Médecin généraliste à Mouilleron-Saint-Germain (Vendée), la Dr Monique Paris fêtera le 1er juillet ses 50 ans d’installation. Débordante d’énergie, cette infatigable omnipraticienne de 85 ans a une file active de plus de 1 700 patients.
Pour « Le Quotidien », elle revient avec humour sur son long parcours. Née à Saint-Germain-en-Laye, elle découvre la médecine par l’intermédiaire de son grand-oncle, assistant du Dr Charcot à la Salpêtrière. Après des études à Paris, elle fera des remplacements en Vendée en 1968, avant de s'installer en 1973. Toujours aussi dynamique, elle porte un regard critique sur l'exercice d’aujourd’hui – qu’il s’agisse de la paperasse, de la crise des urgences, de la téléconsultation ou même de la jeune génération.
LE QUOTIDIEN : Il y a 50 ans, vous êtes-vous installée en Vendée. Pourquoi ?
Dr MONIQUE PARIS : Je voulais exercer à la campagne. J’ai fini par m’installer à La Caillère en 1973. En 2011, j’ai décidé de partager mon activité entre La Caillère et Mouilleron-Saint-Germain pour épauler un médecin. Depuis, je travaille de 9 h du matin à 21 h. Je n’ai pas le temps de déjeuner, je dîne en rentrant le soir. Mais, honnêtement, cela ne me gêne pas du tout ! J’ai deux assistantes médicales et cela fonctionne très bien comme ça. Mais il est vrai que les conditions de travail ont changé. À l’époque, j’avais des consultations le matin et des visites l’après-midi, mais j’avais toujours un peu de temps libre dans la journée. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.
Quel regard portez-vous sur la médecine libérale d'aujourd'hui, les évolutions de l'exercice ?
Autrefois, on organisait notre travail comme on le désirait. Du moment qu’il était fait correctement, il n’y avait pas de problème. On ne nous demandait pas de faire de la paperasse pour ceci ou cela. Cela a bien changé ! Par exemple, l’Assurance-maladie va me rendre visite pour vérifier si je ne fais pas trop d’arrêts de travail… Les conditions d’exercice se sont profondément dégradées. Dans les années 70, il y avait 6 cotations dans la nomenclature généraliste. Maintenant, il y en a presque une centaine ! C‘est un casse-tête chinois et une perte de temps. Mais c'est ce qu'on appelle le progrès…
Certes, j’ai beaucoup de travail, mais j’ai été formée pour cela. Cela ne m’a jamais paru extraordinaire. Aujourd’hui, j’entends les jeunes médecins me dire : « Vous n’avez pas de temps pour vous, votre famille en a pâti, vous n’avez pas eu de loisirs… ». Je suis désolée mais j'ai toujours su équilibrer tout ça et je ne me sens pas du tout frustrée d’avoir travaillé comme j’ai travaillé. D’autant plus que j’aime mon métier. Je suis en quelque sorte une victime consentante. Et comme je n’ai pas de problèmes de santé, autant continuer !
Justement, qu’est-ce qui vous fait continuer à 85 ans ?
Premièrement, il n’y a personne pour me remplacer. Nous étions autrefois 15 médecins dans mon secteur – pour environ 30 000 personnes –, nous ne sommes plus que 6 ! Si je m’en vais, que vont devenir mes 1 788 patients ? Et puis, je m’intéresse de près à l’évolution de la médecine, aux innovations scientifiques. Cette semaine, je me suis formée sur le traitement des problèmes articulaires, les prothèses, les injections de PRP. L’an dernier, je suis allée aux Journées nationales de médecine générale (JNMG) et je me suis documentée sur la médecine connectée.
Que pensez-vous de la nouvelle génération de médecins ?
J’ai l’impression que les médecins qui s’installent aujourd’hui sont à la recherche d’un poste avec le moins de travail possible et le plus de tranquillité possible. Autrefois, la médecine était une vocation, aujourd’hui, c’est une profession ! Je ne parle pas de l’appât du gain. Mais quand on propose aux remplaçants de reprendre une patientèle, ils répondent : « Est-ce que vous êtes à 30 km de ci ou de ça ? Est-ce que vous travaillez le soir et le week-end ? » Je ne me posais pas ce genre de questions quand j’ai fait des remplacements pour payer mes études. D'ailleurs, la notion de burn-out me fait bien rigoler. Quand on a un peu de tonus, on ne se met pas en burn-out, sauf, bien sûr, dans les situations catastrophiques.
Que pensez-vous de la crise des urgences ?
Quand on me dit que les urgences sont fermées faute de personnel, j’ai du mal à l’entendre. J’ai récemment perdu un patient qui était un grand cardiaque. Il a fait un petit malaise digestif, mais les urgences de Fontenay-le-Comte étaient fermées. Donc, il est parti au CHU de Nantes. Il a fait l’aller-retour avec un Doliprane. Deux jours plus tard, il est parti en hélicoptère et il est mort sur la table d’opération… Comme les urgences sont saturées, on se contente de les voir rapidement, de leur donner un médicament.
Il y a aussi le scandale des téléconsultations. Mes patients sont prévenus, je veux bien en faire pour un renouvellement de traitement, les conseiller pour un motif bénin, mais pas quand le patient a 40 de fièvre depuis 48 h et qu’il tousse ! Regardez aussi l’offre de téléconsultation illimitée à 11,90 euros de Ramsay Santé. C’est un peu le « drive » de McDonald's. On prend des patients que l’on ne connaît pas, on ne sait pas exactement ce qu’ils ont. Il ne faut pas jouer avec la vie des gens…
Sentez-vous tout de même le poids des années ?
Pas du tout ! J’ai la chance d’avoir une bonne santé. J’ai du mal à me dire que j’ai l’âge que j’ai, que j’aurai 90 ans dans 5 ans.
Combien de temps comptez-vous exercer encore ?
Je ne sais pas, ce n’est pas moi qui décide. Le problème, c’est que la communauté de communes vient de prolonger le bail de mon cabinet jusqu’en 2029. Je leur ai dit : « En 2029, j’aurai 91 ans, je ne vous promets pas que je serai encore là. » Je veux bien m’engager pour deux ans supplémentaires. Mais plus, je ne sais pas, car je pourrais commencer à dérailler et à faire des bêtises.
Un message pour les jeunes médecins ?
Il faudrait qu’ils aient un peu plus de passion pour la médecine. Mais attendez, l’intelligence artificielle arrive, il paraît que c’est mieux que les médecins, même sur le plan de l’empathie ! L’avenir nous est ouvert. Sauf que cela sera un avenir version « Le meilleur des mondes ».
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