NICOLAS SARKOZY avait battu le rappel, dans son premier grand discours sur le thème de la santé, à Bletterans, en septembre 2008. « Les maisons de santé sont l’ossature du système de santé de demain, le lieu idéal de la coopération entre professionnels. Elles améliorent la qualité des soins grâce à la collégialité. Il en faut davantage ! La France est en retard sur ses voisins européens dans l’organisation des soins de premier recours. » Après le temps des « pionniers » de l’exercice regroupé et du fonctionnement en équipe, il fallait, qu’on se le dise, changer de braquet.
La loi HPST, votée en juillet en 2009, a fixé le cadre : explicitation des soins de premiers recours, définition des maisons et pôles de santé, coopérations, protocoles, volets ambulatoires des SROS… En 2010, nouvelle impulsion : le gouvernement s’engage sur un programme visant à participer au financement de 250 maisons de santé pluriprofessionnelles en milieu rural sur la période 2010-2013. Dans les régions, l’effervescence est réelle : près d’un millier de projets plus ou moins aboutis d’exercice regroupé (130 en Rhône-Alpes, 80 dans le Nord-Pas-de-Calais...) ; plus de 300 équipes de soins de premier recours en train de se constituer ; 150 structures pluridisciplinaires déjà éligibles aux nouveaux modes de rémunération alternatifs au paiement à l’acte...
Mais de la loi au terrain, il y a un fossé. Sans aide, le « portage » des projets relève du parcours du combattant. Décidées par des élus, certaines structures mal conçues, implantées au mauvais endroit, ou sans projet de santé, se transforment rapidement en coquilles vides. Et les changements qui accompagnent cette révolution des soins ne vont pas de soi, comme l’a montré un colloque organisé à l’initiative de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) et qui vient de réunir 140 participants à Paris (médecins, infirmières, pharmaciens, ARS, sociétés de consultants, HAS, ministère, maires, collectivités locales…).
La SISA en renfort.
Les obstacles à l’exercice regroupé et à la structuration des équipes de soins de premier recours sont variés. Si le concept est attractif (et plébiscité par les jeunes), il y a des freins juridiques, des contraintes techniques. Le Dr Michel Serin, défricheur enthousiaste s’il en est, avec sa maison de santé de Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre), ouverte depuis 2005, cite le système d’information « balbutiant », le paiement à l’acte inadapté pour certaines tâches (coordination), le statut juridique du mode d’exercice regroupé qui, jusque-là, ne permettait pas de redistribuer certains financements forfaitaires aux différents professionnels. « On a fait les choses hors AMM », ironise ce médecin. La création dans la loi Fourcade du statut de « société interprofessionnelle de soins ambulatoires » (SISA) doit y remédier. La fragilité des montages financiers peut décourager. Nombre de porteurs de projet qui ont bénéficié jusque-là de budgets non pérennes ou expérimentaux déplorent le manque de visibilité budgétaire qui pèse sur les structures pluriprofessionnelles. Avec le sentiment d’essuyer les plâtres.
Autre épine : la difficulté pour chaque profession de santé libérale de trouver sa place dans cette fameuse équipe de soins primaires. Avant de parler de partage des tâches, il faut dissiper les malentendus. Annick Touba, présidente du Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL) le dit tout net. « Il manque une organisation dans ce monde libéral hypercloisonné où chacun a peur de ce que l’autre peut lui piquer. Les infirmières qui s’y risquent sont découragées car les projets sont managés par des médecins qui les considèrent comme des exécutantes de leurs prescriptions. Pas facile de faire comprendre aux généralistes qu’il faut d’abord se parler et savoir ce qu’on veut faire ensemble. » Pas en reste, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), prévient qu’il faudra dans tous les cas « raisonner avec les pharmaciens » (la profession vient de prendre du galon avec le décret sur le pharmacien correspondant) et s’appuyer sur le maillage officinal pour organiser les soins de premier recours. Cette requête vise tous les promoteurs de projets car le lieu d’implantation d’une maison ou d’un pôle est crucial. « Attention aux initiatives intempestives et incohérentes de certains élus locaux », souligne aussi Gilles Bonnefond.
Chacun s’accorde à dire qu’il faut d’abord un projet de santé concerté et un noyau de professionnels motivés. Et éviter la confusion des genres. « On a même vu un maire qui avait écrit lui-même le projet de santé », relève le Dr Pierre de Haas, président de la FFMPS.
Charte éthique et cahier des charges.
La multiplicité des intervenants institutionnels complique aussi le cheminement des projets d’exercice regroupé qui, dans certaines zones sensibles, relèvent du ministère de la Santé, de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), de la politique de la ville… « Il faudrait éviter que ce soit le parcours du combattant », plaide le Dr Marie-Hélène Certain. « Le partenariat avec les ARS, c’est pas simple ! », résume aussi le Dr Luc Duquesnel, médecin généraliste et élu de l’URPS Pays-de-la-Loire. La mise en place du guichet unique, qui sera une plate-forme internet d’appui aux professionnels (voir encadré), devrait améliorer les choses.
Tous ces obstacles n’empêchent pas la marmite de frémir à gros bouillons. Une certitude dans cette période de mutation : la plupart des professionnels libéraux ont besoin d’aide et d’accompagnement ciblé pour imaginer et concrétiser des projets de regroupement. Les ARS sont sur le pont. Des dizaines de sociétés de consultants, parfois montées par des médecins, ont flairé un juteux marché. « Certaines sont très sérieuses, d’autres vendent du vent », prévient le Dr De Haas. Les architectes sont appelés en renfort. La FFMPS de son côté prépare une charte éthique et un cahier des charges de l’accompagnement des équipes de soins de premier recours.
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