Dépasser le temps de la novlangue en santé

Publié le 16/12/2022
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PAR LE DR MATTHIEU CALAFIORE - Qu'on soit décideurs ou acteurs de santé, chacun voit midi à sa porte. Quitte à enjoliver un peu la place occupée par chacun dans le système de santé. Nos décideurs masquent aussi volontiers irrésolution et absence de courage politique. Florilège de phrases toutes faites dont la principale finalité vise à se défausser sur les autres – patients ou soignants — de toute responsabilité.

Crédit photo : DR

Nous voyons toutes et tous le monde à travers nos yeux et l’interprétons à l’image de ce que nous pensons en connaître. Une forme de prisme qui nous fait appréhender la réalité en la transformant à notre guise, pour la rendre plus belle ou plus acceptable.

C’est ainsi que sur les réseaux sociaux, vous trouverez toujours des soignants irréprochables, respectant à la lettre les recommandations quelles qu’elles soient, étant toujours d’humeur égale, à l’écoute de leurs patients, dans une neutralité bienveillante en deux heures de consultation avec chaque patient.

Depuis le médecin généraliste qui jurera mordicus être toujours disponible, avec la même énergie et la même attention à 8 heures du matin comme à 21 heures, jusqu'à l’IPA qui dira que sa profession est la seule à pouvoir prendre en soin correctement les patients, en passant par l’IDE qui concédera faire plus que ses prérogatives en allant chercher les médicaments en pharmacie de ses patients, le pharmacien qui se posera en garant de la bonne prescription d’antibiotiques, ou le kiné qui racontera comment il a réussi à sauver un patient de ses douleurs chroniques.

Que ce soit vrai ou non, la nature humaine est ainsi faite qu’elle nous pousse à mettre en avant nos bonnes actions, nos bons jours et à laisser croire que nous n’en connaissons jamais de mauvais.

Et nos décideurs de surenchérir, en cette période de réforme du système de santé, en tentant de brosser toutes les professions dans le sens du poil, mais individuellement. Cela permet plus facilement de leur suggérer que le problème ne viendrait pas d’eux mais de la profession de santé avec qui ils travaillent. Nouvelle illustration du biais de l’illusion de l’unique invulnérabilité, nous forçant à croire, à la façon de Sartre, que « l’enfer, c’est les autres ».

Communication habile sur les masques

Le tout, à grands coups de novlangue utilisée comme tour de magie d’un illusionniste. C’est ainsi que certains avancent que leur « bras ne tremblera pas » quand il est question d’imposer à nouveau les masques dans les transports en commun. Alors que vu la flambée épidémique, que le bras tremble ou non importe peu, tant que la décision est prise.

D’autres, ajouteront qu’ils considèrent « que chacun dispose du niveau de connaissance suffisant » concernant les masques, transférant donc la responsabilité de la protection de son prochain sur les seules épaules de nos concitoyens. Novlangue habile, permettant une stratégie du gagnant-gagnant : si les Français mettent le masque alors « nous avons eu raison de leur faire confiance » et s’ils ne le mettent pas « notre message était pourtant clair mais n’a pas été suivi ».

Cette habileté communicationnelle n’est pas récente. Le Général de Gaulle lui-même a tenu ce genre de discours permettant à celui qui le reçoit d’y entendre ce qu’il souhaite. « Je vous ai compris », finalement, n’indique nullement qui était compris et sur quel sujet.

Il existe même des générateurs de novlangue sur internet, capables de vous produire des phrases telles que « Je tiens à vous dire ici ma détermination sans faille pour clamer haut et fort que la nécessité de répondre à votre inquiétude journalière, que vous soyez jeunes ou âgés, a pour conséquence obligatoire l'urgente nécessité d'un plan correspondant véritablement aux exigences légitimes de chacun. »

Alors, en cette semaine où va se tenir le congrès des enseignants de médecine générale à Lille, pouvons-nous raisonnablement souhaiter que nos tutelles annoncent qu’une 4e année votée par le parlement va s’accompagner des effectifs d’enseignants de médecine générale ad hoc dans toutes les facultés ? Ces effectifs qui permettraient de faire passer le taux d’encadrement d’un enseignant temps plein pour quatre-vingts internes à un pour vingt comme dans la moyenne des autres spécialités ?

Pouvons-nous raisonnablement espérer des réponses concrètes aux problèmes de notre système de santé plutôt que d’entendre qu’il nous faut « trouver des solutions concrètes avec l’ensemble des parties prenantes, en mobilisant toutes nos forces dans tous nos territoires » ou devoir, comme au CNR auquel j’ai participé, lire que nous devons faire preuve « d’intelligence collective » en « co-construisant » l’avenir et inviter chacun à faire « un pas de côté ».

Le 25 décembre approche et il est toujours permis de rêver à ce, qu’enfin, on laisse de côté les prismes et stratégies de communication, pour écrire ensemble le système de santé de demain. À moins que je n’aie, moi aussi, été contaminé par la novlangue…

Exergue : Peut-on enfin laisser de côté les stratégies de communication, pour écrire ensemble le système de santé de demain ?

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin