Si l’on se fie à la dernière enquête de représentativité de 2011, les confrères adhérents à un syndicat représenteraient 16,6 % de la profession, soit environ 9 000 généralistes. Défense de la médecine générale, amélioration de l’organisation des soins, cogestion du système de santé, les militants s’engagent pour des raisons qui sont propres à chacun d’eux. Mais qui, souvent, sont les mêmes d’un syndicaliste à l’autre, qu’il soit membre de MG France, de l’UNOF, du SML ou encore de la FMF.
Engagés au nom de leur pratique professionnelle, ces médecins formeraient-ils une catégorie à part ? En cette période de concertation autour du projet de loi santé, leur engagement prend en tout cas un nouveau tour, propulsant les militants du terrain en première ligne pour réagir à la réforme du gouvernement. Ce qui, concrètement, se traduit par informer leurs confrères du contenu du projet de loi, organiser des actions comme la récente journée « santé morte » en Indre-et-Loire ou coordonner les trajets pour Paris en vue de la manifestation du 15 mars prochain.
De nombreuses activités bénévoles
Débordés, parfois même surinvestis, nombre de généralistes syndiqués affichent une impressionnante liste d’activités bénévoles. Au-delà du rôle qu’ils peuvent endosser au sein des instances régionales de santé, beaucoup sont, en effet, membres d’associations, liées plus ou moins directement à l’univers médical. Engagé à l’UNOF depuis huit ans, le Dr Jean-Baptiste Thibert, par exemple, est également membre de Libaglyr, une association de professionnels de santé libéraux du Languedoc-Roussillon. « Nous menons un projet territorial d’organisation de la santé dans une dynamique pluriprofessionnelle », décrit-il. Convaincu de la nécessité d’adopter une « vision globale, car les professionnels de santé ne peuvent plus être dans leur coin », il plaide pour « une évolution des réponses aux nouveaux besoins de santé de la population, lesquels sont très liés à d’autres domaines, comme l’alimentation ».
Du côté de Tours, un de ses confrères de la FMF, le Dr Jean-Michel Mathieu, se rend lui dans le centre de soins « Porte Ouverte » où il s’occupe de « personnes qui ne peuvent consulter nulle part, des populations étrangères, sans papiers ou de passage ».
Difficile de déterminer qui du syndicalisme ou de l’associatif vient en premier, le militantisme professionnel apparaissant souvent comme un engagement de longue date. Encore un point commun quelles que soient les convictions affichées. Pour certains, il remonte à leurs années universitaires, pour d’autres à leur installation en libéral. « J’ai commencé le syndicalisme lors de mon internat, pour régler des problèmes comme les gardes, l’état de saleté de l’internat », se souvient Jean-Michel Mathieu qui s’est alors tourné vers le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG). Officiant dans une maison de santé à La-Croix-en-Touraine, près d’Amboise, Alice Perrain est membre de MG France depuis un an. Une adhésion à une organisation « de grands » qui prolonge une activité syndicale longue d’une quinzaine d’années. « J’ai créé la branche de l’Isnar (syndicat d’internes de médecine générale, ndlr) en région Centre puis j’ai fait partie du bureau national », retrace celle qui a ensuite participé à la création de Reagjir (Regroupement des généralistes jeunes installés et remplaçants, ndlr) dans la même région, avant d’en prendre la présidence. « ça fait quinze ans que je fais du syndicalisme et je n’ai connu qu’une seule année sans engagement », résume celle qui préside MG France Touraine depuis quelques mois. Dynamiques, ces médecins ne se caractérisent pas seulement par leur hyperactivité, mais aussi par une certaine idée de la médecine et de la profession.
Syndiqué pour faire avancer la profession.
Rencontrer, échanger, avancer. Sans pouvoir en faire une devise, ce triptyque pourrait résumer les raisons initiales de l’engagement des généralistes au sein de mouvements syndicaux. Pour le Dr Philippe Delhay, rejoindre l’UNOF était ainsi un moyen de croiser des confrères. « J’ai adhéré à un syndicat pour rencontrer d’autres médecins du territoire, on se sent moins seul », explique ce médecin installé en milieu rural, à Ambrières-les-Vallées (Mayenne). Membre de la branche généraliste de la CSMF « depuis 7, 8 ans », il voit également dans l’adhésion à un syndicat la possibilité de « faire remonter des remarques du terrain » ainsi qu’une forme de reconnaissance du travail accompli par l’organisation. À ses yeux, « l’UNOF avait fait beaucoup de bien pour la PDS en Mayenne ».
