Organisation hospitalière, valorisation des coordinations, accompagnement des proches… Alors que le taux d’opposition au don d’organes atteint un chiffre record ces dernières années, un colloque organisé par l’association de patients Renaloo au ministère de la Santé a permis de proposer des pistes pour inverser la tendance.
Malgré la loi postulant que nous sommes tous présumés donneurs d’organes et un très faible taux d’inscription (< 1 %) sur le registre des refus, des difficultés persistent pour l’accès à la greffe. Plus de 21 000 patients étaient sur liste d’attente au 1er janvier 2024, avec 800 décès en 2023.
En France, le taux d’opposition aux prélèvements exprimée par les familles et les proches – à distinguer des refus rapportés par les défunts de leur vivant – augmente, voire explose dans certains territoires. Il a atteint 36 % en 2023, un « record historique », s’est alarmée Yvanie Caillé, vice-présidente de l’association de patients atteints de maladie rénale Renaloo, lors d’un colloque organisé au ministère de la Santé le 28 octobre 2024. Ce taux dépasse les 50 % dans certaines grandes villes, comme à Marseille, et même les 70 % en Seine-Saint-Denis.
Cette situation inacceptable « n’est pas une fatalité », poursuit Yvanie Caillé, citant les succès enregistrés par nos voisins, et notamment l’Espagne, où le taux d’opposition des familles ne dépasse pas les 15 % depuis plusieurs années.
Une opposition multifactorielle
Les ressorts de l’opposition au don rapportée par les familles sont multiples. L’opposition peut être « prudentielle », quand la famille et les proches ne connaissent pas la position du défunt, ou « contextuelle », quand le refus est lié à la prise en charge ou au parcours de soins du défunt, analyse la Dr Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine (ABM). Plusieurs déterminants jouent : l’âge du donneur (plus le défunt est jeune, plus la famille s’oppose), la pratique d’un culte, la durée de l’hospitalisation (plus le séjour est court, plus l’opposition est forte), l’adhésion des soignants au don ou encore la qualité des soins, de la prise en charge et de l’accueil des proches par les équipes hospitalières, liste-t-elle. La pauvreté et les inégalités de santé sont un autre moteur de l’opposition, comme constaté dans certains territoires paupérisés.
Des freins relèvent aussi de l’organisation hospitalière de la filière de prélèvement d’organes et de tissus. Les 180 coordinations hospitalières des prélèvements répartis sur le territoire jouent un rôle central dans l’abord des familles. Mais elles apparaissent sous-dotées, alors qu’elles nécessitent des ressources humaines et logistiques, notamment pour l’identification des donneurs, la collaboration entre services, l’occupation des blocs, etc.
Dans les petits centres hospitaliers, les postes d’IDE de coordination sont « souvent à temps partiel », déplore Xavier Garcia, de l’Association française des coordinateurs hospitaliers (AFCH), qui participe à la formation des IDE à ce rôle. Or cette fonction réclame « de la pratique et de l’expérience pour être opérationnel et efficace », notamment lors des entretiens avec les proches, poursuit l’infirmier coordinateur. « On fait bien ce qu’on fait souvent », insiste-t-il.
L’activité des coordinations n’est pas assez identifiée au sein des établissements
L’activité des coordinations est aussi pénalisée par un déficit d’identification de leur rôle au sein des établissements. Cette reconnaissance par l’ensemble des services hospitaliers, qui permet d’associer précocement les coordinations au dialogue avec les familles, est au cœur de la réussite espagnole, juge Christian Baudelot, membre de Renaloo et lui-même donneur d’un rein à son épouse. L’enjeu est d’insuffler une « culture » du prélèvement à l’ensemble des équipes. « La confiance des proches se gagne dès les premières minutes de prise en charge par le Smur ou les urgences », relève Xavier Garcia.
Cette culture pourrait améliorer le repérage des donneurs potentiels. « L’identification des patients dans le coma sans perspective thérapeutique passe par la mobilisation et la collaboration de tous », estime le Dr Laurent Dubé, adjoint au directeur du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus de l’ABM. Cette approche réclame « une sollicitation précoce de la coordination », poursuit-il.
Les victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC) constituent « la première source d’organes », un enjeu dans les unités neurovasculaires. Se pose la question de « la temporalité du dialogue avec les familles alors que le transfert en réa se fait souvent en vue d’un prélèvement », explique la Dr Sophie Crozier, neurologue dans le service des urgences cérébrovasculaires de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Lors de cette « démarche thérapeutique anticipée », les équipes doivent « s’assurer que les proches ont bien compris la proximité du décès », ajoute le Dr Dubé. Les entretiens avec les proches doivent être menés par des médecins formés et les professionnels de la coordination, dans une salle dédiée et « pas à deux heures du matin », plaide-t-il.
Un accompagnement des familles à améliorer
Les familles et les proches sont le plus souvent plongés dans un « état de sidération » et toute la chaîne des soignants doit en avoir conscience, interpelle le Dr Julien Rogier, responsable de l’unité de coordination des prélèvements d'organes et de tissus au CHU de Bordeaux et secrétaire général de la Société francophone de transplantation (SFT). L’information doit s’adapter aux vécus des proches tout au long de la prise en charge. « Des refus sont liés à la non-compréhension de la mort encéphalique », témoigne-t-il.
Les termes utilisés peuvent faire peur. À Montpellier, une réflexion a été menée et les équipes évitent désormais de parler de prélèvement, un mot « trop violent pour les familles », raconte Anne Ferrer, directrice générale du CHU de Montpellier. Le terme peut être un « frein pour lancer la générosité », appuie David Heard, directeur de la communication de l’ABM. « Le mot don peut être plus pertinent pour valoriser la démarche », préconise-t-il.
Plus globalement, c’est la qualité des relations avec les familles qui permet de diminuer l’opposition. En Espagne, les services de réanimation proposent une prise en charge du deuil pour accompagner de manière optimale la décision autour du don. En France, des initiatives se développent, à l’instar des pratiques adoptées au CHU de Bordeaux, de la prise en charge des frais de rapatriement du corps jusqu’au lieu de l’enterrement à la création d’un espace de parole pour les proches. Cette dernière initiative, lauréate d’un Prix Galien, est couplée à l’envoi de lettres aux familles et aux médecins traitants pour « ne pas rompre le lien après le don », explique le Dr Rogier. « C’est positif pour les familles mais aussi pour l’équipe », ajoute-t-il.
Christian Baudelot va plus loin et propose une prestation monétaire, à l’image de la prise en charge des obsèques en cas de don d’un corps à la science. « Ça a boosté les dons », assure le membre de Renaloo, dont un groupe de travail défend l’idée d’une contribution à hauteur de 10 % des frais d’obsèques. Une proposition qui fait craindre à Anne Caron-Déglise, magistrate et membre du CCNE, que « la présomption de consentement ne soit malmenée » par cette logique financière. La réflexion reste ouverte, mais d’ores et déjà, l’ABM mise sur son outil Cristal pour mieux comprendre les dynamiques d’opposition.