LE QUOTIDIEN : Depuis le 14 mars, la quasi-totalité des mesures de restrictions liées à l'épidémie de Covid ont été levées, malgré un rebond épidémique. N'était-ce pas prématuré ?
OLIVIER VÉRAN : Non, c'est fondé sur les données de la science. Le rebond a d'ailleurs commencé avant même la levée du passe vaccinale et de l'obligation du port du masque. Le phénomène est lié pour partie à un relâchement collectif, comme après chaque grosse vague, pour partie au brassage des vacances puis à la rentrée scolaire et pour partie au variant BA.2, un peu plus contagieux. Selon l'Institut Pasteur, l'épidémie va monter jusqu'à fin mars, avec, selon toute vraisemblance, 150 000 cas par jour environ, avant de diminuer.
Mais l'impact hospitalier devrait être contenu. Et l'objectif, c'est de protéger les plus fragiles : en les incitant à continuer de porter le masque et en invitant les personnes âgées de 80 ans et plus à recevoir une 2e dose de rappel. La France est capable de vacciner sans délai ces 3 millions de personnes. Et les primo-injections continuent chez les enfants et les adultes.
Concernant les anticorps monoclonaux et les antiviraux, 17 000 Français ont été traités en préexposition par Evusheld, que la France est la première au monde à avoir mis à disposition. En curatif, plus de 3 000 Français ont reçu du Paxlovid. Les prescriptions pourraient être plus nombreuses, il est possible de gagner encore en mobilisation des professionnels de santé.
Pour la prise en charge du Covid long, où en est-on de la structuration des soins ?
L'objectif est d'avoir accès, partout sur le territoire national, à une filière de diagnostic, de prise en charge, d'accompagnement médico-social. Environ 70 000 Français à date gardent des symptômes persistants et potentiellement invalidants. Depuis la première heure, nous structurons des réseaux de prise en charge pluridisciplinaires et déployons des programmes de recherche et des suivis de cohortes. Plus de 4 000 Français disposent d'une ALD à la suite d'un dépôt de dossier à l'Assurance-maladie, 95 % des demandes sont acceptées.
Cette crise inédite a, en même temps, permis une accélération de certains chantiers et a mis d’autres réformes en pause. Quels sont les deux exemples que vous retenez ?
Deux ce n’est pas assez ! Le grand chantier qui a été accéléré c’est celui du Ségur. C’est un investissement sans précédent : 19 milliards d’euros pour moderniser ou reconstruire 3 000 hôpitaux et Ehpad, plus de 10 milliards par an de hausses de salaires, une gouvernance remédicalisée à l'hôpital… Cet effort de la nation a évidemment été rendu encore plus nécessaire par la crise sanitaire. On a aussi fait un bond de géant en matière de télésanté avec une multiplication par 100 des téléconsultations en l’espace de quelques semaines.
Concernant les chantiers retardés, si je ne devais en citer qu’un, je dirais la santé environnementale. C’est pourquoi dans le cadre de l’Union de la santé européenne, il est prévu de mettre le paquet sur « One Health », pour faire le lien entre santé humaine, animale et environnementale.
Qu’est-ce que la crise du Covid dit de l’hôpital public ?
Que l’hôpital est fort, moderne et extrêmement flexible, à l’encontre de toutes les idées reçues. L’hôpital a réussi à faire, en quelques jours, des choses absolument incroyables : démultiplier les services d’accueil aux urgences, tripler les lits de soins critiques, transformer les blocs opératoires, recruter massivement du personnel… Ce qui ne trompe pas, c’est qu’à chaque fois qu’une vague commençait, j’avais le droit pendant 15 jours dans la presse à « l’hôpital ne tiendra pas ». À chaque fois, l’hôpital a tenu. Vous n’avez pas eu en France des scènes avec des patients sous oxygène dans leurs voitures, comme ce fut le cas hélas proche de chez nous.
Beaucoup d'hospitaliers parlent de la période, où on leur a laissé les coudées franches pour s’organiser, comme d’une parenthèse enchantée. Que faut-il en retenir ?
Ce qui a changé c’est que directeurs, médecins, paramédicaux, travaillaient tous dans la même direction, avec le même objectif : sauver des malades. Les directeurs étaient totalement attentifs aux besoins exprimés par les médecins, sans guerre de chapelle, sans bisbilles de gouvernance. Ça a permis à chacun de retrouver du sens. C’est vrai que désormais il pourrait être tentant que se réinstalle une forme de bipartisme, avec d’un côté la direction, de l’autre le corps soignant. C’est pour cela que nous avons saisi la balle au bond avec le Ségur, en leur donnant des outils pour établir plus librement des règles de fonctionnement collectif à l'échelle de chaque établissement et retrouver ce sens.
