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Dossier

Entretien

Pr Jean Sibilia, président sortant de la conférence des doyens : « La réforme de la Paces, une chance pour tous ! »

Par Amandine Le Blanc - Publié le 31/01/2020
Pr Jean Sibilia, président sortant de la conférence des doyens : « La réforme de la Paces, une chance pour tous ! »

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GARO/PHANIE

À l'occasion des États généraux de la formation et de la recherche médicales, les 6 et 7 février à Caen, le Pr Jean Sibilia, président sortant de la conférence des doyens de médecine nous a accordé une interview. À l'heure de passer la main au Pr Patrice Diot (Tours), le doyen de Strasbourg défend la réforme de la première année commune aux études de santé (PACES), qui entre en vigueur cette année et revient sur les autres réformes majeures des études médicales qui ont marqué son mandat : la fin des ECN, la réforme du 3e cycle ou l'indépendance des facultés…

Les lycéens désireux d'intégrer les études de santé doivent dorénavant choisir parmi plus d'une trentaine de Pass ou l'une des 400 licences accès santé, et encore de nombreuses inconnues. La réforme de la Paces n’est-elle pas trop complexe ?

Pr Jean Sibilia : Je suis d’accord, cette réforme peut sembler complexe, mais on ne peut pas parler de choix à l’aveugle. Il s'agit plutôt d'un choix sans retour d'expérience. C’est le caractère inhérent à toute réforme. Les lycéens sont perplexes car nous sortons d’un système où ils n’avaient pas de choix à faire. Aujourd’hui, il leur faut se projeter et savoir quel vers métier de santé se tourner. Plusieurs possibilités s'offrent à eux selon leurs aptitudes. Ils pourront postuler à une licence L.AS maths-santé s’ils sont très bons en maths. S'ils le sont moins, ils pourront s’orienter en droit-santé. Cette réforme crée de la diversité et laisse aux étudiants le choix de naviguer selon leurs qualités. était-il préférable de garder un système où tout était imposé ? Pour cette première promotion, la réforme peut sembler difficile. Il faut passer ce cap pour espérer un meilleur système pour les étudiants, qui formera des professionnels plus divers.

Ces nombreuses voies d’entrée ne risquent-elles pas de contribuer à développer davantage de stratégies de contournement de la part des étudiants pour avoir plus de chances d’accéder à la 2e année de médecine ?

Pr J. S. : La stratégie peut aussi être considérée comme positive. Les étudiants iront là où leurs qualités les portent. Aujourd’hui, si je suis très mauvais en maths, je n’ai quasiment aucune chance de devenir médecin. La réforme évite ce goulot d’étranglement et donne une chance à des jeunes qui ont envie. C’est le pari de cette réforme. Dans 10 ans, nous saurons s’il est tenu ou pas.

La réforme marque aussi la fin du numerus clausus. Certaines facs se plaignent d'un manque de moyens, comment garantir qu'elles pourront former davantage de médecins ?

Pr J. S. : C’est presque une question annexe aujourd’hui. Nous devons avoir une vision prospective à 5, 10 ou 15 ans des besoins réels de formation. Il nous faut tenir compte de trois aspects majeurs. Tout d'abord, l'évolution de la démographie médicale : à l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’indicateurs précis à 10 ou 15 ans car l’Observatoire national des professions de santé (ONDPS) n’est pas armé pour répondre à cela. La pluriprofessionnalité sera aussi un enjeu ; avec les transferts de compétences, l’organisation entre les métiers ne sera plus la même. Enfin, nous ignorons aujourd’hui ce que peut apporter le numérique dans l’organisation de la santé. Il faut donc déjà savoir qui sont les médecins de demain et combien il en faut. Il y a une douzaine d’années, nous formions 3 800 médecins par an. Aujourd’hui, ils sont 9 000. Tout cela à moyens constants. Avec la suppression du numerus clausus, nous augmenterons le nombre de médecins formés, mais nous n’allons pas le doubler.

Nous devons avoir une vision prospective à 5,10 ou 15 ans des besoins réels de formation

Cette réforme permettra-t-elle de sélectionner les meilleurs candidats ?

Pr J. S. : On nous a fait le reproche légitime que le concours de Paces n’était constitué que de QCM. Là, il y aura des oraux, pour sélectionner les étudiants sur d’autres critères, notamment plus humanistes, des qualités de collaboration, d’écoute et d’empathie. Nous pouvons espérer, comme ce fut le cas dans d’autres filières, que cette sélection permettra d’avoir différents profils. Les critères de qualité sont intrinsèques au système. à partir du moment où vous avez 46 000 primants et que vous n’en gardez que 9 000, cela reste une sélection positive. Ceux qui seront pris seront toujours de très bons lycéens.

