Dans quelle mesure les médecins se tourneraient-ils vers une aide à mourir, s’ils étaient eux-mêmes atteints d’un cancer en phase avancée ou d’une maladie neurodégénérative, comme Alzheimer ? C’est ce qu’a cherché à savoir une équipe de recherche internationale, en sondant trois types de médecins, généralistes, spécialistes de soins palliatifs et autres spécialistes (cardiologues, urgentistes, oncologues, internistes, gériatres, gastroentérologues, gynécologues, neurologues, etc.) dans huit États aux législations différentes, en Amérique du Nord, en Europe et en Australie.
Le regard que les médecins portent sur leur fin de vie influence leur pratique. De précédentes études ont ainsi montré que les généralistes ayant rédigé leurs directives anticipées sont plus enclins à aborder le sujet avec leurs patients.
Pour cette étude publiée dans le Journal of Medical Ethics, les chercheurs ont analysé les réponses à un questionnaire rempli par 1 157 médecins, constitué de 38 questions relatives à deux scénarios, l’un où ils seraient atteints de cancer, l’autre d’Alzheimer.
Refus de l’obstination déraisonnable
Quel que soit leur pays d’origine, une très large majorité (90 %) des médecins aspire à une stratégie médicamenteuse qui allège les symptômes dans les deux cas de figure, et plus de 95 % souhaitent éviter les techniques de maintien en vie comme la réanimation cardiopulmonaire, la ventilation mécanique, la nutrition artificielle. Un résultat qui « fait écho à la détresse morale que les praticiens peuvent subir à l’égard de la poursuite systématique des traitements pour leurs patients en fin de vie », lit-on. Les auteurs relèvent en effet que les patients reçoivent le plus souvent des soins invasifs, malgré les réticences personnelles des soignants.
Ils sont entre 50 et 60 % à considérer qu’une sédation palliative est une bonne option, surtout en cas de cancer (où les pourcentages peuvent dépasser les 80 % selon les spécialités et les nationalités). Et presque autant à considérer que le suicide assisté l’est aussi en cas de cancer. Des taux qui montent à 54 % pour l’euthanasie face à un cancer et 51,5 %, face à une maladie d’Alzheimer. Et qui varient selon les pays, de 38 % en Italie (où elle est interdite) à 81 % en Belgique pour le cancer. Un tiers envisage le recours à des produits létaux à leur disposition (dans le scénario cancer).
Des différences selon les législations et les spécialités
Les auteurs pointent des divergences selon les pays : les praticiens belges, canadiens et australiens (État de Victoria), qui ont accès à l’euthanasie, y sont plus favorables (à hauteur de 60 à 80 % s’ils avaient un cancer, et 58-61 %, un Alzheimer) que ceux vivant dans un État où l’aide à mourir est interdite. Un constat qui reste valable même lorsque le suicide assisté est également possible et même en cas d’Alzheimer, alors que la maladie semble compromettre la clarté de la volonté et que la plupart des lois excluent ces patients de l’accès à l’euthanasie.
En revanche, là où seul est autorisé le suicide assisté, comme en Oregon, les médecins montrent une forte adhésion à cette option pour eux-mêmes (à plus de 71 %, contre 25 % en Belgique, où seule l’euthanasie existe depuis 2002). Selon les chercheurs, les réponses des médecins sont influencées par leur familiarité avec des dispositifs dont ils perçoivent des résultats cliniques positifs. « Cela suggère aussi que les médecins sont influencés par ce que leur pays estime “normal” ; des facteurs extérieurs jouent sur leurs préférences personnelles. »
Des nuances existent selon les spécialités : les généralistes et les autres spécialistes sont moins enclins que les médecins des soins palliatifs à estimer que la sédation est une bonne solution (respectivement 55 et 56 % versus plus de 70 %). Ils sont aussi plus favorables à l’euthanasie (56 et 60 % versus 39 %), au suicide assisté (53 % et 57 % versus 32 %) et à l’automédication (35 % et 39 % versus 19 %), les généralistes étant aussi les plus impliqués dans l’aide à mourir aux Pays Bas (à 93 %), en Belgique (60 %) ou en Suisse (71 %). « Ces résultats rejoignent les études montrant que les spécialistes des soins palliatifs sont plus réticents à l’égard de l’aide active à mourir », commentent les auteurs. C’est notamment le cas en France où ils sont les fers de lance de l’opposition contre l’aide à mourir, qui vient d’être adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale.
Derniers constats : les médecins qui voyaient plus de patients en fin de vie étaient moins favorables à l’aide à mourir que les autres, tout comme les médecins se réclamant d’une religion.
En conclusion, les auteurs soulignent l’importance d’une délibération collective qui mette au centre les valeurs des patients, afin de dépasser les tensions éthiques que peuvent connaître les soignants et de les aider à mettre à juste distance leurs propres valeurs.
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