Alors qu’Édouard Philippe a annoncé samedi la prolongation du confinement jusqu’à mi-avril minimum, et que certains plaident pour des mesures plus sévères, le Pr François Bricaire, virologue et membre de l’Académie nationale de médecine, alerte sur les risques « santé » d’un confinement trop strict. De leur côté, les généralistes s’inquiètent des pertes de chance pour les patients souffrant de pathologies chroniques qui n’osent plus se rendre chez leur généraliste pendant le confinement.
Le confinement, dans sa configuration actuelle, est-il suffisant pour contenir l’épidémie ?
Pr François Bricaire : À mon avis, la réponse est oui, dans la mesure où le confinement – incluant l’arrêt d’une partie de l’activité économique et des déplacements non indispensables – a essentiellement pour objectif de diminuer la pression sur les secteurs de soins et en particulier les services de réanimation hospitaliers. À partir du moment où le secteur de l’hospitalisation privée est désormais en situation de recevoir des malades, il devrait être possible de ventiler les formes sévères. Le confinement est un pis-aller indispensable, mais renforcer les mesures de confinement me semblerait dommageable.
Certains plaident pour un confinement plus strict. Quels en seraient les risques ?
Pr F. B. : Un confinement plus strict imposerait de bien en analyser le rapport bénéfice/risque. Il faut mettre en balance le gain sur le plan infectieux et l’extension de l’épidémie, et les effets indésirables, d’ordre économiques mais également l’ensemble des conséquences comprenant les syndromes de glissement chez les personnes âgées, l’immobilisation physique chez les personnes confinées dans de petites surfaces, le manque d’activité et la sédentarité néfastes en termes de santé publique, l’apparition d’un stress psychologique jusqu’au stress post-traumatique, et des syndromes dépressifs chez des individus vulnérables ou encore le déséquilibre de maladies chroniques (lire ci-dessous) chez des individus dont on voit qu’ils remettent en question la prise de leur traitement de fond.
Bien sûr, il faut rester prudent : si la majorité des formes sont bénignes (85 %), certaines s’expriment de façon plus sévère, en particulier chez des sujets plus jeunes, c’est pourquoi le phénomène est bien entendu d’importance. Néanmoins, aussi ennuyeux que peut être le SRAS-CoV-2, il n’est pas aussi gravissime que l’on veut nous le présenter, notamment dans les médias. Il faut bien évaluer tout cela, avant de décider d’un tour de vis supplémentaire en matière de confinement.
Quel est le rationnel du confinement ?
Pr F.B. : En réduisant le risque de transmission virale d’un individu à un autre, le confinement permet, d’une part, d’écrêter la courbe épidémique et de réduire le taux d’attaque de l’épidémie (vitesse d'accumulation de nouveaux cas) et, d’autre part, d’étaler le risque de formes sévères, laissant le temps aux structures de soins intensifs et de réanimation de s’organiser pour gérer l’afflux de malades.
Y avait-il une alternative ?
Pr F.B. : Un autre modèle existe, celui choisi au départ par la Suède et les Pays-Bas, avant qu’ils ne fassent partiellement machine arrière : laisser « filer » le virus afin de créer une immunité de groupe en renforçant drastiquement les mesures barrière et en isolant les personnes âgées et fragiles. Si le système de santé peut absorber le nombre de sujets sévèrement atteints, c’est une bonne façon d’assurer une montée d’anticorps protecteurs dans la population et de raccourcir la durée de l’épidémie. Tout cela est conditionné par les capacités d’accueil hospitalier et la France n’aurait pu tenir le choc. Décider de l’absence de confinement pour laisser s’installer une immunité collective se serait fait au prix d’un nombre considérable de décès.
D’un autre côté, le confinement limite la progression de l’immunité de groupe et tant qu’une majorité des individus (au minimum 60 % selon les estimations de l'équipe de Neil Ferguson, épidémiologiste à l'Imperial College de Londres) ne seront pas protégés, la levée des mesures de confinement pourrait risquer de voir repartir une vague de contagion. Avec, à la clé, un risque de rebond épidémique et d’une nouvelle flambée de contaminations.
Faut-il anticiper le déconfinement ?
Pr F.B. : Le fait d’aplanir la courbe épidémique rallonge de facto la durée du confinement. Cependant, une levée du confinement doit d’ores et déjà s’anticiper, probablement par paliers. De mon point de vue, elle devra s’accompagner de vérifications systématiques par des tests par PCR du matériel viral repérant les sujets porteurs mais également par des tests sérologiques (taux d’anticorps dans le sérum) pour identifier ceux ayant été immunisés. Or vis-à-vis de ces derniers tests, nous prenons du retard. Même si les coronavirus ne sont pas les meilleurs inducteurs d’anticorps protecteurs, en quantité comme dans la durée, ils n'en obéissent pas moins à la règle générale en infectiologie, qui est la synthèse d’anticorps chez tout individu infecté.