Pr Isabelle Laffont, doyenne de la faculté de Montpellier-Nîmes : « Je suis promotrice de l’égalité femmes-hommes, pas militante »

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Publié le 08/01/2025
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Première femme doyenne de la faculté de médecine Montpellier-Nîmes depuis sa création il y a huit siècles, la Pr Isabelle Laffont raconte sa lutte contre les stéréotypes de genre et son action pour encourager les femmes à accéder aux postes à responsabilités. Malgré des progrès encore trop lents, l'égalité avance pas à pas, se réjouit la professeur en ­médecine physique et de réadaptation.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Fin novembre, la Conférence des doyens a décidé de devenir la Conférence des doyennes et des doyens. Que révèle ce changement sur l'évolution de l'institution ?

Pr ISABELLE LAFFONT : Sur l’évolution du système dans sa globalité, cela montre simplement que la notion de parité ou d’égalité femmes-hommes progresse. Il est très important que la Conférence des doyens change de nom. Cela signifie qu’on marque une étape symbolique importante, en reconnaissant explicitement la place des femmes à la tête des facultés de médecine ou de santé. C’est un geste fort qui montre que les choses avancent.

En décembre 2021, vous avez été élue doyenne de Montpellier-Nîmes, une première dans l’histoire de la plus vieille université de médecine de France. Quelles ont été vos motivations ?

J’ai voulu devenir doyenne parce qu'au-delà de mon attachement profond à mon métier de médecin, j'accorde une importance capitale à l’enseignement et à la recherche. L'université, à travers la formation des jeunes et la promotion de la recherche biomédicale, dessine la médecine de demain et peut vraiment changer notre système de santé. Je suis convaincue que l’école et la faculté sont le creuset des évolutions sociétales. Les facultés sont des leviers de changement pour la parité dans les promotions universitaires, la généralisation de l'interprofessionnalité dans les formations en santé, ou encore l’équité de l'accès aux soins à travers la territorialisation des stages des étudiants et le maillage territorial en enseignants/chercheurs.

Les facultés sont des leviers de changement pour la parité dans les promotions universitaires

Avez-vous rencontré des obstacles particuliers ?

Le principal obstacle a été de me convaincre moi-même que je pouvais le faire. Ma plus grande victoire n’a pas été d’être élue mais d'avoir pris la décision de me porter candidate. Cela n’a été ni évident ni naturel, alors que j’étais déjà engagée depuis sept ans au conseil de gestion de la faculté, où j'avais pris de plus en plus de responsabilités. Le poids de l'éducation, de l'implicite sociétal et des stéréotypes de genre est encore très important dans ma génération mais aussi pour les jeunes femmes qui embrassent la carrière de médecin. Je ne suis pas née pour être doyenne et je n’ai pas grandi en m’imaginant dans ce rôle. Avant de m’investir dans le conseil de gestion, je ne pensais pas que ce poste était envisageable. Aujourd’hui, on compte seulement 7 doyennes sur 34 facultés de médecine. Le manque de représentativité limite la capacité des femmes à se projeter dans ce type de fonction. En ce qui me concerne, les freins ont surtout été sociétaux et liés à une forme d’auto-inhibition. Dans ma carrière, les hommes m’ont aidée plutôt que freinée. Une fois que j’ai dépassé l’idée que je n’étais peut-être pas capable, tout s’est débloqué.

Ma plus grande victoire n’a pas été d’être élue mais d'avoir pris la décision de me porter candidate

Dans les années 1980, la Pr Hélène Pellet ­devenait la première femme doyenne d’une ­faculté de médecine en France. Aujourd‘hui, seule une ­faculté sur cinq est dirigée par une femme. Pourquoi une ­progression si lente ?

Le plafond de verre est une réalité. Pour les femmes, l'autocensure et la crainte de ne pas être à la hauteur sont encore monnaie courante et largement entretenues par l'éducation et l'implicite sociétal. Si la profession médicale est presque à parité aujourd’hui, cela ne se retrouve pas dans les postes à responsabilité : en 2024, 11 % des directeurs généraux de CHU, 16 % des présidents de commission médicale d'établissement de CHU et 25 % des PU-PH sont des femmes. Cela montre que notre modèle sociétal n'a pas encore atteint une maturité suffisante.

On compte seulement 7 doyennes sur 34 facultés de médecine

Comment encourager les jeunes femmes à s'engager dans des carrières hospitalo-universitaires alors que beaucoup y renoncent en raison de discriminations de genre ?

