Violences contre les soignants : la profession réclame des actes

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Publié le 13/09/2024
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L’agression d’une médecin généraliste à Marseille a relancé la polémique sur la sécurité des soignants. Des solutions se dessinent au niveau parlementaire et à l’échelon territorial. Mais la profession affiche son impatience.

En 2022, 1 244 déclarations d’incidents étaient enregistrées

En 2022, 1 244 déclarations d’incidents étaient enregistrées
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

L’agression d’une généraliste mi-août dans la cité phocéenne, qui a eu un très large écho, a remis sous le feu des projecteurs la question de la sécurité des médecins. Le débat n’est pas nouveau mais il a pris un relief particulier en raison des records d’agressions envers les praticiens depuis deux ans. L’observatoire de la sécurité de l’Ordre national avait déjà recensé pour 2022 un pic historique de 1 244 déclarations d’incidents, en hausse de 23 % en un an – les généralistes étant les plus exposés. Et pour 2023, on sait déjà que ce triste record d’agressions sera à nouveau battu, ont confié plusieurs responsables ordinaux.

Dans ce contexte, la profession ne se contente plus de promesses mais exige des actes en urgence. Les collectifs pour une médecine libre et indépendante (Comeli) accusent l’État « d’inaction », menaçant de porter plainte. Les syndicats de praticiens libéraux, réunis en intersyndicale, s’insurgent contre « une situation alarmante ». L’Ordre, de son côté, condamne fermement ces agressions. Mais quid des solutions alors que le gouvernement avait promis des dizaines de mesures l’an passé ?

Le « bouton-poussoir » à généraliser ?

À Marseille, des réponses ciblées ont été avancées après la dernière agression. La ligne téléphonique du cabinet où exerce l’omnipraticienne victime a été placée en priorité dans la prise en charge des appels au 17. Les autorités ont assuré que la plainte sera suivie d’effet. La direction départementale de la sécurité publique étudie un renforcement de la sécurité du cabinet, avec un « bouton-poussoir » à activer en cas de danger.

Ce dernier dispositif permet de déclencher une alarme pour dissuader l’agresseur ou enclencher un enregistrement sonore pouvant servir de preuve de menace. Des expérimentations sont en cours dans plusieurs départements. Mais des questions se posent sur le secret médical et le lieu où atterrit l’appel en cas d’alarme (Samu, police, etc.). Des rencontres entre l’Ordre et les industriels visent à dresser un état du marché. Reste la question du financement pérenne de ces outils d’alerte, déjà proposés l’an passé dans le rapport sur les violences corédigé par le président de SOS Médecins, le Dr Jean-Christophe Masseron et Nathalie Nion, cadre infirmière. L’association SOS, au sein de laquelle les généralistes sont en première ligne, devrait à cet égard généraliser un « bouton connecté », qui permet par simple pression d’alerter des numéros prédéfinis (proches, police, centre d’appels). C’est ce qui a permis au médecin de Sens (Yonne) de prévenir les secours début août, alors qu’il se faisait violenter. Les autorités se sont rendues sur place en moins de cinq minutes.

Ergonomie des locaux

Dans certains lieux, comme les maisons de garde ou centres SOS, des vigiles ont été sollicités pour protéger les lieux, rémunérés par les villes ou les régions. La disposition optimisée des locaux est une autre piste. « Il faut positionner son bureau par rapport aux issues, illustre le Dr Masseron. Et avoir, si possible, une ou deux sorties sans poignée à l’extérieur » Plus facile quand on construit que lorsqu’on rénove.

Je ne consulte plus le samedi car j’étais seule dans un endroit de la clinique et je m’y suis fait agresser. On s’adapte, nous aussi, à l’insécurité

Dr Sophie Bauer
Chirurgienne et présidente du SML

Si les généralistes en cabinet sont les plus exposés, les cliniques privées ne sont pas épargnés, conduisant même certains praticiens à adapter leurs horaires. « J’ai déjà eu une rixe dans la salle d’attente entre deux bandes rivales, confie la Dr Sophie Bauer, chirurgienne et présidente du SML. Je ne consulte plus le samedi car j’étais seule dans un endroit de la clinique et je m’y suis fait agresser. On s’adapte, nous aussi, à l’insécurité ».

