Ce n'est pas l'envie qui manque aux jeunes médecins de s'installer en libéral mais plutôt les risques associés, notamment économiques.
Selon une vaste enquête* présentée ce jeudi par la commission jeunes médecins de l'Ordre, 75 % des internes envisagent une activité libérale et/ou mixte contre seulement 19 % qui souhaitent le salariat. Les jeunes ont « une véritable aspiration à l'installation en libéral mais il y a un décalage entre l'intention et la réalité », constate le Dr Bruno Boyer, président de la commission jeunes médecins. De fait, seulement 12 % des nouveaux inscrits à l'Ordre en 2018 exercent effectivement en libéral – 62 % font le choix du salariat et 23 % remplacent.
Dans son travail, l'Ordre et les représentants des jeunes médecins ont donc cherché à décortiquer ce qui pousse ou freine l'installation libérale de cette génération.
Premier constat, les aides financières ne constituent pas un facteur prédominant. 48 % des internes et remplaçants estiment qu'elles détermineront « peu ou partiellement » leur installation. Et 22 % des remplaçants et 10 % des internes considèrent qu'elles ne l'influenceront pas du tout. En revanche, 43 % des remplaçants et 59 % des internes appréhendent le risque économique du secteur libéral et disent craindre « l'échec ». « Il y a une vraie angoisse de ne pas assumer les frais », décrypte Antoine Reydellet, président des internes de l'ISNI.
A contrario, les déterminants prioritaires à l'installation résident dans la proximité familiale et la présence des services publics (environ 60 %).
Plus précisément, parmi les internes en couple, 86 % jugent que le conjoint est un facteur décisif sur le projet d'installation.
Horaires équilibrés et un travail coordonné
Au-delà des facteurs personnels, l'environnement professionnel reste l'une des clés.
Ainsi, la présence d'autres professionnels de santé incite les internes (81 %) et les remplaçants (87 %) à sauter le pas. Les résultats montrent l'importance du travail en réseau et de la coordination interpro. « Les jeunes médecins ont pleinement conscience de leur responsabilité populationnelle mais ce résultat révèle une certaine appréhension d'y faire face seul », analyse Thomas Iampietro, vice-président en charge des perspectives professionnelles à l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF).
Ce n'est donc pas une surprise si les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), l'exercice libéral en cabinet de groupe et l'activité mixte (libéral/salariat) sont plébiscités chez les internes interrogés sur le type d'exercice envisagé (72 % pour ces trois items réunis). En revanche, le libéral « seul » est très minoritaire (3 %).
Les conditions d'exercice constituent un autre facteur puissant à l'installation. Les horaires (et rythme de travail) représentent une attente très forte pour 82 % des internes et 46 % des remplaçants.
En revanche, le projet d'installation en lui-même n'est pas très clair. 85 % des internes interrogés n'en avaient pas de bien défini. « L'internat ne prépare pas ni n'accompagne suffisamment à la conception d'un projet d'installation », décrypte la commission.
Le remplacement, tremplin à l'installation
Le remplacement semble incontournable. Plus de 8 médecins installés sur 10 sont passés par cette case « remplacement ». Cela permet de découvrir les territoires, de se forger une expérience en libéral et d'apprendre la gestion administrative.
Contrairement aux idées reçues, l'enquête illustre le désir des jeunes de s'ancrer rapidement : 65 % des remplaçants pensent s'installer dans les moins de trois ans. 57 % des internes y songent également.
Comme des start-up...
La commission évoque plusieurs pistes pour que l'installation soit moins perçue comme un fardeau pour la jeune génération : développer les stages dans les cabinets libéraux de toutes les spécialités et les enseignements à la gestion de l'entreprise et au management.
Autre demande, l'accompagnement du projet professionnel. Un référent installation présent dans les ARS ou facultés existe, néanmoins « trop peu de personnes le connaisse », admet Pieter Prats, porte-parole de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes en médecine générale (ISNAR-IMG).
Or, l'enquête met en évidence le besoin des praticiens d'être accompagnés par un confrère (68 %), la collectivité (53 %) et l'Ordre (48 %). « Ils recherchent, la transmission d'expérience chez leurs pairs, et des expertises, par exemple, juridique chez l'Ordre, logistique chez la collectivité », détaille le Dr Vanessa Fortané, membre du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR).
Les projets ont besoin d'être « incubés » comme les start-up pour aider au démarrage. « Dans le Jura, 8 internes de Grenoble se sont installés ensemble après avoir été longuement aidés sur leur projet et les démarches. Ils ont redynamisé le territoire », cite Antoine Reydellet, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI).
Enfin, la commission recommande de muscler la protection sociale des médecins libéraux et notamment de réduire le délai de carence de versement des IJ par la CARMF à trois jours en cas d'incapacité de temporaire de travail.
A l'heure où le spectre de la coercition revient sans cesse, cette piste est écartée. « Un médecin seul dans une commune ne révolutionnera rien. La coercition a été instaurée en Allemagne et a créé des dérives », rappelle Pieter Prats (ISNAR-IMG). « La coercition stérilisera les discussions et les projets en cours », juge le Dr Boyer.
* Enquête réalisée par la commission jeunes médecins de l'Ordre constituée par l'ANEMF, ISNAR-IMG, ISNI, ReAGJIR et le SNJMG, auprès de 15 319 médecins dont 2 443 internes, 2 079 remplaçants exclusifs, 10 797 installés entre le 7 janvier et 27 février 2019 via un questionnaire en ligne.
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