Universitaires, professionnels et industriels du groupe de réflexion Économie Santé* ont dévoilé ce lundi 19 mai leur traditionnelle recommandation annuelle. Dans cet opus 2025, les experts délivrent quatre mesures « concrètes, engageantes et motivantes pour sortir enfin le système de santé de l’impasse » grâce à la prévention, l’organisation territoriale, la pertinence des soins et le financement. Revue de détail.
« Sortir des incantations » sur la prévention
S’appuyant sur les analyses de la Cour des comptes, qui juge les résultats de la France « médiocres » en la matière, le cercle de réflexion relève que si les dépenses de prévention sont estimées à 15 milliards d’euros par an, « leur gestion est fragmentée et il y a peu de coordination et de synergie entre les acteurs, les professionnels de santé et les institutions ».
Les experts préconisent de se fixer comme objectif d’augmenter non pas l’espérance de vie, mais l’espérance de vie en bonne santé, par exemple de 10 % en 10 ans, « soit 5 ans » environ. Comment ? En réduisant les inégalités sociales et territoriales de santé via le suivi de déterminants de santé trop délaissés : conditions socio-économiques, habitat, éducation, alimentation, exercice physique, mobilité, lutte contre la pollution atmosphérique, tabagisme et alcool. Actuellement, seul un Français sur deux arrive en bonne santé à 65 ans, contre 72 % des Suédois.
Chaque contact compte
Le think tank reprend le principe de responsabilité populationnelle développée par la Fédération hospitalière de France (FHF), avec pour objectif de caractériser la population d’un territoire, la segmenter (espérance de vie, mortalité évitable, mortalité prématurée) et d’adapter les actions en conséquence au niveau local.
Parce que la prévention n’est rien sans les professionnels de santé (et les collectivités territoriales), il serait également bon de développer en France le principe du « making every contact count », qui consiste à utiliser les millions d’interactions quotidiennes entre individus dans le système de santé pour faire infuser le sujet de la prévention. À ce titre, insiste Économie Santé, le mode de rémunération des professionnels est « déterminant ». Non seulement « la capitation est bien plus propice à la prévention (primaire ou secondaire) que le paiement à l’acte » mais il faut garder en tête aussi que « la prévention n’est pas l’affaire que des médecins ».
À l’heure ou Emmanuel Macron et le gouvernement planchent sur l’idée de référendums et la tenue d’une conférence sociale sur le financement, le think tank milite pour la création d’une convention citoyenne sur la prévention en santé afin de faire pression sur les pouvoirs publics.
L’ARS, gendarme dans les territoires
Pour le think tank, le premier enjeu est d’aller au-delà de l’esprit de concurrence qui anime encore trop souvent le secteur. « On peut mettre tous les outils et modèles de coopération en place (et ils sont nombreux), cela ne sera pas très efficace tant que les professionnels ne coopéreront pas et auront un intérêt à agir en quelque sorte l’un contre l’autre, tant les libéraux et les hospitaliers entre eux, les libéraux avec les hospitaliers et les publics avec les privés », analysent les auteurs de la « reco ».
Or, une organisation territoriale « sert à répartir les contraintes ». En changer réclame l’implication de tous. Et parce qu’il faut toujours un gendarme, il serait bon, juge le lobby, de confier aux agences régionales de santé (ARS) « la responsabilité et l’obligation de créer les conditions de l’émergence de ces synergies d’intérêt et de veiller à leur application ».
Task force sur la pertinence et indicateurs de résultats
D’abord, un chiffre, lui aussi connu, notamment par l’OCDE : le « gaspillage » en termes de pertinence des actes et des soins serait de l’ordre de 20 %, ce qui représente grosso modo 50 milliards d’euros de dépenses inutiles par an pour l’Assurance-maladie. Dans son édition 2019, le think tank proposait déjà de mobiliser les soignants, de produire davantage de littérature scientifique sur le sujet et de diminuer la part de T2A dans les hôpitaux et cliniques tout en augmentant le paiement forfaitaire pour les libéraux.
Six ans plus tard, le think tank n’a pas varié mais souhaite agir « en associant vraiment les professionnels de la santé, car rien ne pourra se faire sans leur participation ». À ce propos, le cercle de réflexion salue le contenu de la nouvelle convention médicale, qui vise « à favoriser le bon usage des soins et la prescription raisonnée », parfois au risque de braquer les médecins.
C’est pour cette dernière raison qu’il est préconisé d’impliquer davantage les praticiens dans la prise de décision sur la pertinence des soins, en créant une task force pluridisciplinaire, par exemple avec la Fédération des spécialités médicales (FSM), les 41 conseils nationaux professionnels (CNP), le Collège de médecine générale et les associations de patients. Sa mission serait de définir des indicateurs de résultats.
Accélérer la cadence sur la certification périodique
Autre idée : multiplier les registres de pratiques, ces blocs de données par spécialités, utilisés pour l’évaluation et l’amélioration des pratiques, bien ancrés dans la culture des CNP, notamment chirurgicaux. Le cercle de réflexion suggère de « charger officiellement » ces derniers de la pertinence et surtout, de son évaluation précise, spécialité par spécialité, en leur donnant accès au Système national des données de santé (SNDS).
Le corollaire concerne la certification périodique, qui s'impose en théorie depuis 2023 à tout médecin et qui, entre écueils et retard à l’allumage, « a le mérite d’exister après des années de palabres », lit-on dans la reco. Les experts proposent d’accélérer la cadence et ne pas attendre 2032 (date officielle) pour confier aux Ordres professionnels le contrôle de toute la procédure.
Dépenses maladie : pas de coup de rabot mais des Ordam ?
Si, au regard de la situation budgétaire très dégradée de l’Assurance-maladie, il faut « agir rigoureusement » sur les dépenses de santé, cela ne justifie pas la fermeture totale du robinet, qui signerait la mort de l’investissement et de l’innovation, s’inquiète le think tank. En revanche, tester l’idée d’un objectif de dépenses annuelle (Ondam) à l’échelle régionale (Ordam) pourrait répondre de manière plus fine et pertinente aux besoins.
Les pistes de réforme du financement ne manquent pas. Le think tank en liste déjà 21 qui reviennent régulièrement dans le débat : création d’une « TVA sociale », nouvelle ventilation entre la CSG, la TVA et les taxes, instauration d’une CSG progressive en fonction des revenus des salariés et retraités, pari de la fiscalité comportementale, réforme de l’articulation Assurance-maladie obligatoire (AMO) et complémentaire (mutuelles, assurances, institutions de prévoyance). Sans trancher, le cercle de réflexion propose d’organiser une grande conférence du financement de la santé, histoire de faire le tri entre le bon grain et l'ivraie. Et, surtout, d’agir pour éviter « le coup de rabot devenant la solution ultime pour faire tenir les budgets dans une épure irréaliste ».
Think tank dirigé par le Dr Philippe Leduc en partenariat avec Les Échos-Le Parisien Événements
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