À la fin de l’année, les premiers médecins issus de la réforme du troisième cycle seront diplômés. Cette réforme est-elle un succès ?

Pr J. S. : Il est trop tôt pour le dire. La réforme du 3e cycle était faite pour améliorer la pédagogie pendant l'internat, assurer sa progressivité, clarifier le rôle de l'interne. Nous ne voulions plus que des internes soient utilisés comme des médecins pendant leurs stages. L’interne contribue à l’offre de soins mais reste en apprentissage. Avec la refonte du 3e cycle, l'offre pédagogique a été renforcée. Nous espérons que cela en fera de meilleurs médecins, plus heureux aussi. Il faut faire en sorte qu’ils prennent du plaisir, aient du temps à eux. Des contraintes, il y en aura toujours, elles peuvent se justifier si elles sont formatives mais doivent être concertées et acceptées.

Les généralistes enseignants déplorent d'avoir le plus faible ratio de professeurs pour encadrer les internes et de n'avoir pas accès aux ressources bibliographiques. La spécialité est-elle traitée à égalité avec les autres par l’université ?

Pr J. S. : Elle doit absolument l’être. La médecine générale est une discipline universitaire au même titre que les autres, avec ses spécificités évidemment. Elle doit bénéficier de tous les atouts et outils universitaires : centre de formation, documentation, formation complémentaire, enrichissement pluriprofessionnel, centre de recherche, etc. C’est une évidence. Il faut mettre cela en musique avec de très nombreux maîtres de stage. Une culture des MSU se construit, très positive mais pas aboutie. Je pense qu’à terme nous en tirerons quelque chose de très positif, avec une recherche qui se développera également. Nous avons beaucoup travaillé avec le CNGE. J’ai souhaité qu’il soit autour de la table de la réforme du 2e cycle pour discuter des items de connaissance. La médecine générale est un membre éminent des disciplines universitaires. Cela implique des droits mais aussi des devoirs, il faut participer à la vie universitaire : on donne et on reçoit.

La médecine générale doit bénéficier de tous les atouts et outils universitaires

La réforme du 2e cycle est menée de concert avec celle du 1er cycle. Êtes-vous confiant sur sa mise en place dans les temps ?

Pr J. S. : Nous avons récemment adressé un courrier aux ministres pour leur rappeler l’agenda, qui nous inquiète beaucoup. Tout doit être calé au plus tard en mars pour une rentrée en septembre 2020. Il reste du travail sur les référentiels de connaissances et de compétences. Nous faisons tout ce qu’il faut, mais il y a encore du boulot.

Un nouvel interne s'est donné la mort à Lille. Depuis le début de votre mandat, le sujet de la souffrance des étudiants est pregnant mais des drames continuent de se produire. Tout est-il mis en place pour les éviter ?

Pr J. S. : Tant qu’il y a des drames, c’est que des problèmes n’ont pas été détectés. Je me souviens avoir été très mal accueilli le premier jour de mon mandat pour des propos mal interprétés sur le suicide des internes. La question n’était pas de remettre en cause la souffrance au travail mais de tout faire pour qu’elle ne soit pas instrumentalisée à mauvais escient. Nous avons beaucoup travaillé avec Donata Marra : un centre national d’appui a été mis en place, aujourd’hui il y a des commissions bien-être dans toutes les UFR. Beaucoup de choses sont en place mais bien sûr, ce n’est jamais suffisant. Les réformes pédagogiques contribuent au travail de prévention mais dans les déterminants de la souffrance, il est aussi question d’isolement, de vie étudiante, de capacités de logement, etc. Saluons le travail des associations étudiantes aussi et continuons ce travail de longue haleine. Cela passe notamment par un gros effort de réassurance et de confiance pour libérer la parole.

Il y a deux ans, la conférence des doyens s’est dotée d’une charte éthique et déontologique pour renforcer l’indépendance de la formation. Où en est-on aujourd’hui ?

Pr J. S. : Cette charte a permis d’édicter des règles et de clarifier certaines questions : aucune fac n’a jamais été financée par l’industrie et aucun cours ne se fait par des industriels sans une totale transparence. C’est vrai qu’il y a eu aussi des mauvais enseignements. Maintenant, le travail est d’évaluer l’impact de ces chartes et je plaide pour que la future accréditation des facultés intègre ce facteur. La question n’est pas de stigmatiser ou d’éliminer mais de travailler de façon transparente. De gros efforts ont été réalisés, il faut continuer. Il n’est pas question que l’ensemble des mondes de la santé ne se parlent pas. L’idée est d’aller vers des partenariats entre l’université et les industries du médicament, des dispositifs médicaux ou de la e-santé. Mais de façon conventionnée, cadrée et transparente.

*Le Pr Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours lui succède à la présidence

Propos recueillis par Amandine Le Blanc

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