Le vent du boulet s'est fait sentir. L'Assemblée nationale a adopté, la semaine dernière, en première lecture, une version plutôt soft de la proposition de loi (PPL) du député Horizons Frédéric Valletoux visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels. Malgré les tentatives d'encadrement de la liberté d'installation venues de tous les bords, indice d'un bras de fer politique qui s'est joué dans l'Hémicycle, le texte a été expurgé des mesures les plus radicales issues du groupe transpartisan sur les déserts médicaux emmené depuis un an par le député socialiste de la Mayenne, Guillaume Garot.
Le rapporteur, Frédéric Valletoux, et le ministre de la Santé ont mis tout leur poids pour faire barrage à la régulation de l'installation (sous la forme d'une autorisation préalable de l'ARS ou d'un conventionnement sélectif), un casus belli pour les médecins libéraux. « Créer des rigidités et des contraintes sera totalement contre-productif et ne fera que détourner plus encore de l'exercice de la médecine libérale », a plaidé François Braun, soulignant que « ces débats heurtent nos médecins ». Le ministre est allé jusqu'à évoquer, le ton grave, les risques de départs anticipés, de déplaquages et de déconventionnements. Guillaume Garot a déploré de son côté une occasion manquée, après avoir réclamé du « courage politique » pour trouver des solutions immédiates aux huit millions de Français concernés par des difficultés d'accès aux soins.
Le regain de mobilisation de la profession a probablement joué tout au long des débats. À la veille de l'examen du texte à l'Assemblée, plusieurs syndicats (Avenir Spé-Le Bloc, UFML, FMF, SML) avaient accentué la pression sur le gouvernement et les parlementaires en annonçant une grève « illimitée » à partir du vendredi 13 octobre si la loi Valletoux « mortifère » était adoptée avec des mesures contraignantes pour répartir les médecins. La CSMF se réjouit de son côté que son « travail d'explication » auprès des élus et de l'exécutif ait payé. Fait unique, à l'issue de ce débat, l'UFML a remercié François Braun pour ses interventions défendant la médecine libérale. « Ce moment-là était rare et nous redonne à tous un peu d'espoir en la politique », juge le syndicat de Jérôme Marty, par ailleurs à l'initiative d'un mouvement de déconventionnement collectif.
Préavis de départ
Si les médecins ont évité le pire, la version adoptée par l'Assemblée comporte d'autres mesures jugées « contraignantes » voire « dangereuses » par les syndicats. C'est le cas de l'inscription d'office des soignants « sauf opposition » aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ces organisations de libéraux qui structurent les soins primaires en miroir de l'hôpital. Malgré la protestation des médecins, la majorité présidentielle a voulu adresser « un signal politique » pour accélérer le quadrillage de tout le territoire. « La coopération doit devenir la règle, ce qu’elle est déjà dans une large mesure dans les faits, tandis que l’exercice individuel est appelé à se marginaliser, voire à disparaître », a assumé le rapporteur. À l’inverse, plusieurs députés ont proposé de supprimer cette adhésion automatique aux CPTS, craignant une « contrainte administrative supplémentaire » pour les libéraux, voire « une atteinte au libre choix ». MG France a préféré ironiser : « Nul doute que cela va susciter un engouement des professionnels et une mobilisation collective ! »
Autre « irritant » : l'obligation de communiquer à l’ARS et à l’Ordre un préavis au moins six mois avant un départ, sauf « cas de force majeure » prévus par décret. Cette solution a été soufflée par de nombreux députés de la majorité, soucieux d'envoyer des signaux de mobilisation. « Cette mesure permet aux habitants d'anticiper, aux élus de trouver des solutions de remplacement et aux médecins de faire face aux rumeurs de départ », a avancé Jérémie Patrier-Leitus (Horizons, Calvados).
Participation accrue des cliniques aux gardes
Un autre bras de fer s'est joué sur la permanence des soins, la PPL Valletoux ayant fourni une tribune de choix aux avocats du retour des gardes obligatoires pour les médecins libéraux, 20 ans après le volontariat acquis de haute lutte. Là encore, François Braun a écarté les amendements punitifs rétablissant une obligation de gardes pour les médecins libéraux. Mais l'Assemblée a acté le principe selon lequel les cliniques – ainsi que leurs praticiens – devront participer à la permanence des soins en établissement (PDS-ES) le soir et le week-end « afin de mieux répartir la charge de cette mission entre l’ensemble des acteurs d’un territoire ».
Reste à voir comment cette mesure sera appliquée. En cas de difficulté avérée à maintenir une ligne de garde ou d’astreinte nécessaire pour répondre aux besoins de la population dans un cadre sécurisé, il est notamment prévu que des praticiens puissent renforcer les lignes d’autres établissements de santé sur la base du volontariat, « la contrainte étant une exception de dernier recours », a résumé le ministre. L'union Avenir Spé-Le Bloc, majoritaire chez les spécialistes de plateaux techniques lourds, refuse déjà qu'à travers la mutualisation des gardes, les praticiens du privé aillent travailler de façon forcée à l'hôpital public.
CESP élargi, intérim interdit
Concernant les jeunes, l'Assemblée nationale a soufflé le chaud et le froid. Elle a validé plusieurs avancées dont l'ouverture des contrats d'engagement de service public (CESP) aux étudiants dès la deuxième année. En revanche, elle a confirmé l'encadrement de l'intérim à l'hôpital en début de carrière pour une durée qui sera fixée par décret. Les mesures visant à limiter la durée des remplacements ont, elles, été écartées. « Cela me semble trop restrictif et risquerait d'ajouter de la contrainte à la contrainte », a plaidé Frédéric Valletoux.
Le syndicat Reagjir (lire aussi page 18), qui représente les remplaçants et jeunes installés en médecine générale, juge que la proposition de loi adoptée en l'état reste insuffisante pour améliorer durablement la situation. « Il est temps de dépasser la logique de réorganisation territoriale technocratique, recadre-t-il, pour acter des mesures de bon sens essentielles ». Quant au rapporteur, il estime que « les débats ont été sérieux, nourris et sans anathème et les médecins ont compris qu'il y a une attente forte de la représentation nationale ». Le texte devrait être examiné au Sénat en octobre.
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