Sans aller jusqu’à dire qu’ils poussent comme des champignons, les centres de santé du collectif Médecins solidaires enregistrent un franc succès. Deuxième structure implantée en Centre-Val de Loire, le petit dernier a ouvert ses portes en décembre 2024, dans la bourgade de Reuilly (Indre), où un tiers des habitants de la petite commune de 2 000 habitants (dont 19,5 % en ALD) étaient sans médecin traitant.
Les médecins, logés sur place, sont rémunérés 1 000 euros net la semaine
Que de chemin parcouru depuis l’ouverture du premier centre en 2022 à Ajain, dans la Creuse. Deux ans après le lancement de l’initiative portée par le généraliste Martial Jardel, Médecins solidaires aura assuré 30 000 consultations. Quelque 5 350 patients (dont 27 % en ALD) ont choisi l’une des sept antennes comme « médecin traitant », désormais implantées en Creuse, dans le Cher, la Nièvre, en Haute-Vienne, dans les Deux-Sèvres et dans l’Indre.
Au 1er décembre, neuf généralistes se relaient chaque semaine dans l’un des sept centres et 550 médecins de famille volontaires - de tous les âges – ont adhéré à ce principe du « temps médical partagé solidaire ». Pour mémoire, pendant une semaine, chacun des volontaires « lâche » son cabinet et accepte de venir exercer dans le centre médical de son choix, implanté dans un désert médical. Les médecins, logés sur place, sont rémunérés 1 000 euros net la semaine. Ils reversent en revanche le montant de leurs consultations à l’association créée sous le statut de loi 1901 « à but non lucratif », insiste le Dr Jardel. Médecin installé, retraité ou hospitalier sont bienvenus : il s’agit de déclarer à l’Ordre de rattachement une activité secondaire, afin de générer une carte CPS spécifique à cette activité.
Critique au vitriol
Dans ce contexte très porteur, le généraliste de 33 ans reconnaît avoir pris de plein fouet, en octobre, la critique au vitriol dont son collectif a fait l’objet dans une newsletter des Généralistes-CSMF, sous le titre « Les centres de santé soi-disant “solidaires” ». « Chaque centre coûte 170 000 euros aux tutelles et aux départements (…) on rémunère avec cet argent des directeurs d’opérations (…) responsables RH (…) et des médecins pour la plupart retraités, salariés 200 euros par jour. Inutile de vous dire que les semaines ne sont pas toutes pourvues en présence médicale », pouvait-on lire sous la plume acide du Dr Luc Duquesnel, chef de file de la branche généraliste de la Conf’. « J’ai été stupéfait », confie le Dr Martial Jardel. « Médecins solidaires est un collectif de médecins, pas une initiative portée par un prestataire privé, je n’ai pas trouvé cette prise de position très confraternelle », poursuit le jeune généraliste qui assure avoir ensuite démêlé l’imbroglio avec le chef de file des généralistes de la CSMF. Pourquoi cette attaque ? Le Dr Duquesnel lui aurait fait part « de remontées de terrain » faisant état d’une présence médicale discontinue, justifiant sa missive critique. « Ce qui est faux et calomnieux, maintient le Dr Jardel. Je touche du bois mais à ce jour, dans tous nos centres de santé, il n’y a jamais eu une seule semaine sans médecin ».
Quant au coût réel de la création d’un centre, il se situe en moyenne à 160 000 euros, la somme nécessaire pour couvrir les frais de structure. Mais selon les territoires, les financeurs varient. « En Nouvelle-Aquitaine, c’est 100 % l’ARS qui met la main à la poche. En Centre Val-de-Loire, nous avons passé une convention avec la région et c’est plutôt elle qui est la locomotive. Elle intervient, comme l’ARS, à hauteur de 30 % du financement. Le reste provient des collectivités locales, des départements et des communautés de communes et nous bénéficions parfois de mécénat privé par les caisses régionales du groupe BPCE », détaille en transparence le Dr Jardel.
Le point d’équilibre atteint avec 20 centres ouverts ?
Enfin, le collectif a bien étudié son modèle économique. L’association atteindra son point d’équilibre financier à partir de 20 centres de santé ouverts et pourra s’autofinancer avec le cumul des résultats d’exploitation. Mais dans l’attente, « ce sont les ouvertures des centres qui nous financent », assume la cheville ouvrière du dispositif. Quitte à s’attirer de nouvelles piques syndicales au nom de fonds investis au détriment de la médecine libérale ?
Le Syndicat des médecins libéraux (SML) ne fait pas partie des détracteurs, au contraire. « Ce principe des médecins solidaires ressemble beaucoup à celui du médecin volant que le SML avait développé il y a une dizaine d’années », observer la Dr Sophie Bauer, présidente du syndicat. Le Collectif des « Médecins pour demain » est plus circonspect. « Pour la population, il est évident qu’il vaut mieux avoir des médecins différents que pas de médecin du tout, mais cela reste de la médecine pansement, en mode dégradé », tacle la Dr Mélanie Rica-Henry.
« C’est ce que nous pensions… au départ », réplique Martial Jardel, bien décidé à défendre son bébé. « Mais nous sommes en train de faire la preuve que l’innovation organisationnelle est probablement la meilleure voie de réussite pour lutter contre l’inégalité d’accès aux soins », se félicite le généraliste. « Cela dit, admet-il, c’est un pari, demain ça peut bugger et on nous fera remarquer : “on vous l’avait bien dit” ».
Reste que ce pari a été jugé suffisamment pertinent pour que la ministre de la Santé de l’époque, Geneviève Darrieussecq, fasse son tout premier déplacement en septembre dernier au centre d’Ajain (Creuse) pour en louer le fonctionnement et saluer ce temps partagé solidaire dans les zones fragiles. Il est encore trop tôt pour savoir si son successeur, le cardiologue Yannick Neuder, se montrera aussi enthousiaste.
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