« L’exercice isolé doit devenir l’exception d’ici à 2022 ». Tel était le souhait formulé dans le plan « Ma Santé 2022 » présenté en septembre 2018 par Emmanuel Macron. Pour ce faire, le président de la République annonçait la création de 4 000 postes d’assistants médicaux et le déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) d’ici la fin de son quinquennat. Dès 2019, la signature après plusieurs mois de négociations entre l'Assurance maladie et les syndicats de médecins d’un avenant à la convention médicale et d’un accord conventionnel interprofessionnel ont permis d’engager cette dynamique.
Un an et demi après la présentation de Ma Santé 2022 à l'Élysée, le gouvernement, convaincu que ses intuitions d'alors étaient les bonnes, souhaite désormais profiter du Ségur de la Santé pour passer la vitesse supérieure. Afin d'obtenir des résultats rapidement, le ministère de la Santé songe notamment à simplifier les procédures de création de CPTS. Dans le cadre de ce Ségur, la Mutualité Française suggère au gouvernement de prendre une décision radicale. Dans un communiqué paru mercredi, elle préconise « la minoration sensible de la rémunération des professionnels du premier recours intervenant en dehors d’un espace de santé pluriprofessionnel ».
Les médecins directement frappés au porte-monnaie
Si jusqu’ici certains forfaits ou financements, comme l’aide au recrutement d’un assistant médical, sont réservés aux médecins s’inscrivant dans une démarche d'exercice coordonné (avec toutefois des exceptions pour les médecins exerçant seuls mais en zone sous-dense), une telle mesure reviendrait donc à pénaliser financièrement directement les médecins libéraux en exercice isolé !
Parallèlement, la Mutualité Française suggère des rémunérations au forfait « pour les soins faisant intervenir plusieurs professionnels ». Ces deux mesures visent à « mettre fin à l’exercice isolé et de faire de l’exercice systématique des professionnels de santé en équipe et en réseau au sein d’espaces de santé pluriprofessionnel la règle à un horizon de 5 ans ».
Le morcellement de l’offre de soins de premier recours « accentué » par la crise sanitaire
Pour justifier cette proposition radicale, la Mutualité Française s’appuie sur les résultats d’une enquête de la commission jeunes médecins du Conseil National de l’Ordre des Médecins en 2019. Selon celle-ci, « seuls 3 % des internes envisagent aujourd’hui un exercice libéral isolé », note l'organisation. « L’exercice regroupé, dans le cadre d’une activité mixte, libérale en groupe ou en maison de santé pluridisciplinaire, est largement plébiscité par 72 % d’entre eux », fait-elle également valoir.
La Mutualité Français estime également que la crise du coronavirus a « accentué » le phénomène de « cloisonnement des acteurs de santé, de morcellement de l’offre de soins de premier recours et de la difficulté de partager l’information médicale ». Il convient donc selon elle de « réconcilier les besoins des patients avec les aspirations des professionnels », en engageant une « mutation profonde » de l'offre de soins pour « abandonner progressivement l’exercice isolé des professionnels de santé du premier recours et permettre au secteur hospitalier de se recentrer sur ses missions ».
Pour le patron de la CSMF, « un médecin n'est jamais isolé »
Cette proposition de la FNMF a été vécue comme une « provocation » par le Syndicat des médecins libéraux (SML). « La Mutualité prône la fin de la liberté d’exercice des médecins libéraux en rendant obligatoire l’exercice en mode kolkhoze et les rémunérations collectivistes qui s’y rattachent », s'insurge l'organisation présidée par le Dr Philippe Versmesch, qui s'oppose à un « retour vers un modèle dépassé où toute initiative individuelle serait proscrite et où ceux qui résisteraient le paieraient au prix fort puisque leurs rémunérations seraient baissées ».
« Être aussi éloigné de la réalité est assez ahurissant », estime de son côté le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Et le néphrologue de voir en cette suggestion de la FNMF une « bien étonnante manière de récompenser les médecins qui, tous, se sont engagés dans la lutte contre le Covid-19 ».
« Qui peut croire aujourd’hui qu’un médecin travaille isolé, interroge en outre le patron de la CSMF. Il travaille avec une équipe d'infirmières, un pharmacien, des spécialistes etc. Que cette équipe formée autour de la prise en charge d'un patient (...) ne soit pas suffisamment formalisée, constituée, qu'elle manque d’outils pour favoriser la transmission d'informations et la coordination : trois fois oui. Mais à moins d'exercer sur une île déserte, un médecin n'est jamais isolé. »
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