C’est un serpent de mer. La mise en place de sanctions financières contre les établissements qui ne respectent pas le temps de travail des internes est une demande de longue date des jeunes médecins. Depuis quelques années, la mesure était devenue une promesse dans la bouche des ministres de la santé successifs mais elle avait toutes les peines du monde à voir le jour. Un engagement avait été signé dans les accords du Ségur par Olivier Véran. Finalement, un décret daté du 6 février vient enfin le concrétiser.
Les internes pourraient se réjouir que ces sanctions financières soient enfin mises en place mais pour eux c’est en réalité un travail de longue haleine qui aboutit sur pas grand-chose. En effet, les étudiants étaient opposés aux conclusions du groupe de travail qui se retrouvent aujourd’hui dans le décret.
Des sanctions a posteriori
Concrètement, le décret met en place une possibilité de pénalités financières pour les établissements qui ne respectent pas le temps de travail des internes mais si ces derniers se sont déjà vus retirer l’agrément de terrain de stage.
En effet pour les établissements où il y a déjà eu « une décision de suspension du stage d'un étudiant, une décision de suspension ou de retrait de l'agrément d'un terrain de stage ou une décision mettant fin aux fonctions de chef de service ou de responsable de structure interne », le directeur général de l’ARS peut demander, dans un délai de quatre mois « à compter de la notification de cette décision », un rapport précisant les engagements pris et mesures décidées pour remédier à la situation.
Le rapport doit être remis dans un délai de quatre mois ou de deux mois « lorsque les circonstances l’exigent ». À réception du rapport, le DG d’ARS a encore deux mois pour « apprécier la situation et, le cas échéant, informer l'établissement de son intention de prononcer une pénalité financière et du montant qu'il envisage de retenir pour celle-ci », précise le décret.
« La pénalité financière fait l'objet d'un arrêté motivé du directeur général de l'agence régionale de santé qui comporte la mention des délais et voies de recours (…) Le montant de la pénalité financière qui peut-être prononcée en application du présent article tient compte de la gravité des manquements constatés, de leur durée et de leur répétition éventuelle ainsi que du nombre d'étudiants concernés. Il ne peut excéder le montant total des crédits délégués pour le financement des postes d'étudiants de troisième cycle accueillis sur le lieu de stage concerné », détaille le texte paru au Journal Officiel.
Effet limité
Pour les internes, ce décret « ne va pas apporter de réelles améliorations au quotidien des internes et au fait qu’on dépasse structurellement le temps de travail », souligne Théophile Denise, vice-président de l’Intersyndicale des internes de médecine générale, l’Isnar-IMG.
Alors que le syndicat souhaitait des sanctions a priori, le texte qui met en place des sanctions a posteriori a peu de chances d’être appliquée fréquemment.
« Pour qu’il y ait sanction financière il faut déjà qu’il y ait eu retrait ou suspension de l’agrément. Mais justement toute la mécanique des sanctions financières pour nous reposait sur le constat qu’il y a des stages pour lesquels nous n’arrivons pas à obtenir des suspensions ou retraits d’agréments. Alors même qu’ils sont reconnus par tous comme mettant en danger les internes », détaille l’interne. Dans cette logique, mettre en place des sanctions financières aurait permis d’avoir malgré tout un moyen de pression sur ces établissements. « Ici c’est l’inverse qui se produit, il faut d’abord une suspension, et comme nous ne les obtenons pas, il n’y aura pas de sanctions. »
Théophile Denise pointe aussi du doigt l’absurdité de la procédure, « au moment du rapport, si le terrain est suspendu, il n’est plus censé y avoir d’internes dans le stage, ça n’a aucun sens ».
Déni de réalité
Pour lui le texte ne satisfait donc pas les engagements pris par Olivier Véran lors du Ségur de la santé, alors même que les jeunes médecins mettent la pression aux établissements sur le temps de travail. En décembre dernier, 28 CHU ont ainsi été attaqués en justice par les syndicats d’internes pour mettre en application la décision du Conseil d’État d’effectuer un décompte « fiable et objectif » du temps de travail des médecins et internes, afin de respecter le plafond légal de 48 heures par semaine.
« Ce décret c’est une montagne qui accouche d’une souris. C’est histoire de dire : on a fait quelque chose », estime Théophile Denise. Pour le vice-président de l’Isnar-IMG le texte permettra peut-être d’aboutir à des sanctions occasionnellement mais il ne résoudra pas le problème structurellement.
« Cela correspond à cette lame de fond de nos responsables administratifs qui voient le problème du dépassement du temps de travail comme celui de quelques services qui sont des vilains petits canards. Il y a une minimisation du phénomène. »
Selon la dernière enquête de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) les internes en France travaillent en moyenne 58,4 heures par semaine et moins d’un tiers d’entre eux respecte les 48 heures hebdomadaires légales.
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