 en raison de la crise Covid », explique Gaëlle Papin. Sur la période, 408 projets ont été financés. Les projets portant sur une discipline technique spécialisée (hygiène, déchets, système d’information, e-santé et maintenance) sont ceux qui ont le plus bénéficié de financements depuis 2017, suivis de ceux de chirurgie, puis de santé maternelle et infantile et de maladies non transmissibles. Le montant moyen d’un projet est de 28 756 euros et celui d’une dotation annuelle de 13 700 euros. « Entre les périodes 2011-2017 et 2017-2022, la part des financements octroyés à l’Afrique a nettement augmenté de plus de 1,63 million à plus de 2,36 millions d’euros, tandis que la part des financements à l’Asie a largement diminué de près de 2,39 millions à 1,44 million d’euros, » indique la responsable de la DGOS.
Les échanges avec les médecins sur place participent à préparer l’après-guerre
Pr Philippe Menasché
Les jalons pour des systèmes de santé renforcés
« À Kiev, la dernière fois, il y avait des patients un peu complexes, en particulier un homme souffrant d’une cardiopathie congénitale adulte qui avait été opéré trois ans avant mais le résultat n’était pas bon et il fallait réintervenir. On m’a demandé de le faire pour observer comment je procédais. Les échanges techniques avec les médecins présents ont été passionnants, se réjouit le Pr Menasché. On transmet à de jeunes chirurgiens lors des discussions de cas, en suivi postopératoire – à distance –, et lorsqu’ils viennent se former dans nos CHU. Ces échanges participent à préparer l’après-guerre. » La première fois que le chirurgien s’est rendu en Ukraine, en juillet 2022, c’était sur son temps libre, à la suite de l’appel d’un confrère d’origine ukrainienne installé en France depuis 30 ans. « Ensuite, l’appel est venu de l’AP-HP (dans le cadre de l’AMI, NDLR), précise le médecin. Je repars en mission début 2025. »
La France veut promouvoir des systèmes de santé équitables et résilients (…), sa recherche et son expertise sont des leviers d’action
Gaëlle Papin
DGOS
« Dans un contexte de transformations majeures, climatiques et géopolitiques, la France a renouvelé sa stratégie mondiale en santé autour de cinq grandes priorités, explique Gaëlle Papin. Il s’agit en particulier de promouvoir des systèmes de santé équitables et résilients, qui permettent à tous d’avoir accès à des services de santé de qualité et d’atteindre ainsi la couverture santé universelle. Mais aussi de mieux se préparer pour répondre aux urgences de santé publique et aux conséquences du changement climatique dans une approche One Health. Tout cela en faisant de la recherche et de l’expertise françaises des leviers d’action. » Un nouvel AMI lancé en septembre concerne la médecine de réadaptation, le ministère de la Santé ukrainien ayant exprimé un fort besoin pour cette spécialité. En décembre, un mois après la révélation des projets sélectionnés dans le cadre de l’Apchi (1), les lauréats du dispositif des réseaux et partenariats hospitaliers (lire encadré), piloté par Expertise France (2), devraient être connus.
L’Afrique et l’Asie, les deux postes majeurs de l’Apchi
Entre 2011 et 2022, l’appel à projets de coopération hospitalière internationale (Apchi) a octroyé plus de 850 dotations pour un total de 11,7 millions d’euros. Durant cette période, les dotations ont financé 35 % des coopérations en Afrique, 34 % en Asie, 10 % en Afrique du Nord et Moyen-Orient et 10 % en Amérique du Sud-Caraïbes. Si la part octroyée à l’Asie a nettement diminué (lire plus haut), les trois pays ayant bénéficié le plus de financements entre 2011-2022 sont la Chine, le Vietnam et le Brésil, avec des octrois cumulés respectifs de plus de deux millions d’euros, 860 000 euros et près de 540 000 euros. Les CHU ont bénéficié de la part la plus importante des dotations (69 %), dont 19 % pour l’AP-HP. La région Île-de-France est en tête avec le montant cumulé de 3 399 420 euros, suivie par la région Auvergne Rhône-Alpes, qui a bénéficié de 1 616 130 euros.
(1) DGOS-COOP@sante.gouv.fr
(2) Pour mener à bien durant 2024-2027 le quatrième projet réseaux et partenariats hospitaliers (PRPH 4), la Fédération hospitalière de France (FHF) a laissé la main à Expertise France, l'agence d'expertise technique internationale qui relève de l'Agence française de développement (AFD). Ce passage de relais, effectif depuis février pour une annonce des lauréats prévue en décembre, a été l'occasion de revenir sur ce dispositif complémentaire de coopération hospitalière internationale en France.