Qui réussira un jour à dompter Sophie Crozier au regard bleu azur rehaussé d'un casque blond, mère de deux filles de 17 et 18 ans ? Comment encadrer cette volonté de témoigner qui déborde les digues ? Ou du moins lui apprendre à maîtriser son enthousiasme, ses passions, son engagement au sein de la maison, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ? Les paris sont ouverts. Mais sa notoriété acquise en décembre dernier suite à un entretien-vérité accordée à Libération sur les conditions de travail dans le plus grand hôpital européen, la Pitié-Salpêtrière, dépassera le quart d'heure de célébrité promis à chacun d'entre nous. Tout simplement parce que la colère vient de loin. « Plus le temps passe, plus j'ai des doutes. » Et traduit un désenchantement, la fin des illusions, la rupture d'un fil tendu depuis la première année des études de médecine, autour de l'idée simple : comment être utile, fidèle à la promesse du plus beau métier du monde ? L'exposition médiatique de Sophie Crozier, PH au sein des urgences cérébro-vasculaires, n'a donc rien d'un coup de sang. Et témoigne d'une époque révolue, celle où les soignants constituaient une belle et grande famille au service du patient. « Lors des obsèques du Pr Gérald Rancurel en 2007, toute l'équipe a souhaité y assister du mandarin au brancardier. Est-ce possible aujourd'hui ? » La révolte en vérité s'est nourrie de plusieurs sources. Faut-il remonter jusqu'aux premières lectures adolescentes qui vous marquent pour la vie ? « J'ai lu l'intégralité des Rougon-Macquart d'Émile Zola au lycée. » Mais les combats de l'intellectuel, de l'écrivain sont loin de changer la vie de la jeune Sophie dont le père est directeur commercial. Enfant rebelle ? Sûrement pas. Le seul engagement qui lui est alors connu, c'est celui exercé dans le métier de médecin. Il ne peut, il ne doit pas être trahi. « Je n'ai jamais été tenté par la lutte syndicale ou politique. Ma première manif ? C'était contre la loi HPST. » Échec total, la loi sera bien sûr adoptée. À cette première source, politique conflue un autre affluent encore plus profond et souterrain, la réflexion éthique. Sophie Crozier se lance dans un master, puis rédige une thèse. Jusqu'où faut-il traiter ? Les prises en charge sont-elles guidées uniquement sur des critères médicaux lorsque le nombre de lits disponibles est insuffisant ? Où est alors le principe de justice et comment opérer le tri ? « Nous sommes soumis en permanence à des injonctions paradoxales. » Il ne peut y avoir de réponse simple lorsque la société a délégué aux soignants le principe de responsabilité. Pour influer sur le cours des choses, Sophie Crozier participe alors à la CME. Ne plus obéir à des ordres absurdes, écarter le plus loin possible la banalité du mal. Exemple pratique, les congés maternité ne sont plus remplacés. « Faut-il que je mette en douce une pilule dans le café des infirmières lors des transmissions afin d'éviter qu'elles ne tombent enceintes ? » Politesse du désespoir, sentiment d'abandon, le divorce est consommé avec une administration toujours plus lointaine. La leçon de vie administrée par Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète, le livre de chevet de Sophie Crozier, a été bien comprise : « Et votre doute peut être une qualité, si vous vous entendez à l'éduquer. Il faut qu'il devienne lucide, qu'il se transforme en critique. [...] Et le jour viendra où il cessera d'être un destructeur pour devenir un de vos meilleurs artisans — peut-être le plus doué de tous ceux qui contribuent à édifier votre vie. » Qui en vérité a jamais réussi à arrêter un torrent ?
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Sophie Crozier, comme un torrent
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Publié le 28/02/2019
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Crozier
Crédit photo : DR
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Source : lequotidiendumedecin.fr
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