LE QUOTIDIEN : Le fil rouge de votre 30e université d’été s’intitule « Le choc d’attractivité, c’est maintenant ». La convention médicale que vous venez de signer est-elle déjà insuffisante ?
Dr FRANCK DEVULDER : Nous avons choisi ce fil conducteur car le « choc d’attractivité » était le premier objectif inscrit dans la lettre de cadrage des négociations conventionnelles, signée par Aurélien Rousseau quand il était ministre et confirmée par ses successeurs. Mais penser que la convention suffira à assurer ce choc d’attractivité, c’est faux ! Ce contrat est un point de départ et non pas l’aboutissement du renouveau de la médecine libérale. Il ouvre de nouveaux champs sur la prévention, la rémunération, la pertinence des soins, avec des engagements collectifs. Les cadres de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) sont fiers d’avoir signé cette convention, qui nous sort du règlement arbitral contraignant.
Quant au suivi des engagements annuels sur les objectifs, je les vis comme une sorte de « NAO » [négociation annuelle obligatoire] de la médecine libérale. Cela dit, l’attractivité n’est pas simplement de la rémunération, c’est aussi de l’organisation, de la simplification administrative, de l’accompagnement à l’installation des jeunes.
Un nouveau gouvernement s’installe. Qu’attendez-vous en priorité du ministre de la Santé ?
Il lui faudra du courage pour imposer une politique gaullienne avec une vision pour l’avenir du système de santé mais surtout pas une loi de santé supplémentaire ! Le Danemark, qui était aussi confronté aux problèmes d’accès aux soins, a su réformer en profondeur son organisation pour répondre aux besoins des Danois. Je pense que la situation économique extrêmement difficile de notre pays devrait nous y aider. Osons les réformes ! Tout immobilisme serait une faute.
Mais dans un contexte de dérapage des déficits publics, redoutez-vous particulièrement les arbitrages du PLFSS 2025 ?
Oui, je redoute ces arbitrages. Dans ce contexte, la demande de la Fédération hospitalière de France (FHF) d’une rallonge de 6 milliards pour l’hôpital n’est pas justifiée. Année après année, l’État a déversé des milliards sur l’hôpital public pour combler les déficits mais sans jamais demander de contrepartie et d’engagements en termes d’organisation, en particulier pour les gardes de nuit et de week-end. Ce n’est pas moi qui le dis mais la Cour des comptes.
Sur les trois dernières années, l’hôpital public a reçu 40 milliards d’euros pour, notamment, augmenter légitimement les bas salaires. Puis il y a eu 15 milliards pour désendetter des établissements déficitaires, financés en partie par la prolongation de la dette sociale. Or l’argent n’est pas arrivé au bon endroit, nous dit la Cour des comptes. On a surcompensé les hôpitaux qui allaient bien et pas assez ceux qui allaient mal… Quatre ans après la fin du Covid, la situation de l'hôpital reste très tendue mais, cette fois, avec un mur de la dette publique qui se dresse face à nous. Il est temps que ça s’arrête.
Dans le cadre d’une nouvelle campagne de contrôle des arrêts de travail, 7 000 généralistes vont être contactés pour un entretien confraternel. Quelles sont vos lignes rouges ?
La hausse des dépenses liées aux indemnités journalières est multifactorielle ! Il y a plus d’emplois, donc mécaniquement une hausse du nombre de salariés en arrêt. La population au travail vieillit, son état de santé se dégrade, les maladies professionnelles sont des facteurs à prendre en compte.
Face à l’envolée des dépenses d’IJ, l’Assurance-maladie fait son travail de contrôle et a ciblé 7 000 prescripteurs pour un entretien confraternel. Mais certains de mes confrères vivent de façon douloureuse cette situation. Lors de la commission paritaire nationale, j’ai rappelé à Thomas Fatôme [DG de la Cnam] que nous sommes dans une quête d’attractivité pour la médecine libérale. Il ne faut pas que cette campagne soit un repoussoir et conduise des médecins à partir plus tôt à la retraite ou à déplaquer. Les échanges confraternels devraient être proposés à tous les médecins pour discuter de leurs pratiques et pas uniquement aux 7 000 praticiens « ciblés ».
Nous devons faciliter la réorganisation territoriale, avec des équipes de soins spécialisées et des consultations avancées
Avec le changement de visage de l’Assemblée nationale, craignez-vous une nouvelle offensive des députés pour imposer la régulation à l’installation ? Quelles sont les contre-propositions de la CSMF ?
Cette mesure-là arrive régulièrement dans l’hémicycle. Vouloir supprimer la liberté d’installation alors qu’il manque des médecins partout n’est pas la solution. Pour autant, nous devons faire bouger les lignes. Le métier de médecin doit être attractif. Cela passe d’abord par une convention médicale dynamique avec une rémunération incitative. Nous devons aussi faciliter la réorganisation territoriale, avec des équipes de soins spécialisées, des consultations avancées… Et nous ne devons pas balayer d’un revers de main la responsabilité populationnelle portée par la FHF. Cette démarche vise à faire travailler ensemble tous les acteurs d’un bassin de vie pour améliorer l’accès aux soins des habitants. Mais elle ne doit pas se faire sous l’égide de l’hôpital public ! La médecine de ville doit rester la porte d’entrée du système de santé.
