« Nous, on n’est pas chirurgiens, le soir même on n’aurait pas pu faire grand-chose. Notre aide on l’apporte depuis nos cabinets aujourd’hui en faisant ce qu’on sait faire. » Généraliste dans le XVIIIe et responsable de MG 75, Agnès Gianotti résume le sentiment général chez ses confrères. Si le « plan blanc » a été déclenché de vendredi à lundi, le dispositif ne concerne en effet pas directement les généralistes, d'ailleurs de moins en moins nombreux dans la capitale. Comme l'explique Frédéric Lapostolle du Samu 93, « dans le cadre d’un plan blanc comme celui-ci, on est sur des blessures pénétrantes, il est normal que les généralistes ne soient pas impliqués ».
Exception faite, bien sûr, des généralistes régulateurs du 15 ce soir-là. Le Dr Hartmut Petzoldt était au Samu 93 vendredi soir. « Rapidement, tous les cadres du Samu 93 étaient dans la salle de régulation, ce qui était rassurant ». Et s’agissant des urgences non vitales, « vendredi soir, on a constaté très vite une raréfaction des appels. C'était plus calme que d'habitude. Les gens ne voulaient pas surcharger les lignes. On a seulement eu quelques appels de mères avec des bébés. J'ai énormément apprécié l'attitude des gens et cette solidarité qui s'est mise en place », note le généraliste des Lilas, régulateur depuis 25 ans. Concernés aussi ce soir-là, certains internes de garde, comme le rappelle le Pr Éric Galam : « ce n’était a priori pas facile pour eux qui avaient changé d’affectation quinze jours avant.». Cet enseignant du département médecine générale de Paris-Diderot évoque ainsi cette jeune généraliste aux urgences de Bichat qui y a néanmoins trouvé ce soir-là une situation bien gérée avec la présence de médecins militaires.
Reste que, pour les praticiens, c’est plutôt dans l’« après-attentat » que le travail commence. Aussitôt après les attentats, SOS médecins Ile-de-France a enregistré une hausse des appels. Et les praticiens de ville sont progressivement impactés. Le Dr Pierre-Yves Traynard travaille à la Maison de santé de la Grange aux Belles, dans le Xe arrondissement, à quelques pas des fusillades de vendredi soir. Paradoxalement, la fréquentation de sa salle d’attente était ces derniers jours plutôt moins importante : « Les gens ne sortent pas de chez eux, ils ont tendance à restreindre leurs déplacements », souligne-t-il. Patientèle plus clairsemée… ou atmosphère pesante : « D’habitude ma salle d’attente est plutôt joyeuse, les gens parlent, aujourd’hui l’ambiance est lourde, c’est le silence », ajoute Agnès Gianotti.
Dans toutes les consultations
Depuis vendredi des patients marqués par les événements se présentent tout de même dans les cabinets : « Je n’ai eu quasiment personne qui venait spécifiquement pour ça, mais, malgré la raison initiale de leur venue, ils en parlent quand même, étant évidemment touchés », explique Pierre-Yves Traynard, qui évoque néanmoins « une patiente qui a fait une hypertension un peu brutale ». « On peut recevoir des gens avec des symptômes somatiques, rapporte aussi Agnès Gianotti. Aujourd’hui, par exemple, j’ai eu un patient ivoirien qui était complètement bloqué du dos. En discutant avec lui, j’ai découvert qu’il avait passé le week-end terré chez lui, car les attentats lui rappelaient des événements vécus dans son pays ».Dans le XVe arrondissement, le Dr Régis Mouriès confirme : « Les gens ne viennent pas consulter pour ça, mais chaque patient aborde le problème. Et j'ai eu des banlieusards qui ont pris la voiture pour éviter les transports en commun ». Installé dans le même quartier, un de ses confrères abonde : « A peu près les deux tiers des patients me parlent des attentats. Beaucoup disent qu’ils s’y attendaient un peu. Je constate surtout un gros stress dans les entreprises pour ceux qui prennent le métro », relève José Clavero, qui ajoute que « les patients ont apprécié qu’on lève le mouvement.»
Pour les blessés psychiques, le rôle du médecin traitant pourrait bien être majeur dans les jours qui viennent. « Ce qu’on peut leur apporter surtout c’est de l’écoute, les aider à comprendre, à penser l’impensable », souligne le Dr Traynard, qui estime néanmoins que « finalement, c’est le cœur de métier du généraliste ». Au point de relativiser un peu le caractère exceptionnel de la situation : « C’est un traumatisme mais comme beaucoup d’autres. Je n’ai pas remarqué de particularités dans les thématiques évoquées avec les patients ». Un peu plus au nord, Éric Galam qui exerce dans le XVIIIe arrondissement, tout près de la place Albert-Kahn où a été retrouvée la fameuse Clio noire se montre lui aussi serein : « Non, ce n'est pas la panique, même si j'ai eu plusieurs patients impactés de près ou de loin dont cette femme qui s'est inquiétée pour son fils toute la soirée de vendredi et cette autre qui a perdu trois de ses amis dans trois endroits différents.»
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