Catherine Deroche, sénatrice UMP (Maine-et-Loire) et médecin cancérologue, n’a jamais vu d’un bon œil l’avalanche de propositions de taxes comportementales à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Yves Daudigny, sénateur PS (Aisne) et président de la MECSS, a été celui qui présenta en 2012 l’amendement visant à introduire une taxe sur l’huile de palme, surnommée « taxe nutella ». Ensemble, ils ont mis les mains dans le vaste cambouis qu’est la « fiscalité comportementale », « mal connue, mal comprise et mal nommée ».
Est-il légitime de mettre l’outil fiscal au service de la santé publique ? À cette question, les sénateurs répondent oui. Mais pas n’importe comment.
Aujourd’hui règnent la confusion et l’incohérence. L’impact sanitaire passe loin derrière les considérations de rendements. Dans le tabac, au-delà de la faible augmentation des taxes, les fabricants restent maîtres du rythme d’augmentation du prix de leurs produits. En nutrition, les huiles sont très inégalement taxées et ceci indépendamment de leurs qualités, la plus imposée étant l’huile d’olive. Les sodas contenant de l’aspartame - pourtant moins nocifs - sont imposés au même niveau que ceux contenant du sucre. Cette première incohérence est doublée d’une seconde : tous les sodas bénéficient de la TVA réduite (5,5 %). Seulement 4 catégories d’aliments sont taxées à 20 % : les confiseries, les chocolats, les margarines et graisses végétales et le caviar, pour des raisons disparates (produits de luxe, soutien à la filière laitière). Quant à l’alcool, les taxes se juxtaposent sans autre cohérence que le cours de l’histoire.
Responsabiliser le consommateur
La mission a dénombré 11 taxes comportementales, correspondant à un produit fiscal de 14,3 milliards d’euros pour 2014. Soit à peine plus de 3 % des recettes de l’ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale. Leur efficacité (quel impact ont-elles eu sur le prix, l’achat, et la santé publique) n’est pas évaluée. Parfois le bruit médiatique autour d’une taxe pourtant abandonnée (comme la « taxe nutella ») suffit à influencer les comportements.
Les sénateurs proposent d’abandonner le concept de fiscalité comportementale, culpabilisant, au profit d’une contribution de santé publique, qui n’aurait pas vocation à se pérenniser. « Cette contribution concernerait des produits qui ont un lien avec la santé publique. Plutôt que de définir des seuils pour le sel, le sucre, l’alcool, l’huile... il s’agit de responsabiliser le consommateur en lui demandant de participer à des mesures sanitaires », explique le rapporteur Yves Daudigny, en soulignant combien il est délicat de taxer l’abus.
Repenser les messages sanitaires
Concrètement, la mission recommande en matière de nutrition d’harmoniser les taux de taxe applicables aux huiles végétales, d’actualiser la liste des aliments bénéficiant de taux de TVA « réduit » en tenant compte de leurs caractéristiques nutritionnelles et de repenser les messages sanitaires de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) (« Manger 5 fruits et légumes par jours, manger bouger ») après évaluation. « L’intention était bonne, mais elle crée de la confusion : un yaourt aux fruits est systématiquement associé à un effet bénéfique, tandis que les aliments plaisir deviennent source de culpabilité », explique Yves Daudigny.
Les sénateurs insistent aussi sur l’importance de ne pas taxer autant les produits de substitution. « Nous ne sommes pas favorables à la taxation de la cigarette électronique - tout en exigeant des contrôles sur la qualité - ni à celle des boissons édulcorées » déclare Catherine Deroche.
Tabac, une hausse de 10 % sur 5 ans
Quant au tabac, pour lequel la problématique de l’abus ne se pose pas, la mission suggère une augmentation de la fiscalité de 10 % sur 5 ans, hausse qui devrait être dissuasive, tout en laissant le temps aux consommateurs d’adapter leurs comportements. La politique d’aide au sevrage devrait être renforcée et la fiscalité du tabac à rouler alignée sur celle des cigarettes.
Les sénateurs connaissent les arguments qui pourraient leur être opposés. Quelque 20 % du tabac en métropole, entre contrebande et achat à l’étranger, n’est pas soumis à la fiscalité française. Les ménages les plus défavorisés risquent d’être pénalisés. « Cela ne doit pas pour autant bloquer les efforts que nous devons mener en terme de santé », assure Daudigny.
Et de souligner que la fiscalité ne peut être qu’un élément dans une politique de prévention globale. Le prochain plan de réduction du tabagisme et la future loi de santé publique seront les prochaines fenêtres de tir. Surtout pas le PLFSS 2015.
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