Back to the future
L’Histoire s’est écrite dans un petit garage au 369 Addison avenue à Palo Alto en Californie en 1938. Une plaque en bronze y a été installée (1989) par le State Department qui annonce fièrement qu’en ce lieu est née la Silicon Valley. Les deux fondateurs, William Hewlett et Dave Packard, ingénieurs issus de l’université Stanford y conçurent un oscilloscope basses fréquences révolutionnaire (HP 200 B) qui fut acheté par Walt Disney pour 891,87 $ et utilisé pour la synchronisation du film Fantasia. Ce succès et d’autres ont contribué à construire une réputation d’innovation, de fiabilité, de qualité et de probité. Le management des fondateurs, axé sur le choix des hommes, la créativité et le respect des clients a abouti au concept de « brand of legend » à la fin des années 80. On rappellera que c’est sur la base d’une infrastructure HP que « l’homme a fait un petit pas mais un grand pas pour l’humanité ». Depuis l’origine, Hewlett-Packard est devenu un leader mondial des infrastructures, des réseaux, de l’impression, du calcul de haute performance, du smart data (vertica, autonomy) et de la sécurité employant plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde. Les fondateurs se sont faits les prosélytes d’un concept qu’on définirait aujourd’hui comme « disruptif » : l’HP way. Celui-ci imposait aux « HP boys » le respect fondamental de l’intérêt de leurs clients. Tout le monde s’esclafferait aujourd’hui de voir Kléber Beauvillain, ex président emblématique d’HP France – et dernier embauché français par Dave Packard -, avertir un client que, suite à une baisse de prix, ledit client bénéficiait d’une remise a posteriori (sic) sur une commande déjà passée. L’histoire est réelle et est demeurée dans les mémoires. Autre exemple passé sous silence, l’équipement il y a 15 ans du Samu social puis de l’architecture du 115 à Paris à la suite d’une rencontre avec le Dr Xavier Emmanuelli, président du Samu Social et l’aide toute en discrétion de Jacques Chirac. Le concept déclencheur de la mobilisation d’HP fut, qu’avec des infrastructures informatiques, on pouvait contribuer au lien social et pas seulement accélérer le trading haute fréquence. Autres temps autres mœurs.
Un nouveau monde
Malgré des dizaines de milliers de brevets, au fil du temps, HP s’est alourdi, a plus ou moins succombé, comme d’autres, aux yeux doux de la finance, a moins été créatif, n’a pas su ou voulu anticiper les nouveaux besoins et surtout s’est égaré dans le choix de son management corporate. Mais le génome de l’entreprise d’ingénieurs est sain et tenace. Hewlett-Packard, devenu Hewlett-Packard Enterprise annonce aujourd’hui ce qui ressemble au Nouveau Monde de l’information.
The machine
C’est une totale rupture architecturale systémique depuis 40 ans, même si Intel a su faire un succès mondial de ses processeurs. Mais que semble concurrencer désormais les chercheurs chinois (ShenWei SW26010) avec l’annonce de la mise en service du « supercomputer Sunway Taihu Light », trois fois plus puissant (93 millions de milliards d’instructions par seconde) et trois fois plus véloce, et trois fois moins énergivore que l’ancien recordman mondial, le Tianhe-2 ou Rivière Céleste, chinois également, basé sur des processeurs Xeon d’Intel.
Maîtrise et données
Le constat est basique. « Devant la masse de données produites (autant ces six derniers mois que depuis l’invention de l’écriture en Mésopotamie il y a 6 000 ans), le problème posé n’est pas celui de la puissance de calcul mais celui de la maîtrisée des données ». Selon Bruno Raffin, le spécialiste du calcul haute performance de l’Inria (l'Institut national de recherche en informatique et en automatique), « c’est une toute nouvelle voie d’abord des fichiers informatiques, une totale rupture en termes de performances ».
