Courrier des lecteurs

MyPeBs, une étude qui pose question

Publié le 12/03/2020

MyPeBs pour « My Personal Breast Screening » (cf. entretien avec le Dr Suzette Delaloge, dans « Le Quotidien » du 24 février 2020 ) est une étude internationale randomisée qui compare un dépistage personnalisé stratifié du cancer du sein à risque au dépistage standard actuel. Elle devrait inclure 85 000 femmes en France, en Belgique, en Italie, en Israël et au Royaume-Uni pendant 6 ans. L’efficacité de la mammographie systématique, ou dépistage organisé du cancer du sein chez les femmes de 40 ou 50 ans et plus, est controversée, car les preuves de son efficacité sont contestées. Dans ce contexte, l’étude d’un dépistage personnalisé basé sur les facteurs de risque personnels de chaque femme peut être un projet intéressant. Cependant, pour juger de son efficacité, il faudrait faire la comparaison entre dépistage et absence de dépistage, et avec une bonne méthodologie. Or l’étude soulève plusieurs questions.

Les promoteurs de l’étude considèrent que les bénéfices du dépistage du cancer du sein sont solidement établis, alors que de plus en plus de publications indépendantes et récentes peinent à y trouver une efficacité. La controverse sur l’efficience du dépistage n’est donc pas prise en compte. MyPeBs représente donc une occasion manquée : la possibilité de fournir la réponse, avec les données actuelles, à la question « le dépistage planifié devrait-il être poursuivi, adapté en fonction du risque ou stoppé » ? Pour ce faire, il aurait fallu inclure au minimum un groupe sans dépistage. Avec MyPeBs, il ne sera pas possible d’estimer le taux de surdiagnostic, un des problèmes majeurs du dépistage, à savoir des cancers inutilement détectés, car sans danger pour la santé des femmes. Des femmes en bonne santé sont directement touchées par le surdiagnostic, les surtraitements contre le cancer qui en découlent peuvent être très toxiques ou entraîner un préjudice permanent.

Une méthodologie laxiste et des informations partielles

Selon l’étude, le taux de cancers graves (dits de stade 2 et plus) sera mesuré dans chaque groupe. Rappelons que le but d’un programme de dépistage est de réduire le taux de cancers avancés. Les deux groupes seront statistiquement comparés. Mais la méthode de comparaison cache une énorme surprise. Selon les promoteurs de l’étude Mypebs, dans le groupe dépistage habituel, on pense trouver 480 nouveaux cas de tumeurs graves pour 100 000 femmes au bout de 4 ans. Si, pour le groupe « nouveau dépistage basé sur le risque individuel » le taux des cancers graves trouvés est supérieur mais sans dépasser 600 cas pour 100 000 femmes, alors les deux groupes seront déclarés équivalents.

Cela signifie que si le taux de cancers graves dans le nouveau dépistage est augmenté, mais de moins de 25 % par rapport au dépistage actuel, l’étude sera considérée comme un succès, et les chercheurs diront que les nouvelles méthodes de dépistage sont « aussi efficaces » que les anciennes. En d’autres termes, 25 % de cancers graves en plus, c'est égal à rien !

L'étude calculera le risque de cancer du sein à partir de l’âge, des antécédents personnels et familiaux, de la densité mammaire et de tests génétiques. Outre que ce logiciel de calcul du risque n'a pas de validation scientifique, les femmes ne présentant qu'un faible risque devraient avoir moins de mammographies. Mais ce sous-groupe de femmes à faible risque comprendra très peu de femmes, et toutes les autres seront réparties dans des sous-groupes à plus haut risque, elles se verront davantage examinées par mammographies. Pour ces femmes, et ce avant 50 ans, cela augmentera les problèmes de radiotoxicité.

Les informations contenues dans le livret de consentement pour les participantes sont insuffisantes. Il n’y a pas d'explication du surtraitement ni du surdiagnostic, qui sont les risques majeurs du dépistage.

L’étude de l’intérêt du dépistage stratifié sur les facteurs de risque peut sembler utile, mais pas de façon aléatoire et certainement pas dans le but principal de promouvoir le dépistage par mammographie. Cette intention est clairement mentionnée dans la déclaration du Dr Balleyguier, page 14 du dossier de presse : « MyPeBs encouragera probablement plus de femmes à participer aux programmes nationaux de dépistage. » Les participants reçoivent des informations partielles sur la réduction de la mortalité attribuable au dépistage, et les conflits d’intérêts possibles des auteurs du protocole ne sont pas mentionnés.

Des enjeux économiques et des objections éthiques

Il serait plus judicieux de consacrer les dépenses à la promotion de la prévention des cancers plutôt que de financer cette étude ; même si une supériorité d’un dépistage personnel pouvait être démontrée sur la fréquence des cancers graves, on ignorera quel est le bénéfice pour les femmes en termes d’espérance de vie ou d’années de vie ajustées en fonction de la qualité de vie (QALY).

Le groupe belge le GRAS, les épidémiologistes et scientifiques italiens du groupe NoGrazie, le groupe français Cancer Rose et le groupe britannique Charity HealthWatch alertent sur cet essai, qui sous des allures de recherche innovante n'est que marketing sans intérêt scientifique pour les femmes. De plus, avec un âge de début des participantes à 40 ans, alors qu’il n’y a aucune preuve de l'intérêt pour cette classe d’âge, en utilisant des tests génétiques, sans support scientifique, en utilisant davantage d’imagerie par IRM pour les femmes à « haut risque » et la mammographie 3D, l'étude Mypebs encourage le marketing technologique et favorise le surdiagnostic, dommage que nous devrions chercher à réduire pour des raisons éthiques.

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Dr Cécile Bour, Présidente de Cancer rose

Source : Le Quotidien du médecin