Il n’y aura pas eu de grande loi sur l’autonomie durant ce quinquennat en dépit des alertes répétées. Pensez-vous qu’il soit possible de lancer une telle réforme dans les 100 premiers jours du prochain quinquennat ?
D’abord, je ne partage pas l’idée qu’il n’y aurait pas eu de grand moment pour l’autonomie dans le mandat. La création de la 5e branche – 2,5 milliards d’euros par an en plus à compter de 2024 – ça n'a jamais été fait ! Ensuite, nous avons fait le choix de la rapidité et de l’efficacité en passant, non pas par une loi ad hoc, mais par la loi de financement de la Sécurité sociale. Nous avons revalorisé les aides à domicile, augmenté de 10 % le personnel dans les Ehpad et renforcé la gouvernance médicale dans les Ehpad. Et puis, nous avons budgété de quoi dépenser davantage pour l’autonomie dans les années à venir. Néanmoins, il reste encore évidemment des étapes à franchir et Emmanuel Macron a d'ailleurs fait de l'autonomie et du virage domiciliaire une priorité de son programme.
Force est de constater que l'on est encore loin du compte de la « révolution de la prévention » promise en 2017. Quel bilan tirez-vous de l'action du gouvernement ?
Service sanitaire pour 200 000 étudiants, vaccination obligatoire des nourrissons, NutriScore, paquet de tabac à 10 euros, dépistage du VIH gratuit sans ordonnance, Prep en ville, consultation pré et postnatales, contraception gratuite jusqu'à 25 ans… Le gouvernement a fait énormément en politique de prévention et a donné une tonalité nouvelle. Mais le Covid est venu percuter un certain nombre d'objectifs et il nous faut redoubler d'efforts en sortie de crise.
Le poids des lobbies est pointé du doigt comme un frein à la prévention, notamment pour l'alcool avec le Dry January ou les AOP pour le NutriScore. Qu'en pensez-vous ?
Comme député et comme ministre, j'ai porté la taxe sur les sodas, le NutriScore, l'interdiction des mannequins trop maigres dans le monde de la mode, le paquet de tabac neutre, puis le paquet à 10 euros… Dans les faits, on avance. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas écouter les acteurs commerciaux. Mais en définitive, c'est au politique de trancher. Et c'est toujours le choix de la santé publique qui est fait. Pour le Dry January, son impact fait encore débat dans la communauté scientifique. Chacun doit être libre de le respecter, même sans avis estampillé du ministère.
Pour la santé mentale, malgré la feuille de route de 2018 et les mesures après les Assises, les carences structurelles restent très présentes. Comment remédier à la crise d'attractivité en psychiatrie ?
Au 5 avril, tous les Français pourront accéder à huit séances de psychologues remboursées. Cette mesure indispensable est une première dans notre pays et un effort budgétaire conséquent. Et à travers le Ségur, les centres médico-psychologiques (CMP) et hôpitaux psychiatriques ont été renforcés.
Les psychiatres ne font pas exception au constat du manque de médecins dans le pays. Outre un effort de formation, il faut pouvoir repenser les conditions d'exercice afin de permettre aux psychiatres et aux pédopsychiatres de s'inscrire dans un exercice dans la durée. Le turnover est important, c'est un métier difficile et complexe, soumis à de fortes tensions et qu'il faut pouvoir accompagner. Lors des Assises de la santé mentale, les professionnels nous ont dit qu'ils attendaient ce moment depuis 30 ans. Donc, un peu de patience pour que toutes les mesures soient opérationnelles.
Il y a eu le Ségur pour l’hôpital, rien pour la ville. Certains syndicalistes vous reprochent d’être parfois trop hospitalo-centré. Le virage ambulatoire est-il toujours d’actualité ?
Oui, il va se poursuivre. D’abord, les libéraux ont signé l’avenant conventionnel – ça n’a pas toujours été le cas – et il y a des revalorisations conséquentes. Nous avons fait beaucoup quand même pour les libéraux : les CPTS ont été déployées à très grande vitesse – plus de 600 –, la création de plus de 2000 postes d’assistants médicaux, mais aussi la revalorisation de la permanence des soins, attendue depuis un moment par les syndicats. Ce n’est pas un solde de tout compte ! La convention sera révisée et il y aura de l’argent sur la table évidemment.
Pour la suite, nous voulons organiser une « convention des parties prenantes », des temps d’échange incluant l’ensemble des professionnels de ville, de l’hôpital, les représentants d’usagers et les collectivités. Il est nécessaire de passer par là pour écouter ce qu’ils ont à nous dire, surtout en sortie de crise, et que l’on puisse ensuite orienter les politiques pour renforcer la continuité des soins, les permanences de soins en ville et à l’hôpital, et répondre aux attentes des professionnels.
