C’EST SON EXPÉRIENCE des expertises judiciaires qui a conduit le Dr Denis Vincent à créer un diplôme d’université sur l’erreur médicale, le premier en France. « J’ai assisté à des dizaines de mises en cause médicales et, systématiquement, les médecins sont très mal à l’aise », explique-t-il. « Même si leur comportement médical respecte les règles de l’art, ou qu’un seul mot de trop a provoqué le procès ! » Car l’erreur conduisant au contentieux n’est pas univoque. Mais le Pr Vincent entend apporter des arguments aux professionnels dans leur gestion et prévention de l’erreur entendue au sens large, comme « tout ce qui conduit à une mise en cause ».
À commencer par les relations entre les praticiens, et le patient et sa famille. « De nombreux contentieux sont déclenchés par des problèmes de communication, au-delà même de l’erreur médicale intrinsèque, type mauvaise posologie, médicament inadapté, ou diagnostic erroné. » Il a ainsi eu à expertiser le cas d’un excellent chirurgien, « très exigeant à l’égard de lui-même et de son travail », qui devait soigner un cancer du poumon. En pleine opération, le professionnel se heurte à des circonstances qui ne pouvaient être anticipées lors des examens préalables et en vient à couper une veine. Il tire momentanément d’affaire son patient, mais l’acte se révèle deux fois plus long et lourd que prévu. « Exténué, stressé, il sort du bloc, et confie à la famille avoir fait une erreur », rapporte le Pr Vincent. Le patient décède après plusieurs mois de réanimation, du fait exclusif de sa maladie. Mais le contentieux naît du fait que la famille lie « l’erreur auto-déclarée » et le décès ultérieur. « Mon expertise a consisté à faire dire au médecin ce qui s’était réellement passé lors de l’opération : la famille et son avocat l’ont in fine remercié, après avoir compris qu’il n’était pas directement responsable du décès ». Un lien qu’ils n’auraient d’emblée pas « établi » si le chirurgien n’avait eu « ce mot de trop ».
Pour le Pr Vincent, ces genres de mises en cause peuvent être anticipés et évités. « Le médecin ne doit pas entrer dans la chambre d’un patient sans dire bonjour ou éluder toutes explications à la famille, nous traitons des êtres humains, pas des organes ». Un « petit geste » aurait ainsi pu éviter à tel autre médecin de se voir traduit en justice, car la famille avait lié le décès de son patient, pourtant dû à une infection foudroyante survenue trois semaines après sa sortie de l’hôpital, à sa prétendue indifférence. Pendant ces trois semaines, le malade avait attendu une visite, ne serait-ce que de courtoisie, du praticien.
Pour le reste des problèmes, qui ont trait davantage à des erreurs médicales de prise en charge, l’humilité doit rester le maître mot. « Il faut savoir se remettre en cause et reconnaître son erreur », explique le Pr Vincent, qui se dit « stupéfait » de l’attitude de certains médecins. Par exemple ceux d’un centre antidouleur, qui se sont vus adresser un patient pour une douleur à l’épaule, diagnostic qu’ils n’ont pas remis en question. En réalité, la personne souffrait d’un cancer au poumon qui avait attaqué nerfs et os. La mauvaise foi et l’approche purement financière des patients sont réelles mais peu fréquentes, selon l’expert.
Le tabou de l’erreur.
Prenant acte des leçons de son expérience, et de celle d’une avocate, Me Bou, également sollicitée par plusieurs médecins, le Pr Vincent a ainsi articulé le diplôme universitaire autour de deux axes. L’enseignement, dispensé par des magistrats de Paris, Lyon, ou Nîmes de l’Ordre civil et administratif, également impliqués dans les Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI), comporte une partie théorique avec explication des structures et rouages judiciaires que les médecins ont à affronter lors de leur mise en cause. Mais toute son originalité réside dans la prévention : des jeux de rôle permettent aux étudiants de prendre tour à tour la place du patient, du magistrat ou du professionnel de santé. « Grâce à cette mise en condition, les médecins prennent conscience du poids de leur parole, et de la nécessité de l’humilité, ils apprennent à discuter avec les familles, à répondre à leurs inquiétudes, et à reconnaître leur erreur », argumente le Pr Vincent. Des réflexes qui ne sont pas toujours assez ancrés, observe l’expert. « C’est comme si les médecins ne voulaient pas parler de l’erreur, qui serait un sujet tabou. Or il ne s’agit en aucun cas de désacraliser notre fonction, continue-t-il, mais de savoir que cela peut arriver à tout le monde, dans tous les services. Et que nous pouvons minimiser notre risque d’erreur. »
DIU à partir du 3 février 2012, formation par sessions jusqu’en juin, soutenance d’un mémoire en décembre. Inscriptions jusqu’à l’automne. Contact : Denis Vincent, tél. 04.66.68.45.32.
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