Alice Perrain met aussi en avant « un engagement qui passe par des échanges d’idées et des rencontres avec d’autres gens qu’on n’aurait pas forcément rencontrés en dehors ». Les réunions syndicales peuvent être l’occasion d’obtenir des conseils sur un sujet en particulier, « de trouver des solutions concrètes pour améliorer le quotidien ». Permanence des soins, régulation des appels téléphoniques, gestion des conflits avec les patients, « les syndicats organisent régulièrement des réunions sur des sujets concernant les généralistes » souligne-t-elle. « Nous avons eu une réflexion sur une meilleure organisation du temps de travail, sur comment diminuer le temps annexe qui peut être fait par d’autres et qui permet de libérer du temps médical », détaille la généraliste tourangelle. « Notre réflexion n’est pas centrée sur le cabinet du généraliste », précise-t-elle, indiquant l’autre étape de la démarche, située « au niveau national, avec des propositions pour améliorer l’offre de soins sur un territoire ».
Incubateur ou catalyseur de programmes sanitaires, les syndicats peuvent d’ailleurs être d’une aide précieuse pour les généralistes porteurs de projets. En adhérant à une organisation, ceux-ci bénéficient des ressources humaines, techniques et logistiques leur permettant de développer, localement, leur initiative. Et peuvent compter sur le relais des syndicats auprès des pouvoirs publics pour la mise en œuvre effective. C’est ce coup d’accélérateur qui a incité le Dr Bernard Richard à adhérer au SML, à la fin des années 2000. « Dès 2002, j’ai mené un travail sur la démographie médicale », explique ce généraliste sarthois dont le « combat est la continuité des soins ». Pressentant que « la PDS allait être une catastrophe » dans son département, il a développé un programme permettant de répondre aux besoins de la population sur ce territoire. « Je connaissais des personnes au SML qui ont cru en mon modèle et j’ai donc adhéré », raconte-t-il. Selon lui, son programme « n’est pas un projet syndical, mais c’est grâce au syndicat que j’ai pu le mettre en place ». Et le défendre auprès de l’ARS qui a accepté de participer à son financement.
Les critiques n’atteignent pas la base
Reste que la vie d’un généraliste syndicaliste n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Car les médecins libéraux ne sont pas forcément tendres avec ceux qui sont censés les défendre. Les commentaires postés sur legeneraliste.fr en témoignent presque quotidiennement. Prompts à critiquer comme une trahison la signature de tel avenant conventionnel... Ou à suspecter tel leader d’être prêt à capituler dans le cadre de l’actuelle concertation en s’entendant avec les pouvoirs publics dans le dos des médecins de terrain... Ces remarques parfois virulentes ne semblent pas entamer pour autant le moral des militants sur le terrain. « Les critiques ne me dérangent pas car je trouve que les représentants nationaux sont trop dans le consensuel et ne prennent pas le temps d’analyser les bénéfices et inconvénients des décisions qu’ils prennent », affirme ainsi le Dr Evelyne Chartier, généraliste installée à Chamalières (Puy-de-Dôme). « D’accord avec les critiques adressées par ceux non-syndiqués », cette adhérente au SML voit une raison de plus « de s’engager pour défendre davantage ses idées ».
Aux yeux d’Alice Perrain, les griefs des confrères ont ceci de positif qu’« ils nous permettent de réfléchir sur notre action ». Animée par l’envie de faire changer les choses, elle note que « certains médecins font dans la contestation mais ne se sont jamais investis, c’est un peu stérile car ça n’avance pas. Or, la meilleure façon de faire bouger les lignes, c’est de proposer. » Et de souligner qu’« on s’endormirait si tout le monde trouvait nos actions géniales » ! Selon le Dr Jean Godard, membre de MG France, la complexité du système expliquerait d’ailleurs les remarques de ses confrères. « Je ne vois pas comment on peut expliquer les tenants et les aboutissants d’une réforme », indique-t-il, regrettant un certain traitement de l’information et « des raccourcis tueurs ». « Derrière l’unité de façade, il y a des guerres syndicales dans la perspective des élections URPS, ce qui amène chacun à essayer de se démarquer », ajoute ce généraliste normand. « Les mêmes qui critiquent ne sont pas nécessairement engagés », ce qui ne l’empêche pas de penser que ceux-ci pourraient participer à la manifestation du 15 mars car « il y a tout de même un mouvement global au-delà de l’appel syndical ».
