Tout le monde regarde sans réagir. Attendent-ils un drame ?

Dr Jérôme Marty

Au-delà de cette affaire, se pose à nouveau la question de la désinformation médicale relayée en ligne – dans un Far West numérique où la parole scientifique est décrédibilisée parfois violemment par des propos antivax ou complotistes. Au fond, « qu’est-ce qu’on en a à faire de ce que Booba pense de la vaccination contre le Covid ? », interroge le Dr Christian Lehmann, médecin généraliste qui chronique chez nos confrères de Libération et qui a observé le débat. « Il fait du Francis Lalanne, avec six millions de followers, mais rappelons qu’il a déjà une procédure contre lui pour des faits de harcèlement », argumente-t-il. Le Dr Lehmann résume : « Le Dr Barrière appelle au secours, les médecins se dressent contre Booba, résultat : tout le monde s’engueule. C’est un combat foireux dans la boue d’Elon Musk. Il n’y a rien de bien à en tirer. »

Mais surtout, il regrette que ces attaques se déroulent sous les yeux du grand public, sans qu’aucune action ne de contrôle ou de sanction ne soit prise par l’État et les autorités de santé pour rétablir la vérité. « Le pouvoir montre son incapacité absolue à prendre ses responsabilités. Personne ne dit : Didier Raoult a perdu la raison et désinforme sur la vaccination, ce qui a des conséquences majeures », appuie-t-il. Même analyse du côté du Dr Jérôme Marty, qui regrette la passivité des pouvoirs publics. « Rien n’est fait depuis 2020 : Didier Raoult continue de délirer et ni le gouvernement ni l’Ordre ne mettent un terme à tout ça ! Tout le monde regarde sans réagir. Attendent-ils un drame ? Il peut y avoir un taré qui passe à l’acte… »

C’est exactement ce que redoute le Dr Jérôme Barrière dans l’affaire Booba, comme il le confie à nos confrères du Parisien. « Des proches s’inquiètent pour ma sécurité… Personne ne sait si, parmi ces 6 millions d’abonnés, il n’y aurait pas un illuminé qui pourrait venir à mon cabinet ». S’il réfléchit à quitter les réseaux sociaux, « me taire voudrait dire que l’obscurantisme a gagné », soutient-il. Il ne portera toutefois pas plainte, « car ce serait entretenir le phénomène » et ne veut pas « être celui qui nourrit la bête ».

Les réseaux utiles pour la santé publique ?

L’Ordre national des médecins (Cnom) aurait-il dû soutenir explicitement le médecin – ou d’autres confrères pris pour cibles – et répondre au rappeur ? « L’idéal serait que des instances, comme l’Ordre des médecins ou des sociétés savantes, répondent en protégeant l’identité des personnes physiques. On pourrait alors s’effacer derrière », a expliqué le Dr Barrière au Parisien.

Contacté lundi par Le Quotidien, le Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique de l’Ordre, qui précise s’exprimer en son nom propre et n’était pas au courant de cette polémique, soutient toutefois que « X n’est pas le lieu pour faire de la santé publique, car il n’y a pas de règles du jeu, les utilisateurs sont masqués. Bref, il ne faut pas participer à ces réseaux sociaux, c’est une perte de temps inutile ».

Nombre de médecins ont toutefois apporté leur soutien direct au Dr Jérôme Barrière, parmi lesquels le généraliste et sénateur de Paris, le Dr Bernard Jomier, qui pointe « la dérive d’un réseau social où la bêtise autosatisfaite s’étale sans complexe ». Un autre sénateur, Vincent Louault (Indre-et-Loire, Les Indépendants - République et Territoires) a proposé de son côté, lors d’un échange sur X avec des médecins, d’organiser un colloque, au Sénat, sur la désinformation en santé. De quoi enthousiasmer le Dr Jérôme Marty. « Relançons la dynamique de la science et éduquons les gens : je rêve de voir [l’épidémiologiste] Dominique Costagliola face à Didier Raoult ! »