LE QUOTIDIEN : Vous venez d’être élue à la tête de l’association de citoyens contre les déserts médicaux. Percevez-vous des signaux positifs dans le cadre de votre combat ?
Dr LAURE ARTRU : Objectivement, l’accès aux soins reste extrêmement préoccupant pour nos concitoyens. La Sarthe, mon département, se situe parmi les principaux déserts médicaux de France, derrière la Seine-Saint-Denis, la Guyane et l'Eure-et-Loir. Faute de médecins généralistes et de spécialistes en nombre suffisant, les Sarthois sont obligés d’aller se soigner à Tours, Angers, Rennes, Nantes ou même à Paris ! Ceux qui peuvent se déplacer, ceux qui sont capables de se démener arrivent à trouver des solutions mais tant pis pour les autres ! Je refuse cette sélection par l’argent. C’est aussi la raison pour laquelle je défends de longue date l’encadrement de la liberté d’installation, la limitation de la durée du remplacement et les délégations de tâches.
Vous souhaitez aujourd’hui lancer un projet baptisé « spécialistes solidaires ». Quel est votre objectif ?
Nous voulons mobiliser et inciter des spécialistes volontaires, souvent basés au Mans, à venir une ou deux fois par mois pour assurer des consultations dans les communes périphériques du département, à l’instar des consultations avancées qui existent déjà dans les hôpitaux de proximité. J’ai testé l’idée auprès de confrères dermatologues et ophtalmologues, qui semblent favorables. C’est un peu plus compliqué avec les cardiologues.
La nouveauté est que ces consultations se feraient au sein de structures où les futurs médecins sont en formation et prioritairement dans des centres de santé. Cela offre plusieurs avantages. Les patients y seront prioritaires pour consulter ces spécialistes. À la clé, ils auront moins de km à parcourir et une meilleure garantie du suivi.
Quant aux spécialistes qui joueront le jeu, ils seront salariés pour leurs vacations et bénéficieront d’une organisation, d’un secrétariat médical, d’un logiciel disponible avec le fichier patients du centre. Par ailleurs, l’intérêt de ces consultations est de mettre en contact des jeunes en formation et des spécialistes, pour que ces derniers leur dispensent une pratique, un apprentissage de gestes techniques, mais aussi de petits cours théoriques pratiques.
En pratique, comment ces médecins volontaires vont-ils être rémunérés pour ces vacations ponctuelles ?
Il s’agit d’un salaire à la vacation avec un tarif horaire. Le salariat est intéressant car il évite aux médecins de payer des charges supplémentaires à l’Urssaf et à la Carmf. À partir du 1er janvier 2026, la nouvelle convention médicale prévoit une rémunération de 200 euros par demi-journée d’intervention pour les spécialistes effectuant des consultations avancées dans les zones d’intervention prioritaires (ZIP) et limitée à six demi-journées par mois. Nous souhaitons donc que l’État – via les ARS – abonde ces 200 euros pour rendre encore plus attractive cette activité. En tout cas, cette solution intéressera certainement les praticiens retraités spécialistes à reprendre une petite activité.
Quand ce projet sera-t-il lancé ?
Mon idée est lancée dans la Sarthe mais je crains qu’elle soit difficile à concrétiser car nous avons peu de centres de santé. J'ai appelé plusieurs autres départements où il y a davantage de centres de santé mais mon projet, pour l’instant, a fait un flop. Du côté des CPTS [communautés professionnelles territoriales de santé], je n'ai même pas eu de réponse de la part des coordinateurs.
Mais cela ne me décourage pas ! Il est nécessaire de faire connaître cette idée qui ne coûte pas grande chose. En tant que représentante d'une association de citoyens contre les déserts médicaux, je veux qu'on rétablisse partout en France un droit égalitaire et constitutionnel à la santé. En tant que médecin, je sais que dans les dix ans qui viennent, la pénurie médicale va encore s’aggraver.
Pour autant, je ne veux pas être dans le misérabilisme. Si les médecins se bougent et décident dans un élan de solidarité de consacrer chacun une journée dans les campagnes, il n'y aura plus de problème. Nous réussirons à traverser le désert… Nous ne pouvons pas être dans l’indifférence et dans l’ignorance. Nous sommes tous individuellement et collectivement responsables de la santé de nos concitoyens. Et je pense que mon projet va marcher car si les docteurs parlent aux docteurs, ça réussit toujours.
* L’association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) est une association nationale créée à Laval en 2016 par Maxime et Élodie Lebigot, tous deux infirmiers à l’hôpital de Laval. Plusieurs antennes ont été mises en place – dont la première en Sarthe.
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