Dans la Sarthe, le Loiret ou en Alsace… Certains généralistes ne verront pas la mer cet été, faute d’avoir trouvé un remplaçant. Les témoignages en ce sens se multiplient. « Pour ne pas abandonner leurs patients dans ces territoires, des confrères vont, pour la première fois de leur carrière, renoncer à partir en vacances, c’est dramatique », confie le Dr Luc Duquesnel, médecin en Mayenne et président de la branche généraliste de la CSMF.
Sentiment d'épuisement lié à la crise sanitaire, énorme envie de souffler cet été ou d’assumer des vacations plus tranquilles en centre de vaccination… Les remplaçants sont devenus des perles rares pour les généralistes libéraux en cette période estivale. Installé dans la Meuse, à une heure et demie de la fac de Nancy, le Dr Alexandre Didelot peine lui aussi à se faire remplacer cet été. « Sur les cinq médecins de notre maison de santé pluriprofessionnelle, seuls deux ont trouvé quelqu'un pour les suppléer », raconte-t-il.
« Notre secrétaire va s’arracher les cheveux ! »
Pourtant, le cabinet avait mis toutes les chances de son côté. « Nous sommes tous maîtres de stage, et proposons également un logement gratuit pour nos remplaçants, à 5 km de la maison de santé », avance le Dr Didelot. Sans succès pour l'instant. Pour gérer au mieux la saison estivale, les généralistes meusiens se remplaceront entre eux. Groupe Facebook, Ordre des médecins, ancien stagiaire passé par le cabinet… Toutes les ressources ont été sollicitées pour trouver un remplaçant. Las, « dans la région nancéenne, beaucoup devront complètement fermer leur cabinet », explique le Dr Didelot.
En Mayenne aussi, l’appartement proposé par la commune aux internes « va rester vide », déplore le Dr Duquesnel. Sur les huit médecins de sa maison de santé, « personne n’est remplacé ». « Notre secrétaire va s’arracher les cheveux ! Nous avons déjà commencé à faire des ordonnances QSP 4 mois, et nous serons obligés de prendre en charge uniquement des cas aigus », poursuit-il. Les patients chroniques devront patienter.
50 % des offres pourvues
Le sentiment d’un été tendu est partagé par RemplaFrance, plateforme de mise en relation en ligne qui affiche 8 500 annonces actives (remplacement mais aussi collaboration, installation, CDD, etc.). « L’été est toujours une période chaude avec des demandes multipliées par deux. Chaque année, nous avons environ 3 000 offres de remplacement publiées », détaille Mathilde Couturié, directrice des opérations à RemplaFrance. En moyenne, chaque été, « 68 % des annonces sont pourvues », ajoute-t-elle – un tiers ne trouvant pas preneur. « Mais fin juin, cette année, nous n’avions que 50 % de nos offres pourvues ! C’est une baisse énorme ». Sur un an, la diminution des requêtes pourvues atteint ainsi 27 %.
La situation est d’autant plus inédite que, même les destinations les plus touristiques peinent à trouver ces précieux intérimaires. « Même à Nice, Annecy ou sur la côte atlantique – où les remplaçants se battent habituellement pour exercer – certains médecins ont encore du mal à trouver. C’est un peu la panique », rapporte Mathilde Couturié. Toutefois, la situation de ces cabinets saisonniers reste incomparable par rapport aux zones rurales, touchées de plein fouet par la pénurie de remplaçants.
Des vacations et des vacances !
Comment expliquer que le manque de remplaçants en libéral soit aussi criant ?
Les spécialistes de ce marché de l'intérim pointent du doigt la multiplication des centres de vaccination, qui ont aimanté les juniors, à 420 euros la demi-journée de vacation. « Effectivement, certains remplaçants vont préférer faire des demi-journées en centre de vaccination. C’est pratique, plutôt bien rémunéré et avec des horaires fixes. Ça permet aussi à certains de se dégager du temps libre pour préparer leur thèse », analyse le Dr Mathilde Chouquet, remplaçante à Paris et vice-présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) . « Les vacations en centre de vaccination sont mieux rémunérées qu’en cabinet médical, abonde le Dr Luc Duquesnel. Et cela permet, notamment aux internes, de rester dans leur ville. Je n’en veux pas aux jeunes d’aller chercher des conditions de travail plus favorables. » Quelques critiques ont pointé une forme de mercenariat.
À cela s’ajoute la fatigue accumulée, physique et psychologique. « Après une année éprouvante, les remplaçants aussi ont besoin de vacances », rappelle le Dr Chouquet. Et précisément, la rémunération plus gratifiante proposée par les centres de vaccination permet, pour certains, de travailler sur une période plus courte et de s'offrir quelques semaines de vacances au mois d'août.
Charge mentale
Le Dr Alexandre Didelot comprend que les remplacements dans les territoires ruraux attirent peu. « En tant qu’installé en zone de revitalisation rurale, nous bénéficions de certains avantages, notamment fiscaux. Peut-être qu’élargir ces avantages aux remplaçants permettrait d’être plus attractifs. On pourrait aussi réfléchir à des indemnités de déplacement », propose-t-il.
Le phénomène de tension sur les remplas n'est certes pas nouveau mais il fragilise l'exercice libéral en augmentant la charge mentale des praticiens installés. Renoncement à la formation, aux congés : « certains médecins ont appris à se passer définitivement de ces forces vives », analyse le Dr Chouquet (REaGJIR). Elle regrette que la CNAM n’ait jamais évalué les besoins en remplaçants. Néanmoins, tous les experts s’accordent sur la source principale des difficultés : le déficit de médecins en France, et notamment de généralistes libéraux exclusifs dans un nombre croissant de secteurs.
Hausse de fréquentation aux urgences
En attendant, les cabinets s'organisent tant bien que mal. Certains généralistes demandent aux pharmaciens davantage de souplesse sur les renouvellements, d’autres fermeront tout de même – renvoyant les patients vers des solutions de continuité des soins. Mais pour nombre de patients privés de médecin traitant, la tentation sera de reporter des consultations ou de recourir aux urgences.
D'autant que risque de s’ajouter une pression sur la permanence des soins dans les secteurs les plus fragiles. « Sur juillet et août, il y a 150 gardes non pourvues en Mayenne, explique le Dr Duquesnel. Du coup, elles vont être "redispatchées" sur les médecins généralistes qui restent. Nous sommes moins nombreux mais les généralistes répondent présents. L’été 2021 va être très chargé ! »
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