Valérie Pécresse propose de porter la consultation du généraliste à 30 euros. Faut-il revaloriser les médecins libéraux selon vous ?
Je ne crois pas que la revalorisation du C soit l'alpha et l'oméga des attentes des professionnels de terrain. Dans le cadre d'un exercice plus coordonné, les demandes portent davantage sur la reconnaissance de la difficulté de certaines missions, plutôt qu’une revalorisation, par principe. C’est d’ailleurs le mouvement que nous avons entamé depuis quelques années, et qu’il nous semble falloir poursuivre.
Va-t-on s’orienter plutôt vers des rémunérations au forfait ?
Tout dépend de la densité médicale. En situation de pénurie, la consultation à l’acte est aussi la garantie d’une offre de soins plus importante. À l’inverse, lorsque la densité en médecin est suffisante, la notion de dotation populationnelle peut s’entendre. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas penser l’avenir, mais aujourd’hui nous sommes plutôt en train de gérer la pénurie de médecins et de les aider à exercer dans de bonnes conditions, pour ne pas qu'ils échouent sur l’écueil de la lassitude à l’instar de certains de leurs aînés.
Ces dernières semaines, vous vous êtes montré très offensif sur un nouveau partage des missions entre les différentes professions. Comment est-ce que vous imaginez faire bouger les lignes sur les délégations de tâches et l’accès direct ?
Je crois profondément que la France a pris beaucoup de retard sur les pratiques avancées. Quand je reçois les syndicats d’infirmiers, de pharmaciens, de kinés, de médecins, ils veulent travailler davantage en coopération. Je vois de plus en plus de médecins qui aimeraient exercer avec une IPA pour simplifier leur quotidien. On a permis aux pharmaciens de renouveler les ordonnances, nous expérimentons l’accès direct aux kinés et aux orthophonistes : c’est aussi un mouvement porté par la pénurie et qui permet de répondre aux besoins de médecins.
Je ne veux pas qu’on braque, qu’on brusque, qu’on fasse peur aux médecins. Il faut pouvoir expliquer que ces évolutions vont dans le bon sens de l'exercice. Je n’ai pas forcément compris qu’une partie de la profession se porte en faux contre la primo-prescription, sous conditions, d'orthoptistes dûment diplômés. Je n’ai pas compris non plus qu’il y ait une partie des représentants du corps médical qui s’offusque qu’on permette à des pharmaciens de faire des renouvellements d'ordonnances. Il ne faut pas avoir peur, il faut qu’on avance, il y a du travail pour tout le monde. Il y a même trop de travail.
En 2019, le budget de la Sécurité sociale était quasiment à l’équilibre. La reprise d’une partie de la dette hospitalière et les investissements massifs du Ségur n’ont-ils pas fait la démonstration que les budgets des 10 dernières années relevaient en fait de l’austérité ? Est-ce que le retour à l’équilibre des comptes de la Sécu a encore un sens aujourd’hui ?
La Sécurité sociale paye ses dettes. En 2019, nous avions quasiment comblé la dette, héritée de la crise bancaire et économique de 2008. Et nous l'avons remboursée à bon rythme. Être à l’équilibre, c’est avoir une Sécurité sociale capable de s’endetter lourdement, brutalement, quand il le faut. Nous n’aurions pas pu dépenser les 34 milliards d’euros liés à la crise Covid si nous n’avions pas un organisme solide, qui rembourse ses dettes. Il faut désormais que nous préparions une trajectoire de retour à l’équilibre, qui passera notamment par la réforme des retraites.
Vous avez été « le ministre du Covid » : quel est votre pire souvenir ?
Je peux vous parler d’un souvenir intense. C’était dans ce bureau, il y a deux ans, à quelques heures de l’allocution du président qui allait annoncer le confinement généralisé, et quand j’ai appelé mes enfants. Ce sont des difficultés personnelles. Dans ma mission, j’ai toujours affronté les épreuves – elles ont été nombreuses – avec résilience et sans me plaindre, car être à la tête de ce ministère dans une période comme celle-ci, c’est l’assurance d’avoir, certes des journées bien remplies, mais surtout des responsabilités qu’il me faut honorer. Je ne suis pas rincé du tout, je suis encore très en forme.
Faut-il être médecin pour être ministre de la Santé, selon vous ?
En tout cas, je pense qu’avoir été médecin et ministre pendant cette crise sanitaire n’a pas été un handicap, au contraire.
Seriez-vous prêt à repartir pour cinq ans à la tête de la Santé ?
Ce n’est pas à moi d’en décider. Je soutiens le président et je serai à ses côtés quel que soit le rôle qui sera le mien, c’est certain. Est-ce que je suis lassé d'être à la tête du ministère de la Santé ? La réponse est non.
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