LE TON MONTE et les réactions s’emballent depuis quelques jours autour de l’affaire Mediator. Jeudi, la FMF annonce son intention de porter plainte contre l’AFSSAPS pour faute et manquement à l’obligation d’information. Il appartenait à l’Agence de retirer le médicament du marché, ou, « à tout le moins, d’informer les praticiens des dangers encourus par les patients à qui du Mediator avait été prescrit », expose Me Fabrice Di Vizio, l’avocat du syndicat (lire aussi ci-dessous). Selon lui, « l’AFSSAPS disposait d’informations sur les risques encourus ».
11 médecins mis en cause.
Onze médecins sont à ce jour personnellement mis en cause : le Sou médical recense une plainte ordinale, deux procédures en CRCI, deux réclamations amiables, et six procédures judiciaires (dans cinq de ces six dossiers, ce n’est pas le patient, mais l’ONIAM qui appelle le prescripteur dans la cause). Quel sera le nombre total de recours ? Grande inconnue. Sans attendre, le corps médical prépare la riposte. Trois praticiens qui ont eux-mêmes pris du Mediator demandent à leur assureur d’agir en justice contre Servier et contre l’AFSSAPS. D’autres médecins, en tant que prescripteurs, envisagent eux aussi de porter plainte pour tromperie.
Servier savait-il les effets secondaires du Mediator avant sa suspension ? Le Dr Jean-Michel Roué, médecin généraliste brestois, entend le prouver en rendant public un courrier, daté du 3 octobre 2008, que lui a adressé Biopharma, l’un des laboratoires de R&D de Servier. Un courrier qui conclut à « la bonne tolérance cardiopulmonaire de Mediator 150 mg ». Scandalisé à l’idée que les médecins puissent voir devoir rendre des comptes dans le cadre de la procédure publique d’indemnisation des victimes, mais pas l’État, ce praticien y voit un élément de nature à défendre ses confrères. « C’est trop facile de jeter les médecins en pâture, dit-il. Le Mediator avait une AMM, il était remboursé par la Sécu. Il est temps que les responsables payent. Les médecins, eux, n’ont rien à voir. Ils ne connaissaient pas l’existence d’effets secondaires. Sauf moi ».
Sauf lui ? Retour sur les faits. Le Dr Jean-Michel Roué, installé depuis 25 ans à Brest, est un ami du Dr Yannick Jobic, cardiologue qui consulte au CHU de Brest. Un jour de septembre 2008, les deux hommes discutent. « Le Dr Jobic me parle du Mediator. Il me demande si j’en prescris, je lui dis que non. Je préfère faire marcher les gens », raconte le Dr Roué. Le Dr Jobic mentionne alors une étude qu’il mène avec le Dr Irène Frachon. Il parle d’un risque d’HTAP, et déconseille vivement à son confrère de prescrire du Mediator. Coïncidence, la visiteuse médicale de Servier passe le lendemain au cabinet du Dr Roué. Lorsqu’elle évoque le Mediator après avoir passé en revue les nouveautés, le généraliste l’interrompt illico. « Je lui dis que c’est un très mauvais produit et que je ne veux pas en entendre parler. » La VM indique au médecin qu’elle est en mesure de lui prouver le contraire. « J’ai dit que je voulais bien une réponse sûre, mais du sommet, pas du niveau régional, pour pouvoir prescrire sans hésitation », relate le Dr Roué.
Omission.
La réponse, postée de Neuilly-sur-Seine, arrive quelques semaines plus tard. L’auteur du courrier porte le titre de pharmacien information scientifique. « Mediator 150 mg présente une bonne sécurité d’emploi », est-il écrit en préambule. Le pharmacien rappelle que « dans le cadre du renouvellement quinquennal de l’autorisation de mise sur le marché, la commission d’AMM a rendu un avis favorable, en juin 2007, chez le diabétique avec surcharge pondérale ». Ce qui est exact. Et qu’« aucune mention concernant un risque d’hypertension artérielle pulmonaire n’est spécifiée dans la monographie de Mediator 150 mg ». Exact, là encore. Un rapport de l’AFSSAPS de mars 2006 est cité. « Sur les dix-sept notifications (dont deux doublons) rapportées, la Commission nationale de pharmacovigilance n’a retenu que deux cas d’HTAP idiopathique, soit "un cas notifié pour 55 346 666 boîtes de Mediator 150 mg vendues". L’incidence est donc qualifiée de "très faible" par la Commission nationale de pharmacovigilance et la conclusion du rapporteur de l’enquête est d’ailleurs que le nombre de cas d’HTAP idiopathique rapportés dans l’enquête ne constitue pas un signal significatif de toxicité de Mediator 150 mg dans la classe organe cardiovasculaire ». Et la conclusion : « Ces informations concourent à la bonne tolérance cardiopulmonaire de Mediator 150 mg ».
Le Dr Roué n’est pas convaincu par la démonstration. Il transmet le courrier au Dr Jobic, qui l’adresse à son tour au Dr Frachon. Laquelle verse cette pièce à son dossier. « Ce document a prouvé que Servier mentait, et a permis à Irène Frachon de gagner son procès contre Servier », affirme aujourd’hui le Dr Roué. Pour le généraliste, Biopharma ne lui a pas tout dit. Notamment, pas un mot sur la commission de pharmacovigilance qui s’est tenue le 27 mars 2007, et qui laissait paraître les inquiétudes des experts. « On m’a menti par omission », résume le Dr Roué.
Des dates discordantes.
Les faits se déroulent en 2008. Mais Servier savait la nocivité du Mediator dès 1995, affirme « le Monde » dans son édition du 13 mai. Le journal cite un rapport d’une filiale britannique de Servier, datant de 1993, et selon lequel le Mediator, une fois absorbé par l’organisme, se décompose en trois métabolites dont la norfenfluramine (le principe actif du Ponderal et de l’Isoméride), établie comme dangereuse en 1995. Servier retire alors du marché le Ponderal et l’Isoméride, reconnus responsables d’HTAP. Pas le Mediator, vendu jusqu’en 2009. Totale incompréhension du Dr Claude Leicher, président de MG-France : « Comment se fait-il que la commission octroyant les AMM n’ait pas vu quels étaient les métabolites du Mediator ? Ça veut dire quoi, que les expertises n’ont pas eu lieu ? Il y a là un problème majeur. Qu’on nous sorte le dossier de dépôt d’AMM, les expertises, et le dossier de pharmacovigilance. » Le Dr Leicher voit dans le courrier de Biopharma la preuve écrite d’une vaste tromperie. « On nous a caché la réalité des effets secondaires du Mediator jusqu’à la fin. »
Combien de médecins ont demandé à Servier des renseignements sur l’éventuelle nocivité du Mediator ? Quelle était la réponse du groupe ? Le laboratoire n’était pas en mesure de nous répondre vendredi. Également contacté, le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à Bordeaux 2, livre cet avis : « Servier ne pouvait ignorer la parenté entre le Mediator, l’Isoméride et le Ponderal. Le laboratoire fait une réponse habile dans ce courrier. Il y a eu plus de 100 cas d’HTAP avec l’Isoméride, le laboratoire devait se douter qu’il y aurait des cas avec le Mediator, si le métabolite était commun. L’incidence de cas d’HTAP est qualifiée de faible car elle repose sur un calcul inexact, sans tenir compte de la sous notification. Il n’y a pas de falsification de documents dans cette réponse. C’est un mensonge par omission. » Les médecins espèrent tenir leur ligne de défense : ils n’ont pas été correctement informés. Ni par l’AFSSAPS, ni par Servier.
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