Comment mieux concilier production et redistribution ? C’est la question à laquelle tente de répondre le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), dans un rapport présenté ce jeudi 6 février par son président Dominique Libault. Cet opus, qui formule 57 recommandations, avait été commandé en juin 2023 par l’ex-Première ministre – et aujourd’hui ministre de l’Éducation – Élisabeth Borne. Mais sa publication intervient dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, avec un déficit de la Sécu attendu pour 2025 à hauteur de 22,1 milliards d’euros par le gouvernement.
« Une partie de nos problèmes vient du fait d’opposer production de richesse et redistribution. Ce rapport entend mettre ces deux notions en cohérence et en synergie », expose en préambule l’ancien directeur de la Sécurité sociale (DSS). De fait, « la création de richesse est essentielle au financement de la redistribution », écrit le Haut Conseil, soulignant qu’aujourd’hui, la dynamique spontanée des dépenses de prestations l’emporte sur celle de la croissance (estimée à 0,9 % pour 2025).
Au risque de mettre en danger notre modèle, le financement de la protection sociale « doit viser l’équilibre ». Hors situation de crise (comme pendant la pandémie avec le quoi qu’il en coûte), « le recours au déficit n’est pas une solution soutenable », lit-on également, une analyse partagée par la Cour des comptes. Mais l’équation est ardue dans un contexte de vieillissement de la population, avec moins d’actifs mais des besoins et des coûts croissants.
Le maigre levier des taxes comportementales
Le financement de la protection sociale (régimes de base, FSV) repose encore à 81 % sur les revenus d’activité (versus 11,7 % pour la consommation, 4,1 % pour les revenus de remplacement et 3,1 % pour les revenus du capital). Et s’il n’y a pas d’assiette économique alternative « miracle » pour trouver des recettes, le HCFiPS invite toutefois à soutenir les taxes comportementales à des fins de prévention. « Spontanément, j’estime que la fourchette se situerait entre un et deux milliards d’euros, soit une petite contribution », avance Dominique Libault.
Ainsi, le Haut Conseil recommande d’augmenter la fiscalité sur l’alcool « a minima pour rétablir le poids antérieur dans le prix moyen en suivant l’inflation » mais aussi « de manière plus volontariste pour modifier les comportements ». Il convient aussi d’harmoniser la taxation en relevant celles sur le vin et la bière. Il recommande de poursuivre la réflexion sur l’instauration d’un prix minimum par unité d’alcool, comme l’appelle la gauche parlementaire chaque automne, lors du budget de la Sécu.
En s’inspirant du modèle outre-Manche, le Haut Conseil appelle par ailleurs à « simplifier le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en ramenant le nombre de paliers à trois et augmenter les taux ».
Et en matière de fiscalité sur le tabac, il conseille de « pérenniser la convergence (en équivalent prix) des tabacs à rouler et à chauffer avec les cigarettes ». Dominique Libault déplore au passage l’absence de stratégie européenne commune sur le tabac, sur le plan de la santé publique. Il pointe aussi la fraude sociale et le manque à gagner en matière de recettes quand les Français vont se fournir dans les pays frontaliers.
Une branche prévention et santé au travail
Constatant que la politique de santé au travail est fragmentée, incomplète (au détriment des indépendants) et hétérogène (entre le privé et le public), le Haut Conseil propose une réforme de la branche accidents du travail/maladies professionnelles. À cet effet, il appelle à généraliser la protection AT-MP dans une branche unique pour tous les travailleurs et à renforcer son rôle d’acteur dans la gestion du risque, en la requalifiant de branche « prévention et santé au travail ».
D’autres mesures sont avancées, à l’instar d’un meilleur partage des données entre l’Assurance-maladie et les entreprises sur les arrêts maladie ou le fait d’inclure systématiquement les risques psychosociaux dans l’approche de prévention dans le cadre de la santé globale.
Gare à la financiarisation
À l’instar de nombreux acteurs du secteur de la santé, le rapport Libault défend l’objectif d’une approche pluriannuelle, avec des projections à dix ou vingt ans, réactualisées tous les cinq ans. Il insiste sur le fait d’expliciter les priorités et de cibler les outils de régulation, reposant sur des mesures « pleinement documentées ».
Le Haut Conseil estime en particulier qu’il faudrait « mener une véritable gestion des ressources humaines, anticipatrice en matière de santé », visant à « des volumes adéquats au regard des besoins de la population et à des rémunérations individuelles garantissant une répartition adaptée en fonction des spécialités ». Priorité devrait être donnée à l’exercice dans les déserts médicaux.
Toujours dans cette logique de projection, la financiarisation de l’offre de soins est une source d’inquiétude. Le Haut Conseil propose de « créer un observatoire économique santé/social » dont l’objectif serait d’anticiper les risques liés aux évolutions de l’offre dans les secteurs financés par la protection sociale « et notamment l’offre privée ». Pour Dominique Libault, « l’État se met en danger, y compris dans la continuité des services publics, par la non-régulation de la financiarisarisation ».
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