Les médecins libéraux sont régulièrement accusés de ne pas prendre toute leur part à la PDS. Craignez-vous un retour des gardes obligatoires ?
Je m’inscris totalement en faux face à ces accusations. Généralistes comme spécialistes assurent leur mission de garde. La permanence des soins ambulatoires (PDSA) couvre 97 % du territoire toutes les nuits et les week-ends, et surtout le nombre de généralistes volontaires augmente, alors que ce n’est pas une obligation.
Quant à la permanence des soins en établissements privés (PDSES), les spécialistes n’y rechignent pas, à condition que les ARS ouvrent les lignes de garde. Dans un grand nombre de cas, les confrères y participent sans rémunération. Toute pression sur les médecins serait inutile. Il vaut mieux avoir une réflexion territoriale sur les besoins en matière d’urgence. Faut-il garder un service d’urgence dans un hôpital ou une clinique où il n’y a pas de bras ? Il faut une carte territoriale pour savoir à quel endroit on a besoin de services d’urgence avec les effectifs disponibles dans le respect des normes de sécurité.
Un décret est attendu sur l’accès direct et la primoprescription des IPA. Quelle est votre position sur ce sujet sensible ?
Pour la CSMF, les infirmiers en pratique avancée (IPA) sont nécessaires. Il faut en former davantage et élargir les domaines de spécialisation, notamment dans ma spécialité, en gastro-entérologie. En revanche, je rejoins la HAS comme l’Ordre des médecins pour refuser le projet de décret en l’état autorisant l’accès direct et la primoprescription des IPA. Ces professionnels ne sont pas – comme certains aimeraient les voir – des officiers de santé qui agissent en premier recours et sans aucun diagnostic médical.
Vous dites banco sur l’expérimentation de l’accès direct aux médecins spécialistes ?
Notre position est claire. Le respect du parcours de soins avec le médecin traitant doit être la règle. Plus les patients sont adressés aux spécialistes par le médecin généraliste traitant, meilleure sera leur prise en charge. Donc, si on fait une expérimentation pour autoriser cet accès direct aux spécialistes et écarter le médecin traitant, il y a un risque pour la qualité de la prise en charge. En plus, on risque de déterrer la hache de guerre entre la médecine générale et les autres spécialités. A-t-on besoin de cette querelle dans un contexte de pénurie médicale ?
Le respect du parcours de soins avec le médecin traitant doit rester la règle
Le paiement à l’acte n’est-il pas devenu un facteur de blocage aux coopérations interpro ?
Non. Le paiement à l’acte est agile et incite les médecins à agir, y compris dans le cadre d’une coopération interprofessionnelle. Pour la CSMF, il doit rester prépondérant. Pour autant, d’autres modes de rémunération forfaitaire existent, y compris la capitation. Si des groupes de médecins sont volontaires pour l’expérimenter, ils devront être accompagnés.
Vous êtes à la tête de la CSMF depuis deux ans. Êtes-vous fier de votre bilan ?
Il y a une véritable cohésion et un plaisir à travailler en équipe. Il n’y a plus les querelles de clocher qui ont existé dans le passé. Sur le plan financier, nous avons assaini les comptes de la maison grâce à une rigueur budgétaire, à un nombre d’adhérents en hausse et un siège social rénové qui héberge des entreprises. En 2025, nous allons lancer un nouveau service qui vise à accompagner les cabinets médicaux sur le volet social et une école de secrétaires médicales avec une formation adaptée aux besoins des médecins. La CSMF est un syndicat qui défend ses adhérents mais c’est désormais aussi un syndicat de services.
Travaux sur la CCAM technique, c’est parti
Dans le cadre de la refonte de la classification commune des actes médicaux (CCAM) technique, une première réunion avec la Cnam a eu lieu fin juillet sur le « coût de la pratique » (charges financières incombant aux praticiens pour effectuer les actes) qui n’a pas bougé depuis vingt ans. Un groupe de travail va se mettre en place fin septembre-début octobre pour avancer jusqu’en 2025. « Pour moi, ce coût de la pratique qui sert à calculer la valeur de l’acte médical devrait progresser pour toutes les spécialités confondues », plaide le Dr Franck Devulder.
Repères
2014-2016 : président du Conseil national professionnel d’hépato-gastroentérologie
2017-2020 : vice-président de la Fédération des spécialités médicales (FSM)
2020-2022 : président de la branche Spécialistes de la CSMF
2021 : La CSMF obtient 17,31 % des voix dans le collège généraliste et 22,36 % chez les spécialistes aux élections professionnelles
Depuis avril 2022 : vice-président de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS)
Depuis mars 2022 : président de la CSMF, syndicat représentant généralistes et spécialistes
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