LE QUOTIDIEN – Les difficiles négociations sur la réforme de la santé au travail sont censées aboutir aujourd’hui. Quelle est votre analyse ?
DR BERNARD SALENGRO - La séance est censée être conclusive mais c’est déjà la quatrième fois ! Cela commence à durer… On verra le texte final que propose le MEDEF. Sur le fond, il y a de quoi s’inquiéter. On assiste à un transfert de pouvoir considérable et de responsabilité du médecin du travail vers le directeur du service de santé au travail, c’est-à-dire en fait aux employeurs. En plus, le médecin sera noyé, étouffé, englué dans une équipe pluridisciplinaire de techniciens sans préciser la hiérarchie ni l’organisation. Tout ça dans un contexte tendu puisque le gouvernement a asphyxié les flux de formation des médecins du travail : il en sort 50 alors qu’il en faudrait 500 ! On a organisé la pénurie…
Il n’y a donc pas d’avancée ?
Nous pouvions accepter le transfert [aux employeurs] si la gestion des services de santé au travail était paritaire, permettant une régulation et un contrôle, bref si la gouvernance était vraiment partagée. Mais les employeurs veulent garder la main. Demain, je crains que la médecine du travail ne soit pour le salarié qu’une source de méfiance. Les problèmes de santé qu’il confiera au service de santé au travail, c’est comme s’il les confiait au DRH ! L’indépendance n’existera pas dès lors que le pouvoir dépend in fine des employeurs. Jusqu’à présent, ce n’était pas le cas. Le médecin du travail, même si il y a des conflits et des tensions, conservait une indépendance technique qui ne relève que du conseil de l’Ordre et du médecin inspecteur. Demain, il n’y aura plus de tensions : ce sera « vous obéissez, ou on vous vire ».
Les missions des médecins du travail sont-elles suffisamment claires ?
Elles sont claires mais elles ne sont pas appliquées parce que le gouvernement ne fait pas le contrôle nécessaire avec l’inspection du travail et que ce n’est pas l’intérêt des employeurs. La priorité qui devrait être celle de la prévention des risques professionnels n’est pas mise en uvre. Et la situation s’aggrave.
Comment renforcer l’attractivité de cette spécialité ?
Il y a un problème de fond : quand vous faîtes 14 ans d’étude et que, au bout, c’est un comptable à la solde des employeurs qui vous explique comment faire votre métier, ça fait mal aux tripes. L’attractivité, c’est d’abord le plaisir de faire un travail utile, en situation de responsabilité, et suivi d’effet.
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