« LES EXPERTS JUDICIAIRES en responsabilité médicale sont souvent vilipendés dans la presse ». C’est de cette observation qu’est parti Jacques Hureau, membre de l’Académie nationale de chirurgie et de celle de médecine, expert honoraire agréé par la Cour de cassation, pour amorcer, en collaboration avec Claude-Henri Chouard, une réflexion audacieuse sur l’expertise. Certes, la situation n’est pas si alarmante qu’on voudrait le croire. La très grande majorité des expertises sont ordonnées en référé (c’est-à-dire en procédure rapide). Dans 80 % des cas, les parties s’accordent sur le rapport d’expert et arrêtent les poursuites. Dans les 20 % restant, l’expertise n’est pas contestée. Le recours à une contre-expertise est rare : il représente 10 % des dossiers de responsabilité d’un professionnel de santé traités par la Cour d’appel de Paris, soit 2 % des dossiers initialement ouverts en contentieux civil. De grandes marges de progression existent toutefois, affirme Jacques Hureau, qui entend donner un bon coup de balai dans un domaine aux règles floues.
Première aberration de taille dans l’inscription des experts sur les listes : « Aucun critère de compétence n’est retenu », regrette Jacques Hureau. « Dans les textes concernant les conditions de (l’inscription des experts sur les listes), rien n’est dit quant aux compétences scientifiques et techniques de l’expert », précise le rapport, qui y voit une « faiblesse du système judiciaire français ». Jacques Hureau enfonce le clou : « Même l’étude que Chantal Bussière, 1re présidente de la cour d’appel de Bordeaux et Stéphane Autin, procureur général près la cour d’appel de Pau, ont remise au Garde des Sceaux en mars 2011 classe la compétence au 7e rang des qualités requises chez un expert ! » Beaucoup trop loin au goût du chirurgien, qui en fait la première recommandation du rapport de l’Académie nationale de médecine. « L’expertise en responsabilité médicale n’est pas quelconque : c’est un médecin qui donne un avis sur l’un de ses pairs, il doit donc être de formation et expérience scientifique et technique au moins égales à celui-ci dans la spécialité concernée », explique-t-il.
Donner des armes aux juges.
Le curriculum vitæ ne devrait pas suffire. L’Académie plaide pour la systématisation de l’entretien oral des médecins qui souhaitent s’inscrire sur les listes. Aujourd’hui, seuls les rapporteurs de la Commission nationale des accidents médicaux (CNAMed) peuvent entendre les postulants. « Cette procédure sélectionne des experts chevronnés », souligne le rapport. « On devrait l’appliquer pour tous les prétendants à l’expertise », affirme Jacques Hureau. L’expert honoraire ne mâche pas ses mots : « Lorsqu’on ne manie que du papier, on ne peut pas juger de l’engagement des médecins. Les experts sont au service de la justice, or, certains s’inscrivent pour la carte de visite ».
Une fois ces précautions prises pour l’inscription, les recommandations suivantes visent à faciliter la sélection du magistrat. Quiconque a déjà vu les listes d’experts auprès des tribunaux sait qu’il s’agit d’une liste interminable de noms de médecins auxquels sont associées des cordonnées, et, depuis 2005, une spécialité. Pas facile dans ces circonstances de choisir l’expert qui sera le plus à même de livrer une expertise impartiale. « Concrètement, en référé, un magistrat a une cinquantaine de dossiers à examiner en une journée, et tous ne concernent pas la responsabilité médicale. Il n’a aucun moyen de savoir quel expert est le plus complet. Aussi, pour la désignation d’un médecin, il se cantonne à ses habitudes », analyse Jacques Hureau.
Pour y remédier, l’Académie de médecine recommande noir sur blanc que « le juge dispose de tous les moyens pour rechercher l’expert le plus en adéquation avec l’affaire en cause, ne fut-il pas l’expert le plus habituellement désigné ». « L’expert ’multi-cartes’, omniscient pluri-spécialiste doit disparaître », lit-on plus loin. Les sages suggèrent donc d’affiner la nomenclature des rubriques expertales, en mentionnant les sur-spécialités. « Il faudrait un thesaurus dont le magistrat serait le récipiendaire » développe Jacques Hureau.
Comme un goût de médicament
L’indépendance et l’impartialité sont les deux autres objectifs autour desquels tourne le reste des recommandations. Et les académiciens n’ignorent pas les mesures comprises dans la réforme du médicament, grand chantier d’automne du gouvernement. « Il est très important pour un expert de déclarer ses conflits d’intérêts. Trop souvent il peut se retrouver en dépendance malgré lui », estime la plume du rapport. Sans prôner des mesures aussi strictes que pour les experts de l’industrie pharmaceutique (qui doivent déclarer les liens d’intérêts qu’ils ont pu nouer jusqu’à 5 ans auparavant), Jacques Hureau évoque deux cas : « Si l’expert a des liens d’intérêt, il doit pouvoir s’en ouvrir lors de la première réunion expertale devant les parties, et en faire mention dans le rapport, ou il doit commettre une déclaration publique d’intérêt s’il y a un conflit intellectuel ou financier ». L’Académie rappelle également dans ses recommandations la possibilité d’une délocalisation de l’expertise, s’il y a « risque d’une confraternité, voire d’un corporatisme local ».
Enfin, les sages se font l’écho d’une vieille demande des experts : le développement des expertises collégiales dans les dossiers ardus. « L’État au pénal, ou les parties au civil ne le souhaitent pas forcément car financièrement, cela revient plus cher, mais c’est essentiel », revendique Jacques Hureau. Sous sa direction, l’Académie envisage même deux collèges : l’un pluridisciplinaire, pour des mises en cause dans le cadre d’une chaîne de soins, l’autre monodisciplinaire, pour les dossiers les plus délicats. « Cela ne doit pas pour autant supprimer le recours à un sapiteur, prévient l’académicien. Celui-ci reste légitime lorsque l’expert ou le collège a besoin d’un avis particulièrement pointu. »
Au-delà de ces recommandations, l’Institution ébauche d’autres pistes de réflexion pour garantir la qualité des expertises, comme une procédure d’accréditation authentique d’experts sous le contrôle de la Haute autorité de santé pour les spécialités médicales dites à risques. « Rien ne doit être négligé pour redonner confiance dans l’expertise », conclut Jacques Hureau : « exiger des experts compétents et indépendances, c’est protéger les justiciables et l’institution judiciaire tout entière ».
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