LE QUOTIDIEN : Vous avez organisé ce 1er juin vos propres états généraux de la coordination libérale. Pourquoi cette initiative ?
Dr SOPHIE BAUER : On a organisé cet événement pour partager les remontées du terrain et procéder à un vrai état des lieux de l’existant, recenser les modes de coordination émergents que l’on voudrait développer, comme les Escap [équipes de soins coordonnées avec le patient], un des chevaux de bataille du SML. Nous voulions aussi des remontées d’expériences présentant des coordinations auxquelles les gens n’avaient pas forcément pensé, qui se sont faites spontanément, se sont organisées et pourraient être modélisées. Ces modèles ne sont pas écrits dans les textes mais ils fonctionnent ! C’est ce que nous voulons démontrer à l’heure où, après la proposition de loi Rist [sur l'accès direct aux paramédicaux], tout un tas de lois coercitives viennent en discussion au Parlement.
En quoi cette loi Rist, qui acte une coordination entre professionnels de santé, ne préserve-t-elle pas la place centrale du médecin traitant ?
Le problème central, c’est le transfert de tâches. Il est hors de question qu’une infirmière, fût-elle de pratique avancée, fasse un diagnostic à la place du médecin traitant. Elles n’ont pas les capacités médicales pour le faire. En revanche, si, dans un cadre collaboratif, le médecin estime qu’il peut lui faire confiance et lui déléguer telle ou telle tâche, pourquoi pas. En délégation oui, mais pas en transfert de tâches.
La proposition de loi de Frédéric Valletoux sur l'accès aux soins par l'engagement territorial, qui sera examinée mi-juin, inquiète fortement les médecins. Que redoutez-vous ?
Ce texte contient tous les germes pour faire fuir les médecins et déboucher sur un désastre sanitaire ! La garde obligatoire, c’est une idée stupide et dangereuse dans la mesure où, en ambulatoire, 96 % des secteurs de garde sont couverts. Rendez les gardes obligatoires et vous aurez demain 12 500 médecins retraités actifs qui déplaqueront du jour au lendemain.
Mais face aux difficultés croissantes d'accès aux soins, vos propos sont-ils audibles auprès des élus ? Quels sont vos moyens d’action ?
Pour le moment, le SML n’a pas appelé au déconventionnement. Mais si les débats à l’Assemblée s’orientent vers le choix de la coercition, que les choses soient claires, nous pousserons de notre côté vers le déconventionnement.
Pourriez-vous rejoindre l'action de l’UFML, qui a dépassé les 2 000 promesses de déconventionnement ?
Même si nous avons des points communs, le SML ne rejoindra pas l’UFML, nous avons notre propre ADN. Ce que je dis, c’est que si le contrat avec la Nation est rompu par la Nation elle-même, via la contrainte et le conventionnement sélectif, il s’agira d’une rupture envers la médecine libérale, qui repose sur le paiement à l’acte, la liberté d’installation et le libre choix du médecin par le patient. Si la loi entre dans le champ conventionnel et nous coupe toute possibilité de négociation, il n’y aura plus de convention médicale. Mais ce sera la faute du législateur, pas des médecins libéraux.
Après la déception du règlement arbitral, quel est l’état d’esprit de vos troupes ? Avez-vous un calendrier de reprise des négociations ?
Le discours qui nous a été tenu est que les négociations reprendraient à l’automne. Nous étions favorables à ce que les discussions reprennent plutôt avant l’été pour pouvoir poser des jalons. Ce qui est certain, c’est que nous voulons cette fois une co-construction de la convention, où le directeur de la caisse écoute et tient compte de ce que les syndicats apportent à la table.
Est-ce une question de méthode ou de personne ?
La méthode qui a été employée n’est pas la bonne, et si le directeur de l’Assurance-maladie n’est pas capable d’en changer, il va falloir changer d’interlocuteur. Mais encore faut-il qu’il n’y ait pas eu, d’ici à la rentrée, un texte législatif qui ait bloqué toute possibilité de négociation intelligente.
Que souhaiteriez-vous mettre à l'ordre du jour ?
