La mise en scène était parfaite, le discours avait de quoi interpeller. Interviewé par un journaliste de la chaîne Fox News mi-mars, un mois après sa nomination officielle, Robert F. Kennedy Jr est installé au milieu d’un… fast-food. Un hamburger et des frites devant lui, un drapeau américain accroché au mur en toile de fond, le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux des États-Unis (HHS) balaie les sujets du moment, notamment les épidémies de rougeole et de grippe aviaire qui frappent le pays.
Apparue au Texas, au sein d’une communauté religieuse vaccino-sceptique, l’épidémie de rougeole continue de se propager et pourrait durer encore un an, selon les experts. Pour le fils de Robert Kennedy et neveu de l’ex-président assassiné John Fitzgerald Kennedy, pas question pour autant d’appeler à la vaccination collective, dont il est un opposant notoire. Entre deux frites, il explique que se faire vacciner doit rester « un choix personnel » tout en reconnaissant tout de même que l’immunité collective permet de protéger les personnes les plus à risques. Cette inflexion est vite contrebalancée quand « RFK Jr » ajoute que « le vaccin de la rougeole fait des morts tous les ans ». Dans une précédente intervention, Kennedy avait expliqué que la vitamine A et l’huile de foie de morue permettaient de se prémunir contre des formes graves de la rougeole.
« Ne pas appeler à la vaccination collective était la bonne décision si l’objectif était de ne pas protéger les Américains, ironise auprès du Quotidien un spécialiste de l’université californienne de Berkeley, qui a requis l’anonymat à l’heure où nombre de chercheurs redoutent de subir des coupes budgétaires. Le pourcentage de personnes vaccinées est en train de diminuer aux USA. Cela signifie que nos statistiques épidémiques vont augmenter ces prochaines années. »
« Made measles great again »
Ancien vice-amiral et chirurgien en chef des États-Unis, le Dr Jerome Adams a vivement critiqué le ministre du HHS dans une tribune au vitriol publiée par CNN le 20 mars : « L’un des principaux moteurs du scepticisme actuel est RFK Jr et l’organisation à but non lucratif qu’il dirigeait, Children’s Health Defense [Organisation fondée et dirigée par Kennedy de 2015 à 2023, NDLR], qui répand depuis des années la méfiance et la désinformation à l’égard des vaccins. Ironiquement – et peut-être inévitablement –, maintenant que Kennedy est à la tête du ministère américain de la Santé, il est confronté à la plus grande épidémie de rougeole au Texas et au premier décès d’enfant dû à la rougeole depuis plus de 20 ans*. »
Et de poursuivre en détournant le slogan de Donald Trump (« Make America great again ») : « On se souviendra de lui comme du vaccino-sceptique devenu défenseur de la vaccination ou comme l’homme à la tête du HHS lorsque l’Amérique a redonné sa grandeur à la rougeole ».
Son esprit est fermé à ce que la science nous dit mais grand ouvert aux théories du complot
Un spécialiste anonyme de l’université de Berkeley (Californie)
Ancien directeur des centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC, vigie sanitaire américaine), Tom Frieden a qualifié de « catastrophe sanitaire imminente » le fait de s’attaquer aux vaccins.
Le prisme de la science ignorée
RFK Jr a également désarçonné les scientifiques en suggérant que pour endiguer l’épidémie de grippe aviaire, qui sévit dans le pays depuis janvier 2022 et a déjà touché plus de 166 millions d’oiseaux, il fallait « la laisser se répandre » afin de voir quels volatiles étaient immunisés.
« C'est une idée horrible, dénonce l’expert de Berkeley. Elle donne au virus la possibilité de muter beaucoup plus rapidement, ce qui accroît le risque qu'il s'humanise, c'est-à-dire qu'il soit capable d'infecter facilement les humains et de se propager de personne à personne. Je suis abasourdi qu'une personne à la tête du HHS fasse une déclaration aussi mal informée et irréfléchie. »
Choisi par Donald Trump pour occuper la fonction de ministre du HHS, Kennedy, 71 ans, a pour principale mission de rendre l’Amérique en meilleure santé (« Make America healthy again » ou MAHA). Son ambition est de diminuer le nombre de personnes souffrant de maladies chroniques (diabète, obésité, hypertension artérielle). Considérant qu’une bonne alimentation est le meilleur des médicaments, l’ancien candidat à l'investiture… démocrate pour la dernière élection présidentielle a démarré un vaste inventaire des produits chimiques que l’on peut retrouver dans la nourriture.
Coupes budgétaires en toile de fond
« Les choix de mode de vie des Américains ont entraîné l'apparition de nombreuses maladies chroniques. Les Américains seront en meilleure santé si le programme MAHA s'attaque efficacement à ce problème, estime encore l’universitaire de Berkeley. Le mot “efficacement” est le plus important. Or, Kennedy ne regardant pas le monde à travers le prisme de la science, même avec les meilleures intentions du monde, son programme échouera. Son esprit est fermé à ce que la science nous dit mais grand ouvert aux théories du complot. »
La liste des sceptiques ne s’arrête pas là: « Il m’est difficile de croire que cette administration donnera les moyens nécessaires pour entreprendre les évaluations des additifs, en particulier alors que le personnel est licencié à tort et à travers », a déclaré au média CNN Marion Nestle, professeur émérite de nutrition et de santé publique à l’université de New York.
Entre les coupes budgétaires dans la recherche, le licenciement d’employés fédéraux dans les diverses composantes du HHS et la probable réforme du programme Medicaid, rendre l’Amérique en meilleure santé avec une diminution des moyens n’est pas le moindre des défis pour le ministre Kennedy.
*Une deuxième personne est décédée alors qu’elle avait la rougeole mais la cause de sa mort n’a pas été confirmée
10 000 postes supprimés au ministère de la Santé
Le ministère américain de la Santé a annoncé jeudi 27 mars qu'il allait supprimer environ 10 000 d'emplois dans le cadre d'une « restructuration majeure », la dernière en date menée par le gouvernement du président Donald Trump. L'organisation du ministère de la Santé (HHS) va être profondément modifiée et ses effectifs vont passer, avec ces suppressions d'emplois et d'autres mesures de départ volontaire ou de retraite anticipée, de 82 000 employés à temps plein à 62 000. Ces licenciements concernent divers services, notamment celles chargées de la réponse aux épidémies ou encore de l'approbation de nouveaux médicaments. « Cette refonte sera une solution gagnant-gagnant pour les contribuables », a assuré le ministre de la Santé Robert Kennedy Jr. (AFP)
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