Décision Santé. Pourquoi un acteur étranger, Ramsay, décide-t-il d’investir dans le secteur de l’hospitalisation privée, a priori peu attractif dans le contexte aujourd’hui ?
Pascal Roché. Depuis le 1er octobre 2014, nous avons deux actionnaires majoritaires qui ne sont pas des fonds d’investissements, à savoir le leader hospitalier australien Ramsay présent dans ce métier depuis cinquante ans et le Crédit agricole. Pourquoi cette décision de s’engager dans l’hospitalisation privée en France ? La France dispose d’atouts structurels à long terme très importants. Le marché est financé. C’est une vraie chance. L’Etat français par l’intermédiaire de l’assurance maladie est notre premier financeur. Il a contribué l’année dernière à 87 % de notre chiffre d’affaires. Les 13 % restants sont apportés par les patients pour le paiement de prestations de type chambres individuelles et par les médecins au titre d’une refacturation de locaux ou de services. Quoi qu’il en soit, nous avons la garantie que dans une perspective à long terme, l’Etat est appelé à demeurer le financeur très majoritaire du système hospitalier. Faut-il préciser que c’est un grand avantage ? Autre atout, la demande de soins devrait croître, alimentée par le vieillissement de la population, la robustesse de la natalité et une diffusion des innovations thérapeutiques globalement rapide. Enfin, la qualité de la médecine française demeure très satisfaisante, , même si certains indicateurs constituent des points de préoccupation.
D. S. Le court terme est-il aussi radieux ?
P. R. Que représente l’hospitalisation privée en France ? Trois chiffres résument la situation. Notre secteur représente 25 % des lits d’hospitalisation, 34 % de l’activité et seulement 17 % des coûts pour la collectivité. En dépit de ces résultats, en quinze ans, 30 à 35 % des cliniques privées ont fermé. Notre rentabilité est faible si l’on se compare aux métiers de la santé comme l’industrie pharma ou la biologie. Notre résultat net en 2015 s’est élevé à 1,5 % de notre chiffre d’affaires. Or nous sommes les leaders du secteur. Notre marge opérationnelle qui traduit notre capacité à investir demeure stable depuis des années à 12 %. Cela exige des efforts permanents d’efficience de nos organisations et même accrus depuis deux ou trois ans. Rappelons que les tarifs de l’hospitalisation privée sont revenus au niveau de 2004. Notre marché est pour le moins unique. Chaque année, nous découvrons le 1er mars l’évolution de nos 2 200 tarifs. Et cette année encore, le choc a été rude.
D. S. Que permet cette centrale d’achat à Singapour ?
P. R. Nos métiers sont régulés à l’échelle nationale. Mais une intervention sur une épaule répond largement aux mêmes critères de qualité en France, en Australie ou au Royaume-Uni. Les achats représentent 33 % de nos coûts. Dans ce pourcentage, deux tiers sont liés à des dépenses d’ordre médical (médicaments, dispositifs médicaux). Mais avant de mener à bien cette stratégie mondiale d’achats, nous nous sommes attachés à réduire en France le nombre de références de 300 000 à 70 000. Nous avons également introduit dans notre métier des techniques qui n’avaient pas cours comme les plates-formes d’achat aux enchères inversées. Nous avons pu ainsi faire participer des fournisseurs d’aspirine dans des pays extra-européens. Avec notre équipe installée ex-nihilo à Singapour, à mi-chemin entre l’Europe et l’Australie, les objectifs sont encore plus ambitieux. Face à des groupes mondiaux comme Medtronic, Roche, Johnson & Johnson, Ramsay avec ses différentes filiales pèsent d’un plus grand poids pour nouer des partenariats mondiaux. Nous avons ainsi noué un partenariat avec Johnson & Johnson par exemple. Ce nouvel instrument est encore très récent. Les équipes se sont installées il y a quatorze mois seulement. C’est un facteur différenciant, structurel et d’avenir. Nous sommes satisfaits des premiers résultats.
D. S. Quel est le regard des investisseurs australiens sur ce marché français ?
P. R. Le regard reste positif sur les éléments structurels. Mais s’est installée une véritable incompréhension sur les mesures prises au cours des derniers mois par le gouvernement. Le système actuel, public/privé/non lucratif est une chance pour le système de soins français. Toutefois, l’hospitalisation privée est mise à mal. Elle perd des parts de marché sans qu’un facteur d’efficience puisse être invoqué. Sur le facteur prix, on l’a dit, elle est plus économique que le secteur public. Sur le critère qualité, la HAS lors de ses accréditations a délivré les meilleures notes de toute l’hospitalisation française à Ramsay-Générale de Santé, juste derrière les 19 centres de lutte contre le cancer. Dans ce contexte, la double punition tarifaire qui nous a frappés est donc inexplicable et injuste. Car derrière la baisse moyenne de 1,5 %, 83 % des tarifs de médecine n’ont baissé que de 0,23 %. Par contre, les tarifs de chirurgie ont été réduits de 3 %. Or l’hospitalisation privée réalise plus de 50 % de son activité en chirurgie.
