Miracle nantais ?
Si l’on s’en tient seulement aux données chiffrées, deux champions en la matière se distinguent clairement : la Loire-Atlantique, qui a vu ses effectifs de médecins généralistes progresser de 8,2 % entre 2007 et 2016, et la Savoie avec 8,1 %. Deux départements que tout semble pourtant opposer. Et, de fait, les raisons de leur succès sont différentes. D’un côté l’océan, et surtout Nantes, dont le rayonnement économique rend particulièrement attractif une installation dans le département de la Loire-Atlantique. « Une activité culturelle dynamique, une ville agréable très prisée des jeunes et une faculté prospère » sont des éléments qui peuvent expliquer pourquoi ce territoire est plébiscité par les nouveaux médecins, selon le président du Cdom Jean-Louis Clouet, généraliste aux Sorinières. Et c’est sans compter sur le tissu autoroutier qui permet aux nouveaux installés d’habiter à proximité de Nantes, même s’ils exercent à Saint-Nazaire ou ailleurs sur la côte.
Le Dr Clouet fait aussi remarquer que la dynamique de l’emploi est aussi attractive et permet au généraliste de mieux se projeter avec son conjoint, si celui-ci doit trouver du travail sur place. « Aujourd’hui, pour inciter des jeunes à venir, il ne faut pas raisonner en termes de médecin, mais bien en termes de couple », affirme-t-il. Il voit aussi dans l'attractivité de son département le fruit de la mobilisation de tous les acteurs locaux pour attirer des jeunes. « Il y a beaucoup de maîtres de stage, mais aussi un ensemble de structures de type MSP et de cabinets de groupe très développés, ce que recherchent aujourd’hui les jeunes », estime le praticien qui exerce au sud de l'agglomération nantaise. Et d’ajouter : « Le soutien des confrères exerçant déjà sur place permet aussi aux jeunes d’avoir une écoute attentive et des conseils de leurs collègues lorsqu’il s’agit de s’installer ».
Les départements stables ou en progression démographique entre 2007 et 2016
Douze départements ont vu, durant cette période, le nombre de généralistes se stabiliser voire même augmenter. Presque tous se retrouvent sur les pourtours de l’Hexagone : Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Maine-et-Loire, Loire-Atlantique, Charente-Maritime, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Pyrénées-Orientales, Corse-du-Sud, Savoie et Haute-Savoie. Source : Atlas du Cnom.
Chouchouter ses internes
Non loin de là, dans le Finistère, cette nécessité de rassurer les jeunes médecins est partagée. Dans ce département où le nombre de médecins généralistes a augmenté, mine de rien, d’un peu plus de 2 % ces dix dernières années, on chouchoute les internes. « La fac s’occupe bien des généralistes, confie le président de l’ordre local Dr François Simon. Une fois diplômés, les médecins sont reçus autour d’une table au conseil de l’0rdre. On leur parle, on dédramatise l’exercice ». Ils sont également épaulés sur le plan juridique. Le Finistère a également la particularité de garder ses enfants du pays : « A peu près 80 % des étudiants qui s’installent ici sont originaires de Bretagne », précise le Dr Simon. La région peut aussi se targuer de proposer un maillage du territoire avantageux, et ce depuis plusieurs dizaines d’années. Le Dr Simon évoque une véritable « politique de regroupement » des médecins dans les années 70-80 qui se répercute aujourd’hui sur les installations. « Les structures d’exercice à plusieurs existent déjà et, globalement, ces groupes-là trouvent un nouveau médecin lorsqu’un généraliste part à la retraite », constate-t-il.
Plus à l’est, ce n’est pas l’océan mais plutôt la montagne et le territoire alpin qui ont la cote. C'est ainsi que les deux Savoie s’en tirent bien aussi, avec des effectifs de médecins généralistes qui ont augmenté de 8,1 % pour la Savoie et de 1,8 % pour la Haute-Savoie entre 2007 et 2016. Une croissance qui serait cependant à relativiser d’après les médecins locaux, moins enthousiastes que leurs confrères de Loire-Atlantique et du Finistère. Ces deux départements se distinguent, en effet, par leur spécificité touristique et une démographie qui varie en fonction des périodes de l’année. Le Dr René-Pierre Labarrière, généraliste à Annecy et président du Cdom Haute-Savoie n’a pas l’impression d’être si privilégié, même s’il reconnaît que la qualité de vie et le développement de l’hôpital d’Annecy, qui forme de plus en plus d’internes, ont pu jouer : « Il faut aussi prendre en compte la démographie qui augmente de 10 000 habitants chaque année, précise-t-il. La proximité de la Suisse et la dynamique de l’emploi peuvent aussi expliquer que les jeunes médecins s’installent ici. Mais le coût de la vie reste un obstacle », nuance-t-il.
Dans les départements plus sinistrés, des initiatives portent leurs fruits
Preuve des disparités qui existent au sein même des départements, certains territoires qui enregistrent des scores médiocres en termes de démographie médicale réussissent tout de même à redresser la barre petit à petit. En Aveyron, par exemple, la mobilisation des médecins a permis d’impulser de nouvelles installations. Si, depuis 2007, le département d’Occitanie enregistre un recul de plus de 13 % de ses effectifs de généralistes, la courbe se redresse désormais. Retraités impliqués Grâce à l’organisation de séminaires avec l’Université de Montpellier notamment pour vanter la qualité de vie aveyronnaise aux internes et à l'implication des médecins retraités, le département est aujourd’hui bien doté : 8 % des internes aveyronnais restent sur place une fois leur internat terminé, contre 1 % dans le Gers par exemple. Un peu plus au Nord, dans la Creuse, c'est le numérique qui a permis de renforcer l’attractivité du département. Le réseau « Mille soins, la santé sur un plateau », regroupe virtuellement des dizaines de professionnels de santé, un travail d'équipe qui attire les jeunes médecins. À Royère-de-Vassivière, qui fait partie du réseau, la municipalité a même investi dans deux logements pour héberger les futurs médecins. Un accueil qui porte ses fruits puisque deux des quatre médecins actuellement en poste étaient eux-mêmes internes sur place.