Mémoire universelle
Quatre ingrédients président à cette évolution « exodarwinienne » (terme dont la paternité revient à Michel Serres (Stanford University) : une mémoire universelle permettant les calculs, des échanges photoniques à vitesse lumière, des processeurs excentrés spécialisés et un système d’exploitation réécrit et allégé de 75 % de ses routines liées à la communication.
Sans limites
Jusqu’alors, le processeur est au centre du jeu, c’est le cerveau qui traite les calculs. Les autres composants et notamment la mémoire sont périphériques. Avec The machine, le paradigme est inversé. La mémoire devient l’objet de la gravitation des autres éléments, permettant vitesse d’accès sans précédent, permanence des informations et un stockage sans limites. Aujourd’hui, la capacité de calcul augmente d’un facteur 10 tous les trois ans avec une consommation électrique de trois fois dans le même temps. Cette évolution arrive à ses limites, eu égard aux possibilités physiques des réseaux. The machine propose, selon Martin Fink, directeur des HPe Labs, un quintuplement des performances et une consommation énergétique divisée par 5. Mieux, la mémoire universelle est 10 fois plus efficace que la mémoire dynamique classique (DRAM) (1 picojoule pour écrire/lire 1 bit). Les chercheurs testent actuellement des structures amorpho-cristalines qui changent d’état en fonction du courant électrique qui les parcourt.
Objets intelligents
Les processeurs peuvent être spécialisés dans des tâches spécifiques (vidéo, modélisation, prédiction, etc.) et leurs petites tailles et leurs densités permettent de les loger dans des objets de toute nature et particulièrement les petits. On se prend à rêver à des objets connectés intelligents et pas seulement relais d’information connectée.
Plus vite
« Icing on the cake »*, cette mémoire possède la particularité de pouvoir être éteinte sans qu’aucune donnée ne se perde, ouvrant le champ à des objets fonctionnant sur la très longue durée.
Les liaisons sont effectuées par des micro lasers fibres optiques qui existent déjà mais qu’on tente de miniaturiser pour les implanter à l’intérieur même des processeurs. Cela ressemble aux Smart Data de l’An II. On peut évaluer les bénéfices de la « bête ». À ce jour, identifier 10 images « sosies » parmi 10 millions prend 10 minutes. Avec The machine, pour 100 images parmi 100 millions, il suffit de 100 millisecondes. À peine 6 000 fois plus rapide !
La santé dans le viseur
Historiquement, Hewlett-Packard a toujours eu un tropisme médical, même si aujourd’hui la division santé fait partie de la mémoire de l’entreprise. On peut imaginer les usages en santé publique pour The machine et ils sont immenses :
• Traitement des signaux faibles en épidémiologie pour anticiper les épidémies
• Modélisation dynamique et en gravité du corps humain pour la production sur mesure d’orthèses et de prothèses par impression 3D de haute précision à faible coût. Hewlett-Packard Enterprise est un des leaders mondiaux de cette technologie.
• Modélisation moléculaire pour la recherche de nouveaux principes actifs ;
• Recueil d’effets secondaires de médicaments sur des cohortes internationales de grand volume ;
• Traitement rapide des données génomiques pour l’avènement de thérapies géniques dans des maladies orphelines ;
• Optimisation des dépenses de santé par traitement de données anonymisées centralisées. On pense ici au SNIIRAM, le PMSI, aux données des mutuelles complémentaires ;
• Lutte contre la fraude dans les prescriptions
• Economies par la lutte contre les erreurs administratives avec croisement de fichiers ;
• Traitement intelligent des données des objets connectés pour le suivi des pathologies chroniques et les alertes ;
• Pilotage régional ou national temps réel (lits disponibles, états financiers, abaques d’usages, etc.).
On a l’habitude de dire que les réponses sont dans les données mais qu’il est complexe de se poser les bonnes questions. Si la plateforme The machine voit le jour de façon opérationnelle d’ici peu (un à deux ans selon les oracles), peut-être assisterons-nous à l’avancée numérique la plus significative depuis des lustres. Bill et Dave, de là-haut, seront fiers de leurs successeurs.
*Cerise sur le gâteau, en français.
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