Certaines femmes subissent des discriminations mais il y en a aussi beaucoup qui n'osent pas se projeter dans des postes à responsabilités alors qu'elles ont toutes les qualités pour le faire. Je me souviens que, juste après mon élection, ce sont les étudiantes qui sont venues me voir les premières, fières et curieuses. Elles m’ont demandé si elles devaient m’appeler « doyen » ou « doyenne » et ont opté pour « Madame la doyenne ». Cet échange m’a montré à quel point l’exemple peut être inspirant. En tant que doyenne, je reçois tous les jeunes désireux de devenir HU. Ces entretiens sont précieux : ils permettent d’encourager, de rassurer, de donner des clés pour organiser vie personnelle et professionnelle, et de dire à certaines : « Oui, tu en es capable, oui, il est légitime que tu ailles dans cette direction, oui, il est possible d’avoir trois enfants et de devenir PU-PH. » À Montpellier, 19 % des PU-PH seulement sont des femmes. Nous sommes encore loin de l’équilibre mais je m’y consacre pleinement. La parité imposée dans les institutions publiques est aussi un levier essentiel. C'est parce que la parité était une obligation pour entrer au conseil de gestion de la faculté que j'ai pu prendre des responsabilités et qu'un jour, j'ai été élue doyenne.

Vous considérez-vous comme un porte-étendard de la lutte pour l'accès des femmes médecins aux postes à responsabilités ?

Je ne me considère pas comme une militante mais plutôt comme une promotrice de l’égalité entre les femmes et les hommes. Notre humanité est composée de 50 % de femmes, il n'y a aucune raison qu'il n'y ait pas 50 % de femmes sur les postes de direction. Mon ambition est de promouvoir cet équilibre, et non de mener une lutte.

Mais la voie hospitalo-universitaire est parfois hostile pour les femmes, notamment avec des pratiques comme la signature de contrats de non-grossesse (souvent tacites) pour accéder à certains postes…

Malheureusement, ces pratiques existent, même si elles restent minoritaires. J’ai reçu plusieurs témoignages de femmes confrontées à ce type d'agissements. En tant que femme, chef de service et mère de trois enfants, je suis révoltée par ces comportements. Dans mon service, j’encourage toujours mes collaboratrices enceintes. J’adopte une approche très positive en leur assurant que le service va s’organiser pendant leur absence et que nous ferons le nécessaire pour attendre leur retour. Certaines femmes s’imposent elles-mêmes des contraintes, comme si elles avaient commis une faute. C’est incroyable de voir à quel point ces injonctions sociétales silencieuses s’infiltrent jusque dans leur propre perception.

Plus d’une femme médecin sur deux a été victime de violences sexistes et sexuelles (VSS), selon une enquête de l’Ordre. À la fac, comment prévenir ces actes ?

La lutte contre les VSS est une action collective. À l'échelle de la faculté, tout le monde est concerné, y compris les associations étudiantes qui se sont remarquablement emparées du sujet. À Montpellier, nous avons déployé des formations sur le consentement et les VSS afin d’aider les étudiants à identifier et comprendre ces comportements, qu'il s'agisse de propos, de gestes ou d'attitudes inappropriés. L'objectif est aussi de les préparer à réagir et à se défendre verbalement. Des formations spécifiques sont aussi proposées aux enseignants – parmi lesquels nous avons nommé des référents VSS – et au personnel administratif. J'ai également créé un poste de vice-doyenne chargée de la prévention des VSS et des risques psychosociaux.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles est une action collective

Quelle devrait être la priorité des ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur en faveur des étudiants en médecine ?

Permettre aux étudiants de se former dans de meilleures conditions tout en répondant aux besoins des populations. Alors que les étudiants vont être de plus en plus nombreux, il est essentiel d’ouvrir des stages dans les territoires pour favoriser l'installation future de ces jeunes médecins dans des zones sous-dotées. Les facultés et les CHU ont besoin d'être soutenus pour développer l’hébergement étudiant en dehors des grandes métropoles, améliorer les transports et offrir des facilités matérielles aux jeunes. La précarité est également un sujet majeur : 40 % des étudiants en médecine travaillent en parallèle de leurs études, ce qui est difficilement conciliable avec la formation. Il est impératif de renforcer les bourses et de leur apporter un vrai soutien financier. Enfin, nos étudiants ont besoin de stabilité après près de dix années de réformes successives.

Repères

1990 : Admission au concours de l’internat à Paris
1995 : Diplôme de docteur en médecine
2011 : PU-PH à la faculté-CHU de médecine de Montpellier
2018 : Première femme présidente de la Société française de médecine physique et de réadaptation (Sofmer)
2021 : Première femme doyenne de la faculté de médecine Montpellier-Nîmes


Source : Le Quotidien du Médecin