DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
IL Y A DIX ANS à peine, 5 médecins généralistes exerçaient à Belle-Ile. De la vieille école, de ceux qui jugeaient normal d’être de garde plus d’une fois par semaine. « J’étais de garde jour et nuit », se souvient le Dr Pierre-Yves Désard, généraliste à la retraite et maire de Bangor, l’une des communes de l’île.
Mais la donne a changé en 2010 quand deux médecins sont partis à la retraite. « Ils ont eu deux successeurs, précise le Dr Jean-Luc Dallenne, généraliste à Palais, la principale commune de l’île, mais le premier n’a tenu que trois mois et le deuxième est parti fin 2011 ». À la même époque, le Dr Pierre Vautier, âgé de 62 ans, se fait exempter de gardes par l’Ordre des médecins, à la suite d’une mésentente avec les deux autres généralistes de l’île.
Début 2012, il ne reste donc plus que deux médecins pour assurer les gardes à Belle-Ile en Mer, ce territoire de 17 km de long sur 7 de large, qui compte 5 120 habitants l’hiver et jusqu’à 35 000 pendant la saison estivale. Une situation intenable, d’autant que dès avril, les bateaux en provenance de Quiberon commencent à déverser leur flot quotidien de touristes. L’ARS prend la mesure de la situation et consulte. De son côté, le Dr Éric Henry, médecin généraliste à Auray sur la côte morbihannaise, membre de l’URPS et responsable régional du SML, dispose dans ses cartons du projet du médecin volant, dont il a fait l’un de ses chevaux de bataille. Face à l’urgence, il convainc l’Agence et l’URPS d’adopter son dispositif.
Un accueil mitigé de la population.
Une convention est adoptée en avril. Elle prévoit qu’en échange d’une rémunération de 1 050 euros par jour de présence, des médecins continentaux ou insulaires assureront des vacations de 24 heures à Belle-Ile. Postés au Centre hospitalier de Palais, ils y assureront la permanence des soins ambulatoire, une participation à l’aide médicale urgente (AMU) et à la continuité des soins non programmés. En plus de la rémunération de 1 050 euros, les praticiens percevront les honoraires des patients examinés dans le cadre de la PDS. Cette convention, qualifiée dans son objet de « dispositif de nature exceptionnelle », s’applique depuis 15 avril jusqu’au 15 octobre 2012.
De tels émoluments, même s’il s’agit d’honoraires, ne laissent personne indifférent quand on sait qu’une astreinte de 24 heures est rémunérée habituellement 150 euros. « La population de Belle-Ile est assez remontée contre ces médecins qui viennent empocher 1 000 euros par jour », commente le Dr Désard. Certains habitants de l’île, à en croire un restaurateur de Palais, « vivent mal le fait de subir les franchises et les déremboursements, pendant que des médecins perçoivent plus de 1 000 euros pour une journée de travail ». Quelques médecins effectuent beaucoup de tours de garde. Le Dr Henry, père du dispositif, assurera à lui tout seul 29 vacations d’ici au 15 octobre, et ses trois médecins remplaçants 54. Quant aux deux médecins de l’île, les Drs Dallenne et Taane, ils assureront respectivement 32 et 27 vacations entre le 15 avril et le 15 octobre.
43,75 euros de l’heure.
Les médecins concernés défendent le dispositif. « Divisée par 24 heures, cette rémunération correspond à 43,75 euros de l’heure, et ce sont des honoraires, pas un salaire », calcule le Dr Annaïck Fouquet entre deux consultations au Centre hospitalier où elle effectue sa vacation. Elle juge que « les patients comprennent l’intérêt du dispositif », et que, compte tenu de la particularité insulaire du lieu, « c’est une expérience à pérenniser ». De son côté, le Dr Dallenne assure que s’il participe bien à ces vacations depuis le mois d’avril, il n’a pas encore « touché un centime de l’ARS depuis lors ». Et il contre-attaque : « si le service public assumait son rôle en recrutant des praticiens hospitaliers à temps plein ou partiel, on n’aurait pas ces problèmes. Est-ce à nous d’assurer toutes ces missions de service public à Belle-Ile ? » En revanche le Dr Vautier, qui ne participe pas à ce tour de garde, pointe les failles du dispositif : « Étant donné que certains de ces médecins ne sont pas coutumiers de la prise en charge des urgences, ils se protègent en prescrivant des examens complémentaires. Cela engendre d’autres surcoûts, comme des frais d’ambulance ou d’hélicoptère ». S’il admet que le dispositif a le mérite de régler un problème urgent, il juge que « la solution, c’est de mettre en place une maison de santé pluridisciplinaire dans les murs du Centre hospitalier, fonctionnant avec des médecins libéraux ou salariés ». Le Dr Vautier a déjà pour sa part installé son cabinet libéral dans l’enceinte de l’établissement. Jean-Yves Blandel, directeur du Centre hospitalier, abonde dans son sens. « Dans l’hôpital, il y a de quoi installer sans problème 5 cabinets libéraux, ils pourraient en plus bénéficier du plateau technique dont nous disposons ».
Situation exceptionnelle.
À l’ARS, Pierre Le Ray, directeur de la délégation territoriale du Morbihan, défend le dispositif, mais rappelle qu’il constitue une réponse à une situation exceptionnelle. « Ce coût n’affecte pas l’ONDAM, précise-t-il, il s’agit d’un redéploiement d’enveloppes existantes ». Pour lui, il n’est cependant pas question de pérenniser le dispositif : « Nous réfléchissons à une autre forme de PDS sur Belle-Ile en nous appuyant sur l’hôpital. Si nous pouvions disposer de praticiens hospitaliers, même à temps partiel, cela nous permettrait de stabiliser l’offre de soins ». En attendant, il assure que l’ARS « encouragera les médecins libéraux de l’île à installer leur cabinet dans l’enceinte de l’hôpital », mais reconnaît que pour la PDS estivale, insularité oblige, « Belle-Ile aura toujours besoin d’une organisation dépassant ses moyens habituels ».
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