En Savoie, selon le président de l’Ordre, les nombreuses stations de ski et l’activité saisonnière font gonfler les effectifs de médecins généralistes, mais seulement en hiver, tempère le Dr Jean-Louis Vangi. Être médecin de montagne est d'ailleurs un métier particulier, puisqu’il implique des revenus irréguliers et une pratique des urgences. Une dernière originalité qui peut cependant être un atout. « La médecine de montagne peut attirer de jeunes médecins, puisqu’elle est passionnante. Elle permet de se former aussi à la médecine d’urgence. Le souci est que les jeunes médecins ne restent pas car la médecine saisonnière implique beaucoup d’investissements pour le matériel de radiologie, les locaux… sans contrepartie de rémunération », déplore le généraliste de Saint-Baldoph. Sur le cas de ces deux départements savoyards, le Dr François Arnault, en charge de la démographie médicale au sein de l’Ordre national analyse : « La montagne joue beaucoup mais surtout, il y a un certain nombre de villes moyennes bien réparties sur les deux départements de Savoie et Haute-Savoie qui peuvent expliquer leur attractivité. Il y a, en plus, les gros CHU de Lyon et Grenoble, qui sont très puissants et inondent le secteur de jeunes internes qui ont envie de rester dans la région ».
Une bonne répartition sur l’ensemble du département qu'on ne retrouve évidemment pas partout. Souvent, on note en effet beaucoup de disparités au sein même d’un territoire. C’est le cas de la Charente-Maritime. « C’est un département très long et il y a deux zones très claires, poursuit le Dr Arnault. Celle proche de la mer et de La Rochelle, où il y a une offre de soins pléthorique. L’autre, dans les Charentes continentales, où on retrouve aussi les problèmes qu’il y a ailleurs et l’influence de la qualité de vie est très nette ». Des différences qui se confirment dans les Landes ou les Pyrénées-Atlantiques, qui, sur le papier, enregistrent pourtant une hausse coquette des effectifs de 5 et 2,4 % sur les dix dernières années. « Il y a trop de médecins sur les côtes, comme à Bayonne, et un désert médical majeur autour de Pau », constate le Dr François Cazenave, président du Cdom des Pyrénées-Atlantiques. Pour preuve, depuis quelques mois, le service SOS médecins de Pau a dû suspendre ses gardes faute de nombre de médecins généralistes suffisant. Trois exemples, qui démontrent que pour résoudre les problèmes démographiques, le département est souvent un moins bon outil d'analyse que le bassin de population...
Une embellie de courte durée ?
Les médecins locaux s’inquiètent également en Corse, même si le nombre de généralistes s’est maintenu ces dernières années. « Si ces deux dernières années, la tendance a été un peu meilleure, on se dirige quand même dans les cinq ans à venir vers des problèmes de renouvellement », précise le président du Cdom de Corse-du-Sud, Jean
Canarelli. Les bons résultats enregistrés jusqu’alors s’expliquent cependant d’après ce médecin biologiste d’Ajaccio par l’accompagnement des jeunes et l’adaptation des modes d’exercice à une nouvelle génération qui n’est pas toujours intéressée par le libéral. « Nous avons favorisé l’installation de médecins à temps partiel et facilité les possibilités d’exercer en lieux multiples afin de mieux répondre à leurs attentes », explique-t-il. L’ouverture d’une PACES, il y a une dizaine d’années à Corte, en Haute-Corse, peut aussi expliquer, selon lui, pourquoi les effectifs de généralistes se stabilisent aujourd'hui.
Chaque territoire tente donc tant bien que mal d'enrayer la fuite de généralistes, avec plus ou moins de succès. Mais pour le Dr Arnault et le Cnom, « il n’y a pas de solution unique, toutes les solutions sont bonnes tant qu'elles répondent aux conditions d’exercice auxquelles les jeunes médecins aspirent ». La recette miracle n'existe donc pas. Et si douze départements tiennent encore le cap, les plus pessimistes ne manqueront pas de s'interroger : pour combien de temps encore ?
Les propositions de deux sénateurs contre les déserts
« Le levier financier n'est pas un déterminant principal des choix d'installation. » C'est une des conclusions d'un rapport sur l'accès aux soins, rédigé cet été par les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, qui pourrait inspirer le futur plan déserts médicaux d'Agnès Buzyn. Dans ce texte, dix-neuf propositions sont faites face à la pénurie de généralistes. Le rapport renvoie dos à dos les incitations financières à l'installation jugées inefficaces et des mesures coercitives. Il prône, en revanche, une diversification des « statuts intermédiaires comme celui d'adjoint ou de collaborateur ».
Allègement des charges sociales Autre remède évoqué, le développement de l'exercice mixte, « en allégeant les charges sociales sur l'activité libérale des médecins salariés ». Sur l’apport des médecins retraités, les sénateurs Cardoux et Daudigny préconisent de « rendre plus attractif le cumul emploi-retraite dans les zones sous-dotées par la suppression de la cotisation retraite ». Concernant la formation, ils suggèrent une meilleure rémunération des maîtres de stage et l'allongement de la durée du stage ambulatoire de médecine générale. Les aides à la création de MSP et le développement de la communication et la coordination entre professionnels sont également encouragées. Sur le volet de l’innovation, les deux sénateurs préconisent une formation des professionnels de santé à l'usage de la télémédecine.
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