Le C à 50 euros, bien sûr. Depuis 15 à 20 ans, on a détruit plus de 30 000 postes de secrétaires médicales dans les cabinets, simplement parce que les médecins n’avaient plus les moyens de les payer. Cela a été un immense plan social et il est passé inaperçu. Et aujourd’hui, même si on a 10 000 assistants médicaux payés par la caisse, les cabinets sont trop petits, on ne saurait pas où les mettre.
Ceci dit, sur le principe, nous sommes d’accord pour déléguer les tâches administratives. Si on peut récupérer ces 30 % de temps médical, aujourd'hui consacrés à faire autre chose que de la médecine, on aura aussi beaucoup moins de problèmes avec la démographie.
Sur les soins non programmés, François Braun a annoncé sa volonté de créer un SAS par département d’ici à la fin de l’année. Est-ce réaliste ?
Ce n'est surtout pas forcément utile ! Il ne faut pas que le SAS soit un chamboule tout. Il n'y a pas lieu d’en créer dans les endroits où la prise en charge des urgences et des soins non programmés fonctionne très bien, en voulant à tout prix plaquer un modèle supplémentaire. En outre, on a vu que, même dans le cadre des consultations prises en charge par le SAS, celui-ci ne résout pas toujours le problème des rendez-vous non honorés. Il faudrait régler ce fléau des « lapins » qui représente l’activité plein-temps de 4 500 médecins par an, soit 27 millions de consultations perdues, où l’on pourrait prendre du soin non programmé.
Emmanuel Macron a exprimé sa volonté de sortir du paiement à l’acte pour certaines prises en charge. Quelle est pour vous la part de forfait acceptable dans la rémunération des médecins libéraux ?
Pour nous, il est clair que c’est une épouvantable dérive. Le seul paiement qui vaille est le paiement à l’acte ! Cela étant, on peut supporter une petite part de forfait, par exemple pour favoriser l’aménagement des cabinets médicaux afin qu’ils soient plus verts, plus compatibles avec l’environnement. Aller sur des forfaits pour nous aider à faire ça, pourquoi pas, mais pour le soin, c'est non.
Les centres de santé se multiplient. Y voyez-vous une menace pour l’exercice libéral et une tentation pour la jeune génération ?
Je veux bien qu’on salarie tous les médecins mais cela dépend de combien le pays est prêt à investir. Avec un salaire de 6 000 euros par mois, sans gardes à effectuer et avec 35 heures hebdomadaires, ça va coûter très cher…
Quant aux jeunes, je suis surtout inquiète quant aux conséquences du rajout d’une quatrième année au DES de médecine générale. Pour être efficace, il faudrait qu’il y ait suffisamment de maîtres de stage. Si c’est une année qui leur apporte vraiment quelque chose sur le plan intellectuel et de la pratique clinique, on peut concevoir que l'internat ait une année en plus. Mais si on estime qu’ils sont en capacité d’agir seuls, pourquoi rajouter une quatrième année, sinon à en faire des bouche-trous à bas prix destinés à combler les déserts médicaux ?
L'agression mortelle d’une infirmière au CHU de Reims a coïncidé avec les chiffres de l’observatoire de la sécurité de l’Ordre, qui montrent une hausse record des violences subies par les médecins. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Ce décès est tragique. Il pose aussi, en filigrane, le problème de la psychiatrie qui a souffert d’une maîtrise comptable de la santé. La psychiatrie de ville n’est pas assez nombreuse pour prendre en charge et assurer le suivi de ces patients qui sortent précocement.
Quant au récent rapport de l’Ordre sur la sécurité des médecins, il confirme à mes yeux une évolution sociétale. Les gens veulent des consultations tout de suite, passer devant tout le monde. C’est un problème d’éducation de la société, on le voit aussi vis-à-vis des enseignants.
Pour la première fois, trois femmes sont présidentes de syndicats de médecins libéraux représentatifs [SML, MG France et la FMF]. Quels sont vos rapports ?
Avec mes consœurs, le dialogue est ouvert, il n’y a pas de faux-semblant. On se dit les choses, mais il n’y a pas de lutte de pouvoir, on ne se sent pas obligée de montrer nos muscles. On a peut-être davantage tendance à parler en amont et en aval que nos prédécesseurs et du coup à échanger plus facilement entre les syndicats.
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