Seconde interrogation, nous sommes le seul métier en France où le CICE et le pacte de responsabilité ont été annulés. C’est d’autant plus frustrant que, sur le dernier exercice, nous avons investi 150 millions d’euros alors que l’entreprise a dégagé seulement 29 millions d’euros de résultat net. Nous avons la chance d’avoir des actionnaires responsables qui acceptent d’investir sur le long terme dans le système de soins français. Cet investissement est à mettre en regard de la dette hospitalière qui est passée en dix ans, selon la Cour des comptes de 9 à 31 milliards d’euros. Par ailleurs, nous avons recruté en un an 3 000 personnes en CDI, et près de 100 000 personnes en CDD et stagiaires, non délocalisables. Nous sommes tous métiers confondus le neuvième recruteur en France. Enfin, nous payons pour une infirmière 53 % de charges sociales à comparer avec les 44 % acquittés par l’hôpital public.
A cette situation préoccupante se greffent certains articles de la loi de santé. Le principe du GHT (groupement hospitalier de territoire) qui organise dans un territoire donné une meilleure coordination entre hôpitaux est compréhensible. Nous avons il y a plusieurs années déjà mis en œuvre ce type de projet avec la création de nos pôles. Mais s’il se transforme comme parcours de soins fléché afin de garder le patient au sein du GHT, le risque est alors de construire un mur entre la médecine libérale et l’hospitalisation privée, je dis non. Nous serons très vigilants sur sa mise en œuvre. Elle sera réalisée par les ARS dotées d’un double mandat, à savoir celui de préfet de santé et de juge de neutralité. Lorsque l’on sait que dans le même temps, elles doivent ramener l’hôpital public à l’équilibre, leur rôle n’est pas sans ambiguïté, selon la phrase de l’Inspection générale des finances, vis-à-vis de l’hospitalisation privée. En Allemagne, le statut n’est pas vertu. Public ou privé, un établissement hospitalier qui perd de l’argent trois ans de suite est contraint à une fusion ou à une fermeture. En France, si on gagne un peu trop d’argent au-delà d’un seuil qu’on ignore, on vous demande de rendre l’argent. En effet ce dispositif s’inscrit dans un système où l’Etat dispose de tous les leviers. Outre les 2 200 tarifs fixés de manière discrétionnaire, il a introduit il y a deux ans la dégressivité tarifaire qui tire tout le monde vers le bas. Comme par hasard, cela concerne surtout la chirurgie et donc l’hospitalisation privée.
D. S. Le choix selon vous est idéologique ?
P. R. En France, les dépenses de santé augmentent mécaniquement de 4 à 4,5 % alors que la croissance économique du pays stagne à 1,2 % environ. On demande aux acteurs de l’hospitalisation de gagner chaque année 2 à 2 points et demi d’efficience. Ce n’est juste pas possible. Il ne s’agit pas de lâcher les vannes de l’Ondam. Mais il faudrait s’interroger si la santé est une dépense ou un investissement et parler de la qualité. Il nous manque un vrai débat de fond. On ne peut se limiter à une simple vision comptable. A la différence des autres pays, on verse dans un entonnoir 245 milliards d’euros pour la santé. On n’en connaît pas le résultat alors que les capacités hospitalières sont excédentaires. Qui peut croire que les 2 000 hôpitaux délivrent la même qualité de soins ? La véritable injustice en France n’est pas dans les compléments d’honoraires mais plutôt dans l’accès à l’information et les délais. Les Français plébiscitent les palmarès établis par les journaux. Or la HAS et l’assurance maladie disposent de données nettement plus précises. Mais ne les communiquent pas. Certes un premier pas a été accompli par les pouvoirs publics. 40 millions d’euros, soit 0,005 % ont été versés aux établissements en fonction de la qualité. Il faudrait aller beaucoup plus loin. La santé est le seul secteur où n’intervient pas le critère prix/qualité.
Encadré
En France, nous sommes devenus les leaders de l’ambulatoire avec 64,8 % de notre activité. Un opéré français sur dix a été accueilli dans un de nos établissements. Nous sommes dans le domaine de la recherche clinique à 2 200 publications. Si l’on prend un domaine clé comme les urgences, nous avons accueilli 500 000 patients avec une croissance du marché de 4,5 % annuelle. Dans notre groupe, elle atteint 8,5 %. Le délai est la première attente des Français. Nous avons énormément travaillé sur ce sujet. Aujourd’hui, nous avons mis au point une appli qui permet au grand public de connaître le délai exact de prise en charge au sein de chacun de nos services d’urgences en temps réel. Ce délai s’élève chez nous à quinze minutes. C’est une première en France de mesurer un délai d’attente et de communiquer sur ce thème. C’est un enjeu majeur de qualité et de respectabilité du monde hospitalier.
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