Un engagement qui évolue au fil du temps
D’hier à aujourd’hui, la forme de l’engagement des praticiens évolue au cours du temps. Au départ, c’est la fierté d’être médecin généraliste qui a poussé Jean Godard à s’engager. Alors que « la médecine générale était tout le temps humiliée », il a rejoint MG France à sa création, en 1984, se reconnaissant « dans la démarche de redressement de la médecine générale, dans les objectifs poursuivis » par le syndicat. Après plus de 25 ans de syndicalisme, voilà que son engagement dépasse la médecine générale et se tourne, désormais, du côté de la santé publique. Avec une réflexion sur l’organisation du système de soins. « Mon engagement a beaucoup évolué », souligne-t-il. « Plus politique au début, j’ai ensuite exercé des responsabilités au niveau national, je suis élu à l’URPS mais je ne me représente pas car j’ai plus un rôle d’expertise en santé publique aujourd’hui », précise-t-il, assurant qu’« en France, on a tout pour faire une bonne santé mais le problème, c’est l’organisation ». Et de noter, malicieusement, « la santé publique, c’est l’antichambre de la politique ».
Depuis son installation en 1983, Evelyne Chartier a toujours fait partie d’un syndicat. Pendant 30 ans, elle confie n’avoir pas eu le temps de militer activement. « Maintenant, j’ai l’âge et le temps de pouvoir le faire, assure cette fidèle du SML. J’ai une vision plus globale, une écoute différente, plus de compétences car plus d’expérience et de recul ». Son engagement connaît « un nouvel élan depuis l’année dernière et l’évolution de la médecine qu’on nous propose ». Avant de militer à l’UNOF, Jean-Baptiste Thibert a milité entre 1996 et 2000 au sein d’« un syndicat monocatégoriel ». Mais « il me manquait le contexte global de la médecine, la relation avec les autres spécialistes », commente le généraliste de Salses-le-Château (Pyrénées-Orientales). Animé d’une « curiosité assez large et d’un besoin d’ouverture », la pluriprofessionnalité lui tient à cœur, tout comme l’enrichissement, en sciences humaines, de la démarche de soins. Une complémentarité entre le champ social et la santé dont témoigne son activité associative.
Engagement d’un jour, engagement de toujours ? Cotiser à un mouvement n’empêche pas de rester vigilant sur la ligne suivie par celui-ci. C’est ainsi que certains médecins changent de syndicat au cours de leur vie professionnelle. Engagé aux côtés de MG France lors de son installation à Semblancay, en Touraine, Jean-Michel Mathieu a ensuite participé à la création d’Espace Généraliste, dans les années 2000. « C’était au moment de la renégociation sur le prix de la consultation et la visite, je trouvais que MG France n’allait pas assez loin et portait des revendications qui ne correspondaient pas à la base », justifie celui qui est désormais membre de la FMF, assurant toutefois ne pas être fâché avec ses anciens camarades.
« Adhérer, c’est un petit luxe »
En tout cas, une fois gagnés par le virus du syndicalisme, les généralistes ne semblent pas près d’abandonner leur engagement. S’il n’était plus tout à fait d’accord avec l’UNOF, Philippe Delhay affirme qu’il discuterait « avec un responsable syndical pour voir d’où viennent les difficultés ». Mais, a priori, « si mon syndicat mène des actions positives, il n’y a pas de raison que je ne renouvelle pas mon adhésion ». Lui qui se voit « syndiqué jusqu’à la fin de mon exercice » souligne toutefois que « c’est assez cher d’adhérer, environ 450 euros par an, c’est un petit luxe ». Une somme dont il comprend qu’elle serve à financer « un site internet, une revue mensuelle, une lettre hebdomadaire » mais qui, selon lui, reste un frein pour ses jeunes confrères.
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