L’Ordre pressé d’apporter un soutien maximal

Si elles affichent généralement leur solidarité, les autorités ordinales sont parfois soupçonnées de ne pas apporter le soutien « maximal » nécessaire aux confrères (en s’associant aux plaintes ou du moins en se constituant partie civile). « Tout le monde est choqué, ces agressions contre les médecins sont une aberration ! », clame le Dr Jean-Jacques Avrane, président de l’Ordre de Paris et délégué de l’Observatoire sur la sécurité des médecins, qui publiera début octobre son baromètre annuel de référence. Les chiffres, alarmants, devraient faire état d’une majorité d’agressions envers les généralistes, devant les psychiatres.

La ligne de l’Ordre national se veut ferme : il faut porter plainte systématiquement en cas d’incident, y compris verbal. « Quand l’agression commence par-là, on ne sait jamais où elle va s’arrêter », souligne le Dr Avrane. L’Ordre est là pour épauler les victimes, orienter et se porter partie civile, confirme-t-il. Des protocoles d’accord ont été mis en place avec la justice, la police ou la gendarmerie. Policiers référents, conseil aux victimes, visites des policiers quand un médecin s’installe, réunions, affiches à disposer dans leur salle d’attente : ces protocoles peuvent prendre des formes variées selon les départements.

Réponse pénale forte exigée

Autre demande récurrente : des peines exemplaires contre les agresseurs de blouses blanches. Sur le principe du régime de protection pénale des agents du service public, le plan d’Agnès Firmin Le Bodo de 2023 – décliné en partie par une proposition de loi (Horizons) adoptée à l’Assemblée mi-mars – entend créer un « délit d’outrage » spécifique qui concerne les libéraux de santé. Il permet en plus d’aggraver les peines pour violences ou vols et d’accélérer le traitement des poursuites par le délégué du procureur de la République.

Les directeurs d’hôpitaux pourront également déposer plainte à la place de la victime – avec leur consentement écrit – en cas de menaces ou violences à l'encontre de leurs agents. Pour les libéraux, il en serait de même, s’ils n’ont pas d’employeur, par le biais d’une institution représentative – Ordre, syndicat ou URPS – qui porterait plainte à leur place, avait expliqué au Quotidien le rapporteur de cette proposition de loi. Quant aux soignants qui n’osent pas porter plainte par peur des représailles (mais qui veulent le faire en leur nom propre), un amendement pourrait permettre de déclarer comme domicile l’adresse de l’Ordre au tableau duquel ils sont inscrits ou du commissariat local. Reste au Sénat de se saisir à son tour du texte…

Changement sociétal ?

Au-delà de la réponse pénale, les syndicats appellent de leurs vœux un changement sociétal en réponse à cette « spirale de violence », révélatrice d’une « crise profonde ». La Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France, estime qu’« il faut réduire la tendance au consumérisme en santé, alimenté par les plateformes et les télécabines. Et mettre en place une meilleure organisation du système, en s’appuyant sur les assistants médicaux et les infirmières Asalée qui font gagner du temps médical ».

Le président du syndicat des jeunes généralistes et remplaçants (Reagjir), le Dr Raphaël Dachicourt, va dans le même sens. Pour lui, il est impératif de ne pas faire des généralistes les boucs émissaires d’un système de santé en grave difficulté. « C’est la frustration du patient qui conduit à la violence : certificats absurdes, arrêts de travail, prescriptions de transport ou déremboursement de médicaments… Nous nous retrouvons à être les intermédiaires avec l’Assurance-maladie, jouant parfois le rôle du “méchant”, au lieu de nous concentrer sur le soin et être dans une alliance thérapeutique avec le patient ». Réélue députée de Seine-Maritime, Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) recadre le débat sur les valeurs : « Le médecin doit être respecté, au même titre que le professeur d’école et le pompier. »

Les campagnes grand public de sensibilisation aux violences semblent, en tout cas, avoir eu un effet limité. La dernière en date, fin 2023 – « il faut être malade pour s'en prendre à un professionnel de santé » – n’avait pas fait l’unanimité, avec ce slogan jugé ambigu et malvenu. La formation des soignants au désamorçage des situations conflictuelles est régulièrement réclamée. Aujourd’hui, certaines actions entrent dans le cadre du référentiel du développement professionnel continu (DPC). Depuis février 2023, une orientation prioritaire s’intitule « gestion pratique de la violence et de l’agressivité du patient et de son entourage », laquelle était initialement réservée aux infirmiers et aux aides-soignants. Un début d’action concrète ?


Source : Le Quotidien du Médecin